L’ora di u ritornu

Faire échec à « l’État profond », facteur de blocage politique

par François Alfonsi
L’affaire Erignac est une affaire hors normes qui marquera à tout jamais l’Histoire de la Corse. Elle prend la forme désormais d’une vengeance d’État à la demande d’un «État profond» dont l’administration préfectorale est la colonne vertébrale. Les gouvernements s’écartent délibérément du droit, de son esprit comme de sa lettre. Et, en persévérant, ils s’enferment dans un arbitraire délibéré, démontrant une totale fermeture au dialogue politique.

 

Trois mille manifestants étaient dans les rues de Corti, alors que les manifestations sont tellement rares dans l’actualité européenne en raison des contraintes sanitaires qui en dissuadent la tenue. Ils ont surmonté tous les obstacles pour se retrouver dans un cortège solidaire et chaleureux, et remonter ensemble le cours Paoli.

Derrière les deux portraits de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, condamnés à la perpétuité et ayant effectué 22 ans de leur peine, ce qui leur donne droit à une libération conditionnelle compte tenu de leur condamnation à une perpétuité simple, leurs familles conduisent le défilé qui rassemble leurs amis, la Ligue des Droits de l’Homme, et beaucoup de militants et sympathisants de la famille nationaliste, toutes tendances confondues.

Cette manifestation est un tournant. Elle exprime que l’heure est venue de dire avec plus de force notre refus d’accepter l’arbitraire d’un État, qui bafoue sa propre loi comme la loi européenne en faveur du rapprochement des détenus de leurs familles, et qui désavoue ses propres services, notamment la commission pénitentiaire qui a

préconisé le retrait du statut de Détenu Particulièrement Signalé aux deux prisonniers politiques corses. Ce même «État profond», a écarté le Ministre de la Justice pour imposer sa volonté à travers le Premier Ministre, selon une décision arbitrée par le Chef de l’État en personne, bien qu’il ait laissé espérer le contraire aux deux Présidents de la Collectivité de Corse.

«La justice est passée, des hommes ont payé, ils ont le droit de rentrer»: José Versini, condamné à 15 ans de prison, et désormais en liberté, dans une interview à Corse-Matin, a résumé le sentiment de tous. Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, ne représentent plus aucun danger pour personne, et, même s’ils écrivent le contraire pour tenter de se justifier, les décideurs qui leur refusent le rapprochement auquel ils ont droit savent pertinemment qu’il n’en est rien. Et José Versini ajoute: «le ministre Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a déclaré, évoquant la sortie de prison des islamistes, ‘‘on ne peut pas aller contre la loi ; il est impossible de laisser en détention des gens qui ont achevé leur peine’’. Des lois existent, il s’agit de les appliquer.»

Mais ceux qui s’érigent en juges depuis leurs ministères ont visiblement décidé que la loi qui permet le rapprochement et la mise en liberté de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi ne serait jamais appliquée, et que serait exécutée la peine de sureté que le tribunal spécial avait refusé de prononcer lors de leur procès. L’outil de cet arbitraire est le statut de «détenus particulièrement signalés» (DPS) que l’administration décide chaque année à sa guise, et que le Premier Ministre a renouvelé par-dessus les réticences du ministre de la Justice. Du fait de ce signalement, aucun rapprochement n’est possible, ni aucune évolution de leur statut carcéral.

Cet artifice permet ainsi de prolonger indûment la peine de ceux qui avaient été condamnés par la juridiction spéciale composée de magistrats à une perpétuité simple, sans l’assortir d’une longue durée incompressible comme cela avait été demandé par le procureur. Cette peine à rallonge que le représentant de l’État n’a pas obtenu devant les juges, «l’État profond» entend l’appliquer quand même, en contournant la loi.

Depuis son élection en 2017, le chef de l’État a remis l’affaire Erignac au cœur de la question politique corse, en instrumentalisant la famille du Préfet assassiné lors de son premier voyage officiel de février 2018, durant lequel il avait agressé Gilles Simeoni en raison de son rôle en tant qu’avocat lors du procès, et en continuant toutes ces années le déni des droits d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri.

En fait l’acharnement qui les frappe est un marqueur tangible du blocage politique de l’État vis-à-vis de la question corse. La mobilisation a été relancée ce samedi 30 janvier à Corti pour que cela cesse. •

PS: José Versini, dans son interview sur Corse-Matin: «Je tiens à préciser une chose par rapport à une incompréhension qui se fait jour sur le cas d’Yvan Colonna. Certains ne comprennent pas, en effet, pourquoi nous n’associons pas le nom d’Yvan à celui d’Alain et Pierre aujourd’hui. Si nous ne l’avons pas fait, c’est parce qu’Yvan n’a pas fini sa sûreté. C’est d’ailleurs ce que l’on nous rétorquerait si nous citions son nom dans le cours de la mobilisation. Le faire serait contre-productif.»
Yvan Colonna aura atteint sa période de sûreté l’an prochain.