Football et Qatar

La corruption comme mode de gouvernance ordinaire

Par François Alfonsi

 

L’opinion mondiale contemple désormais sur ses petits écrans l’aboutissement des investissements énormes consentis par l’Emirat du Qatar pour l’obtention de l’organisation de la Coupe du monde de football 2022. Pour y parvenir le géant du pétrole a mis les grands moyens, avec la généralisation de la corruption à tous les étages. Y compris celui du Parlement européen !

 

La saga des corrompus commence avec la FIFA, la Fédération internationale du football qui détient les droits de cet événement, qui est le plus médiatique des événements sportifs sur la scène mondiale. Mais comment convaincre que c’était le bon choix de jouer le plus haut niveau du football mondial dans un pays qui n’a ni footballeurs, ni stades, ni même les conditions météorologiques minimum pour qu’une compétition puisse se dérouler tant la température moyenne y est élevée, à tel point qu’il a fallu bouleverser le calendrier et repousser à décembre un événement traditionnellement organisé au mois de juin, quand se terminent les calendriers des principaux championnats nationaux.

Platini, Blatter et tant d’autres qui ont suivi : les voix qui ont finalement désigné le Qatar contre toute attente et contre toute logique ont été achetées une à une, à coup de centaines de milliers d’euros chacune. Plusieurs procès sont en cours, et l’un d’entre eux accroche Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, qui avait fait l’entremetteur entre les corrupteurs et certains des corrompus. Le Qatar avait auparavant jeté son dévolu sur le club de football de Paris. La France s’est ainsi retrouvée aux premières loges de l’investissement stratégique de la monarchie pétrolière pour sa communication à travers le monde.

 

Une fois le graal de la FIFA décroché, les travaux ont commencé pour ériger les stades en mesure d’accueillir l’événement, stades qui resteront, une fois la finale jouée, désertés ad vitam aeternam dans un pays où le football est un sport marginal. Peu importe, l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est de construire l’image d’une puissance mondiale moderne.

Pour construire ces stades, il a fallu faire venir une main d’œuvre nombreuse dont le pays ne dispose pas. Bengalis, indiens, indonésiens, tous les pays pauvres ont été approchés pour organiser le recrutement d’ouvriers qui furent traités de la pire des façons, dans un pays où les conditions de travail en extérieur sont presque tout le temps insupportables du simple fait des températures, et d’autant plus pour tenir les cadences infernales nécessaires pour avoir tout construit le jour venu.

Le Guardian a fait les comptes : 6.500 de ces ouvriers sont morts d’accidents du travail durant ces chantiers pharaoniques. Un véritable massacre ! Le chiffre, publié alors que la compétition approchait, a jeté un froid sur l’organisation, les cérémonies et le lancement médiatique de l’événement. De nombreuses voix se sont élevées pour les dénoncer. Bref l’opération « promotion du Qatar » était très compromise alors que la compétition allait commencer.

 

Une machine à corrompre

Le Qatar a alors remis en marche sa machine à corrompre pour tenter de désamorcer le scandale. Et il a trouvé pour ce faire le concours inattendu, mais massif, du groupe socialiste au Parlement européen, sous la houlette d’une partie de la délégation italienne connue justement pour son activisme dans la défense des droits de l’Homme. Ce volant très important de l’activité du Parlement européen depuis sa création a notamment débouché sur la création d’une sous-commission des Droits de l’Homme dont la présidence est très recherchée à gauche. C’est dans ce cénacle haut placé que les millions du Qatar ont réussi à s’introduire, obtenant plusieurs brevets de bonne conduite sociale malgré le bilan effroyable de ceux qui sont morts sur les chantiers pour que l’aberration écologique de cette Coupe du Monde de football puisse se dérouler. La « diplomatie sportive a fait que le Qatar a désormais réformé son droit de travail » a ainsi péroré en tribune la principale inculpée, vice-Présidente socialiste du Parlement européen, pour désamorcer l’indignation des députés et obtenir le rejet de la condamnation de l’Émirat qatari. On a trouvé 600.000 euros en espèces à son domicile !

Cette enquête de la justice et de la police belges fait s’effondrer la construction médiatique de façade d’un régime profondément despotique, malgré les milliards déversés. Mais elle malmène aussi la crédibilité du Parlement européen dont les engagements pour les droits de l’Homme sont une référence auprès de tous ceux qui dans le monde se battent pour la liberté.

La capacité démontrée par le Qatar d’acheter ceux qui sont en charge de la promotion des valeurs démocratiques de l’Europe est inquiétante pour l’avenir. Ou la réaction est immédiate et exemplaire, ou bien cela ira toujours plus loin.  •