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Le monde change

Par François Alfonsi

 

Plusieurs grands équilibres que l’on croyait établis pour durer sont en train de basculer sous nos yeux. Le monde change.

 

La tonitruante cérémonie d’investiture de l’aventureux Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale, économique et militaire, est le signe que les establishments sont vraiment en difficulté. Certes aux USA les apparences sont sauves qui maintiennent la structure politique de base du pays partagée entre Républicains et Démocrates. Mais la prise de contrôle du Parti Républicain par un chef iconoclaste, qui a fait de l’establishment son ennemi, et de la mise en tension jusqu’à la caricature l’expression systématique de sa gouvernance, signifie bien qu’une vie démocratique jusqu’ici plutôt bien huilée est devenue imprévisible.

L’obsession de Donald Trump est « Make America Great Again ». Remarquons au passage qu’à Washington on nomme les États Unis d’Amérique, qui ne couvrent que la moitié de l’hémisphère nord du continent américain, du nom du continent entier. Les propos de Donald Trump sur le canal de Panama ou sur le Canada découlent de cette propension largement partagée aux USA de vouloir dominer tout le continent américain.

 

Mais la volonté expansionniste des USA sous l’ère de Donald Trump ne s’arrête pas là. Dans ses déclarations euphoriques au lendemain de sa victoire, il a même annoncé vouloir annexer le Groënland. Dans cet espace arctique qui, au fur et à mesure de la fonte de la banquise et du réchauffement climatique, devient un enjeu stratégique pour les transports maritimes et pour l’exploitation de ressources minières, l’Amérique ne veut pas se limiter au seul Alaska.

Pour étendre son influence Donald Trump a une priorité : l’Europe. Car l’Europe semble à sa portée. Faute d’un sous-sol riche en minerais et en hydrocarbures, et très distancée dans la plupart des secteurs liés à internet, l’économie européenne a progressé moins vite, et l’écart s’est creusé au profit d l’Amérique. Elle fait face à une menace sécuritaire venue de la Russie, et elle est bien obligée de prendre acte, après trois années de guerre en Ukraine, de sa dépendance à l’Otan pour la contenir, faute de capacité industrielle et financière suffisante pour apporter un soutien décisif à l’armée ukrainienne.

Entre la Russie qui l’agresse et les USA qui la convoitent, l’Europe est face à un défi considérable.

Car à ses faiblesses économique et militaire s’ajoute un affaiblissement politique. Plusieurs Etats européens sont tentés de jouer leurs cartes en dehors de l’Union européenne, comme Viktor Orban en Hongrie, et une opinion publique se généralise pour soutenir un populisme d’extrême-droite idéologiquement dangereux. Le mois prochain les élections allemandes seront elles aussi affectées par la montée de l’extrême-droite. Cependant l’ossature politique principale du pays, CDU pour la droite et SPD pour les socialistes, tient encore bon et écartera probablement ces mouvements du pouvoir. Cela n’a pas été le cas en Autriche où c’est le leader de l’extrême droite qui mène actuellement les discussions pour former un nouveau gouvernement. Et si des élections avaient lieu en France, où les deux piliers de la politique traditionnelle se sont effondrés, Parti Socialiste et Les Républicains, il est à craindre que l’extrême droite, en progression constante depuis vingt ans, ne finisse par rafler la mise.

 

Comment finira la guerre en Ukraine ? La Russie en a fait un dossier existentiel pour son statut de grande puissance, et elle occupe 20% du territoire ukrainien, bien au-delà des territoires occupés en 2014.

Mais cela a des limites. Par exemple, l’invasion russe en Ukraine a eu pour effet de limiter la puissance russe dans son soutien au régime syrien de Bachar El Assad. Privé également du soutien du Hezbollah défait par la guerre contre Israël, le régime de Bachar El Assad ne tenait plus qu’à un fil. Il a été englouti en deux semaines à peine. Même processus en Afrique pour la milice Wagner, qui accompagne les officiers putschistes au Mali ou en République Centrafricaine, et qui a subi d’importants revers.

C’est ce genre de conséquences en cascade qui pourront convaincre Poutine de s’asseoir à une table de négociation, dès l’instant qu’il aura senti face à lui une coalition européenne déterminée et puissante.

En réalité, l’Europe ne peut compter que sur elle-même. •