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Statut de résident : un besoin pour la Bretagne aussi !

Après le Pays Basque le 18 septembre dernier, je me suis rendue à Ploemeur, dans le Morbihan, pour soutenir nos amis bretons en quête de solutions pour répondre à la spéculation foncière et immobilière qui frappe durement la Bretagne. Représentant l’eurodéputé François Alfonsi, conviée par Breizh-a-gleiz (groupe d’élus régionaux soutenu par l’UDB et Europe Ecologie les Verts), j’étais appelée à animer parmi d’autres intervenants un débat sur la problématique du logement en Bretagne « Habiter au pays ? Bevan er vro ? » L’occasion, encore une fois, de constater combien les problématiques sont proches et combien la réflexion conduit les uns et les autres au besoin d’aller au-delà des mesures à droit constant. Tout comme la Corse, la Bretagne veut un statut de résident.

 

« Comment pourvoir des emplois alors que les gens ne parviennent pas à se loger ? » interrogeait en ouvrant les débats Nil Caouissin, conseiller régional de l’UDB, co-président du groupe Breizh-a-gleiz, auteur du « Manifeste pour un statut de résident en Bretagne ». « Le logement, connecté aux problèmes de mobilité est devenu un problème majeur pour le peuple breton, pour le fonctionnement de notre économie… Les prix flambent, la crise du Covid a accéléré le processus et nous a permis peut-être d’en prendre conscience plus fortement qu’auparavant. » Et de citer les conséquences pour les Bretons, contraints de demeurer dans des logements trop petits ou indignes, malgré les solutions jusqu’ici mises en œuvre sans efficacité. « La solution la plus simple, construire pour augmenter l’offre, se heurte à plusieurs problèmes. La nécessité d’économiser le foncier agricole, de protéger les espaces naturels, évidemment pour notre souveraineté alimentaire, mais aussi parce que les sols sont un puit de carbone qu’il est indispensable de préserver. La construction neuve est particulièrement gourmande en matériaux non renouvelables, notamment le sable qu’il faut extraire. Pour construire une économique soutenable on ne pourra pas faire l’économie d’une transition vers un modèle de construction plus sobre, davantage tourné vers la rénovation et la réhabilitation » éclaire encore le conseiller UDB qui déplore le nombre de résidences principales par rapport aux résidences secondaires, le besoin de réguler ces déséquilibres.

Le débat est lancé, sous la forme de deux tables-rondes où de nombreux intervenants vont se succéder.

 

Situation en Bretagne

La première table-ronde, « Témoignages d’acteurs sur les difficultés du logement en Bretagne », avec Gaël Briand, conseiller régional UDB comme animateur, conviait Marielle Kerbaol, de l’association Côte de granit rose respect et protection qui a pour but d’inscrire au patrimoine mondial de l’Unesco la côte de granit rose, Maxime Touzé, élu UDB à Douarnenez, Franck Rolland et Véronique Deschamps du collectif St-Malo j’y vis j’y reste, Valérie Tabart, ancienne maire de Laurenan, conseillère régionale de Breizh-a-gleiz.

Trigastel, au cœur de la côte de granit rose, « lieu prisé très touristique », 2501 habitants en 2018, et une densité touristique de 1000 personnes/km2 contre 357 hab/km2 pour une population vieillissante, conséquence de la silver économie. Sur 2794 logements, 1299 sont des résidences principales, 1391 des résidences secondaires, « sans compter la crise Covid qui a accéléré les tendances » explique Marielle Kerbaol, « pas de mixité sociale, pas de mixité d’âges, pas de possibilité de logements pour les jeunes, pour les familles, il n’y a aucune structure de location à l’année… ce qui entraîne des problèmes au niveau des écoles, des activités, de la vie » déplore Marielle Kerbaol qui dénonce le manque de contrôle sur les permis de construire, le manque de respect pour l’environnement, « Trigastel est le secteur le plus imperméabilisé sur la côte de granit rose. »

Maxime Touzé nous décrit de son côté Douarnenez, « ville populaire » de 14.000 habitants, plutôt dynamique mais qui décline (20.000 habitants en 1968), la population scolaire y est passée de 4000 enfants en 1999 à 2500 aujourd’hui. Paradoxalement, il y a de plus en plus de logements, 7800 logements en 1968, 10.363 en 2018, avec un nombre de logements vacants élevé, 1114 en très mauvais état pour la plupart. Et pourtant, pas de logements disponibles à la location pour les habitants, « la location temporaire est bien plus pratique » et « les baux de moins d’un an sont monnaies courantes » bien qu’illégaux déplore l’élu UDB. Des projets de hauts standing visent des propriétaires fortunés, dont la population se sent exclue. « Faudra-t-il être riche pour habiter demain en Bretagne ? » s’inquiète Gaël Briand.

St Malo, de ville balnéaire risque de devenir une « station balnéaire » témoignent Franck Rolland du collectif St-Malo j’y vis j’y reste. « Le phénomène des locations de courtes durées a révélé la difficulté pour les classes moyennes de pouvoir habiter à St Malo. » Il déplore la « massification du tourisme… la destruction des terres agricoles et des quartiers anciens… le déficit en lien social. » « On est face à un phénomène classique de l’économie libérale, une bulle financière qui va plus vite que la loi » déplore encore Franck Rolland. Véronique Deschamps, qui a fondé ce collectif, raconte les nuisances créées par cette situation pour les habitants « historique », les conséquences sur leur vie quotidienne, les souffrances endurées, la transformation de la ville au profit du tout-tourisme. « C’est compliqué lorsqu’on voit des gens envahir notre espace de vie qui ont tout pouvoir avec beaucoup de mépris… J’ai été vraiment malmenée, nous ne sommes plus les bienvenus… On est programmé à être éliminé si on ne se fait pas entendre » témoigne-t-elle. « Il y a un grand désespoir de voir sa ville mourir. »

Laurenan, est une ville au contraire du centre Bretagne, 730 habitants, 1800 au début du siècle, qui se caractérise au niveau du logement par une forte vacance (15 %), un taux de résidences secondaires de biens familiaux (20 %) et « de moins en moins d’habitants qui occupent de plus en plus d’espaces » témoigne l’ancien maire Valérie Tabart, pour qui « se questionner sur la question du logement c’est forcément se poser la question de l’aménagement du territoire. » Elle prône « l’économie de foncier », dénonce la « précarité énergétique ».

Lors du débat général qui suit de nombreux élus et citoyens s’expriment et abordent pêle-mêle la hausse des loyers, les logements non adaptés, notamment le déficit de petits logements pour une société qui a évolué, le PLU est un outil mais « encore faut-il qu’il y ait une volonté municipale », l’absence de foncier pour privilégier les primo-accédants, le besoin « d’avoir la main sur le marché privé », le « manque colossal de logements sociaux », l’arrivée de nouvelles populations plus aisées qui fait monter les prix pour les populations traditionnelles « poussées à l’extérieur », la difficulté de densifier en centre-ville aussi. Conclusion : « il nous faut des outils pour libérer les logements ».

 

Analyses croisées ailleurs

Justement, la seconde table-ronde abordait les différentes analyses menées ailleurs, en Pays Basque, Ile de France, Corse. Des regards croisés pour commencer à élaborer des pistes de travail. Ana Sohier, conseillère régionale du groupe Breizh-a-gleiz, Peio Etcheverry-Anchart, référent logement pour EH Bai en Pays Basque, Vincent Aulnay du Collectif Paris contre AirBnB, et moi-même, en tant qu’ancienne présidente de l’Agence d’aménagement d’urbanisme et d’énergie de la Corse, pour exposer les outils mis en place pour lutter contre la pression foncière en Corse. Aliziz Gouez, conseillère régionale de Bretagne animait les échanges. « La question du logement c’est aussi s’interroger sur le type d’économie qu’on veut construire, est-ce qu’on est prêts à accepter le phénomène de la balnéarisation, comment on fait pour que sur tous nos pays subsistent une forme de diversité de production ? Il y a une dimension éminemment politique à notre questionnement » introduit-elle.

Ana Sohier présente la situation du logement à Rennes Métropole. Élue à la ville de Rennes durant deux mandats, elle peut témoigner des tensions sur sa ville. Avec un peu plus de 210.000 habitants, « la ville de Rennes doit construire chaque année environ 800 logements ne serait-ce que pour maintenir son niveau de population. » Où construire ? Hélas « aujourd’hui il n’y a plus de terres agricoles à consommer à l’intérieur de la rocade rennaise » déplore l’élue UDB. On construit, mais les infrastructures et les services ne suivent pas assez. L’arrivée de la Ligne à Grande Vitesse fait de Rennes une banlieue parisienne. Mais aussi de nouvelles populations qui arrivent du sud. Comment accueillir toutes ces populations ? Elle déplore la forte augmentation des loyers, « la ville n’arrive plus à endiguer cette flambée des prix et la densification qui est pratiquement la seule réponse politique au phénomène se heurte à des problématiques compliquées comme la destruction du patrimoine, ce qui fait que les gens ne reconnaissent plus leur ville et qu’il y a des combats permanents avec des collectifs d’habitants ».

« Renouveler la ville plutôt que de l’étendre » prône l’élue UDB, pour une politique d’aménagement du territoire plus cohérente et plus économe en foncier.

 

Un « bien vital » et non un « bien marchand »

Peio Etcheverry-Anchart, conseiller municipal d’opposition à St-Jean de Luz, dresse le panorama d’un petit territoire rural plutôt pauvre, mais qui a connu un développement touristique important, et perçoit cette problématique logement à travers le conflit d’usage créé par le choc entre une population traditionnelle ancrée dans ses traditions, son agriculture, son artisanat, et des besoins touristiques qui s’imposent, déstructurent et aboutissent à « un territoire à trois visages ». Le littoral très touristique, « où la pression foncière est devenue énorme ces 40 dernières années », avec des prix moyens « de 8000 € le m2 et on peut monter sur le front de mer à des niveaux de 15.000 ou 20.000 € le m2 ». « Sur le front de mer à St Jean de Luz un appartement de 100 m2 s’est négocié à 2,6 M, 26.000 € le m2 ! Quand on doit débourser 50.000 € rien que pour les toilettes, ça fait cher la petite commission ! » déplore l’élu basque. « Une tension qui naturellement chasse les gens qui y habitaient vers une seconde zone qu’on appelle zone de report », où la montée des prix est la plus forte alors que toute l’attention se focalise sur le littoral, et que « l’enjeu est sur cette zone où précisément on peut encore agir ». Enfin une troisième zone de déprise, le rural, où les gens ont du mal à s’en sortir et où les logements ne sont plus adaptés aux modes de vie d’aujourd’hui.

45 %, 50 % de résidences secondaires, avec 10-15 % de locations saisonnières, et des logements vacants, tout ceci ajoutés « on a davantage de logements sous occupés à l’année que de résidences principales ». « Et quand on met en parallèle le taux de logements sociaux pour lesquels 80 % de la population a accès, on a des taux complètement déséquilibrés ». Et de citer l’exemple de Biarritz : 43 % de résidences secondaires et 9 % de logements sociaux, moins de 5 % en réalité si l’on se fonde sur l’ensemble des logements et pas seulement sur les résidences principales. Lui aussi constate une aggravation avec « la crise Covid » et l’avènement du télé-travail qui permet « non pas d’acheter une résidence secondaire, mais une résidence seconde ». Et de citer les dernières élections municipales où sur la commune de Guéthari, une liste de résidents secondaires s’est créée pour défendre leurs intérêts. Un comble ! Il dénonce le postulat « on manque de logements donc il faut en construire davantage ». Pour lui « il y a une privation de logements mais pas un manque de logements », il déplore que « l’on entérine le fait que le droit d’avoir deux logements passent avant celui d’en avoir un à l’année » avec toutes les conséquences en termes de mobilité, d’extension des réseaux d’assainissement, d’artificialisation des sols, de déséquilibres entre zones d’emplois et zones de logements, « tout ça est à rebours de l’urgence climatique qu’on ne cesse de rabâcher à raison ! »

Il faut « davantage optimiser l’existant », il en appelle à « mettre l’imagination au pouvoir. Et à considérer le logement comme un bien vital et pas un bien marchand » qui nécessite donc des mesures « autrement plus volontaristes ».

 

Le « pousse au crime » AirBnB

Vincent Aulnay du collectif Paris contre AirBnB présente les effets néfastes sur l’économie du système de la location de courte durée. Il montre une carte de Paris avec ses 35.000 logements AirBnB identifiés. Les conséquences en « effet dominos » : « raréfaction de l’offre et des parisiens qui ne peuvent plus se loger à Paris et vont se loger à Boulogne Billancourt… une spéculation sur l’ensemble de l’Ile de France » (11.000 € en moyenne au m2 à Paris). La rentabilité (cinq fois plus intéressant qu’une location à l’année) commande mais ce n’est pas la seule raison qui pousse les propriétaires à faire du AirBnB qui peuvent ainsi « accéder à des dispositifs fiscaux très avantageux » explique Vincent Aulnay. Une location traditionnelle ouvre à un abattement fiscal de 30 %, « ce même appartement loué en AirBnB, déclaré avec le statut hébergement touristique, très facile à obtenir » permet d’accéder à « un abattement fiscal de 71 %, l’exonération des impôts locaux, l’exonération de la TSE » ou encore l’exonération de tous diagnostics amiante, plomb…

Vincent Aulnay déplore aussi l’absence de contrôle sur les déclarations, notamment en ce qui concerne les changements d’usage. La lutte contre le phénomène AirBnB : une piste indispensable à creuser !

 

Des outils qui restent insuffisants

La Corse conclue ce tour d’horizon des situations hors Bretagne, avec les indicateurs affolants que l’on connaît : un coût du logement qui augmente deux fois plus vite que sur le continent (+68 % contre +36 %), un coût du foncier qui augmente quatre fois plus vite (+138 % contre +64 %), un Corse sur cinq qui vit sous le seuil de pauvreté, le prix des loyers qui explosent, plus de 80 % de la population éligible au logement social, et cependant un faible taux de logement social (10 % contre 17 % sur le continent), quatre fois plus de résidences secondaires que de résidences principales, avec une moyenne de 37,2 % contre 9,6 % sur le continent, et des taux régulièrement de plus de 50 % allant jusqu’à 70, 80, voire 85 % sur le littoral de l’extrême sud ou de la Balagne.

Des inégalités dans les conditions d’accès à la propriété ou au simple droit à se loger et à vivre dignement, et la terre qui change de main avec tous les déséquilibres que cela entraîne, artificialisation des espaces sensibles, perte de biodiversité, déclin agricole et rural, et donc perte d’identité pour une société traditionnellement basée sur l’agro-sylvo-pastoralisme, une économie de rente, des inégalités qui se creusent et l’augmentation de phénomènes mafieux qui s’intéressent à cette manne exponentielle…

La Corse s’est pourtant donnée des outils pour lutter, Assises du foncier et du logement en 2010, plateforme d’actions en 2011, diagnostic sur les conditions juridiques et techniques de mise en place d’un statut de résident en 2013, création de l’Agence d’Aménagement et d’Urbanisme en 2013, de l’Office foncier en 2014, délibération portant sur la protection du patrimoine foncier et l’analyse des possibilités et contraintes d’un statut de résident en 2014, adoption du Padduc en 2015, groupe de travail « Lutter contre la pression foncière et la spéculation immobilière » en 2016, mise en place de l’Observatoire du Foncier-Logement-Urbanisme en 2016, mise en place d’une politique opérationnelle en matière de foncier, logement et aménagement du territoire en 2017, rapport « Una casa per tutti, una casa per ognunu » en 2019, etc., jusqu’à aujourd’hui avec la proposition de loi Jean Félix Acquaviva, adoptée à l’unanimité à l’assemblée nationale (lire en p. 4-5).

 

Un outil pour réguler la spéculation

Mais tous ces outils s’ils peuvent freiner, ne permettent pas de réguler le phénomène à suffisance c’est-à-dire faire baisser les prix, or c’est bien cet emballement du marché qui retient les ventes et les locations pour plus de profits au détriment du droit à se loger.

Rappelons encore : 6000 inscriptions au fichier national des bailleurs pour une production en logement social de moins de 300 logements éligibles à l’aide à la pierre par an !

Après tous ces échanges instructifs, l’ensemble des participants se retrouvaient à travailler en ateliers pour répondre à plusieurs questions : quelles politiques de régulation des locations touristiques ? Quelles évolutions réglementaires ou législatives pour réguler l’immobilier ? Quelles nouvelles manières d’habiter pour résoudre la crise du logement ? Quels leviers pour résorber le logement vacant et l’habitat indigne ? Quelles perspectives pour le logement social en Bretagne ?

De nombreuses pistes de travail ont été évoquées et donneront lieux à une restitution. Une journée qui démontre à quel point encore ces problématiques communes réclament une approche commune. Je l’ai déjà dit dans ces colonnes, solidarité est le maître mot pour avancer plus vite ! •

Fabiana Giovannini.