Mafia en Corse

Un problème politique, un problème de société

La session de l’Assemblée de Corse qui s’est tenue vendredi 18 novembre a acté la nature politique de l’emprise mafieuse que connaît la Corse. Le pouvoir régalien de l’État est en échec notoire, avec des taux d’élucidation des nombreux meurtres liés à la mafia insulaire désespérément nul. Les pouvoirs concrets de la Collectivité de Corse sont faibles, mais l’influence de sa dénonciation unanime peut faire bouger une situation qui ne peut continuer et perdurer davantage.

 

 

Ce premier débat a rempli sa fonction : il a situé les enjeux et nommé avec clarté ce mal qui ronge la société corse et hypothèque lourdement son avenir, au plan économique et social, et aussi au plan politique car elle est un frein aux évolutions et à l’émancipation du peuple corse.

Il faut nommer ce phénomène, et il faut aussi le quantifier.

Autour de la session de l’Assemblée, les journalistes ont obtenu de l’État un chiffre qu’il faut mieux analyser. Il y a en Corse, selon un rapport de la Direction de la Police nationale, vingt-cinq bandes de caractère mafieux.

Cela représente donc au bas mot, en comptant 10 délinquants par bande organisée, 250 mafieux, et, autour d’eux deux ou trois fois plus « d’obligés », prête-noms, agents de blanchiment des fonds, proches plus ou moins embrigadés, et autres comptables occultes ou porteurs de valises. Au total donc mille individus à mettre en rapport avec une population de 350.000 habitants, dont une moitié de femmes dont on constate qu’elles sont très peu représentées dans les faits divers ou les tribunaux, alors que les statistiques sur les personnes concernées situent constamment les voyous dans la fraction masculine la plus « identitaire » de la population, pour une tranche d’âge allant de 20 à 60 ans. Ce qui, in fine, situe ces mille délinquants plus ou moins chevronnés dans un bassin de population affecté de 50 à 70.000 personnes.

Voilà la réalité que nous devons affronter : plus d’un homme corse sur 100 est finalement happé par les activités mafieuses qui sévissent en Corse, piégé par la drogue, victime ou auteur potentiel d’un assassinat, simple petite main ou redoutable chef de gang.

 

Un autre chiffre doit nous alerter : depuis quarante ans, Roger Antech, l’éditorialiste de Corse-Matin, annonce avoir répertorié environ 700 assassinats crapuleux. Soit une grosse quinzaine tous les ans, quand la région marseillaise, dix fois plus peuplée, et aujourd’hui réputée pour ses nombreux règlements de comptes, en dénombre une vingtaine par an depuis une dizaine d’années. Un pour cent en Corse, un pour mille à Marseille !

Certes ces chiffres sont de simples extrapolations à partir d’une des rares informations sorties des services de l’État, et les policiers et les juges en savent probablement bien plus que nous. Mais ils sont restés aux abonnés absents du débat lancé par l’Assemblée de Corse pour des raisons qui m’échappent totalement. Au vu de la situation que ces chiffres révèlent, et des résultats désespérément faméliques de l’action de la police et de la justice, on aurait préféré pouvoir interroger ceux qui en savent beaucoup plus que nous sur la réalité du fléau qui frappe la Corse. Mais une certitude est désormais établie : le niveau atteint par ce phénomène est insupportable pour une société démocratique.

On ne peut donc rester sans une réaction vigoureuse. Les collectifs anti-mafia ont préparé le terrain en alertant l’opinion avec énergie. L’assassinat de Màssimu Susini a été un déclencheur, plusieurs faits mafieux ont été mis sous les projecteurs, ce qui en a affecté les auteurs qui ont parfois dû reculer tandis que police et justice ont ainsi été amenés à intensifier leurs enquêtes et leurs démarches. Cette mobilisation doit monter en puissance. Trop de lascià corre conduirait la Corse au pire. Il est temps de changer de braquet, et il est temps que l’État sorte de sa tour d’ivoire pour qu’une action réellement efficace puisse être mise en œuvre. •