Gillets jaunes

Drôles de débats

Que sortira-t-il des débats brouillons qui mettent en scène le Président Emmanuel Macron ? La crise des « gilets jaunes » continue, et les réponses sont encore à inventer.

 

Emmanuel Macron en a-t-il la capacité ? C’est toute la question posée. Le public d’élus locaux qu’il mobilise lors de ses déplacements à grand spectacle, à quand dans un bourg rural de Normandie, à quand au cœur de l’Occitanie profonde, lui permet une opération de communication assez bien dosée. Ce public est suffisamment maîtrisable pour éviter un clash politiquement dangereux, et il est suffisamment nombreux et populaire pour ne pas être assimilable à la haute classe politique que la colère contestataire exècre.
Une scène de dialogue a donc été posée, mais cela ne débouche pas sur grand chose tant elle paraît déconnectée du mouvement lui-même, et tant elle peine à dégager des consensus fondamentaux.
Le mal-être populaire qui s’exprime depuis deux mois d’une mobilisation protéiforme au bord des routes n’en a pas fini. Manifestement les tréfonds de la protestation restent mobilisés contre un establishment incarné aux yeux de tous par le Président de la République. Les sondages, avec d’autres signes très nets, montrent que l’opinion est derrière eux, et que ce soutien ne faiblit guère. Et la révolte gronde contre une répression qui prend le risque quotidien d’un grave dérapage par l’usage d’armes nouvelles déjà à l’origine de blessures graves et de mutilations. Qu’un drame se produise, et le « tour de France » d’Emmanuel Macron sera aussitôt déstabilisé.

La situation politique créée par ce mouvement continu de révolte est inédite, et son aboutissement totalement incertain. Le fossé créé est devenu abyssal, et ni les gesticulations populistes, ni les concessions financières, même coûteuses, ni les discours repeints en jaune ne réussissent à la combler.
En Corse, la Conférence Sociale lancée par l’Exécutif, l’Assemblée de Corse et le Conseil Economique Social et Culturel a pris les devants du « Grand Débat National ». Le format retenu est peu propice à un débat ordonné, mais cela a permis de poser les termes insulaires de la contestation.
Il y a d’abord le déclencheur du prix des carburants qui ici se pose avec une acuité encore plus forte ici puisque le consommateur paye son essence et son diesel bien plus cher que sur le continent, 10 centimes de plus par litre, et cela malgré une réfaction de TVA de 10 centimes elle aussi. Le « mystère » de cette envolée des prix reste entier, mais l’impératif d’en éclairer les raisons est plus que jamais posé aux acteurs : transport par mer, monopole éminemment profitable de ceux qui gèrent les dépôts « stratégiques », nécessaires en raison de l’insularité, coût d’un réseau de distribution de « petits pompistes » au sein duquel la concurrence ne s’exerce guère. S’y ajoute une sur-fiscalité de l’essence car la variété distribuée en Corse est faiblement additionnée de biocarburant, et donc surtaxée par rapport au continent. Il faudra bien que l’Etat remette au pot l’excédent de cette surtaxation !

Mais le problème du pouvoir d’achat se pose avant tout par la faiblesse des revenus dont disposent les plus modestes, revenus du travail ou des pensions, retraités notamment, durement affectés par la politique d’Emmanuel Macron. Dans un pays où la précarité est forte et les retraités nombreux, l’impact a été particulièrement ressenti. D’autant qu’en Corse le périmètre des « dépenses incompressibles » que sont l’eau, l’électricité, la voiture, le téléphone ou le logement s’élargit aux transports extérieurs à cause de l’insularité et des coûts induits chaque fois qu’il faut aller sur le continent, ou y envoyer étudier ses enfants. Un tarif social pour retraités a été instauré par la CdC, quelques « coups de pouce » sont possibles ici ou là, mais le champ d’action de la Collectivité de Corse est singulièrement réduit car la politique sociale ne fait pas partie de ses compétences.

Exemple concret de cette absence d’autonomie, prenons la question sensible du logement social qui est en Corse plus qu’ailleurs soumis à la pression de la concurrence de l’immobilier touristique. Partout en France, la TVA du logement social est à taux réduit, 10% au lieu de 20%. En Corse, la TVA bâtiment est globalement à 10%, ce qui met le logement social au même niveau de taxation que les autres formes de logement sur le marché libre comme sur le marché touristique. Voilà des mois que la demande d’un taux réduit corse est demandée par l’Assemblée de Corse pour le logement social, et, comme d’habitude, aucune réponse ne vient du côté d’un Etat lointain et méprisant.
Voilà aussi pourquoi les gens sont si nombreux à enfiler des gilets jaunes sur les ronds-points, et il faudra bien plus qu’un « grand débat » pour y mettre fin.

François Alfonsi.

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