Hudson Institute

La seconde vie d’un secret d’État ?

par Max Simeoni
Le site Robba a publié le 27 avril 2021 sous le titre « In Memoriam Hudson Institute » un texte de Toni Casalonga narrant comment pour la première fois il est entré en possession du rapport de l’Hudon Institute. Brièvement je résume pour que les lecteurs d’Arritti comprennent pourquoi j’interviens.

 

Toni Casalonga reçoit un appel téléphonique d’un « ami » d’un ami, qui lui dit son nom avec une certaine réticence, Nicolas Secondi. Nous l’avions bien connu et rencontré souvent, surtout Edmond, comme sympathisant de l’ARC.

Toni Casalonga accepte un rendez-vous à Ponte Leccia. Nicolas Secondi lui remet le rapport de l’Hudson Institute qu’il lit d’une seule traite durant la nuit. Il s’agit d’un rapport fait par un organisme de prospective important siégeant à New-York commandité par la Datar en 1971 qui est attachée alors au Premier Ministre. La lecture le laisse « éberlué », essentiellement par les conclusions que les américains en tirent à propos du développement touristique.

– Pas de changement, frustration et violence irrationnelle.

– Invasion touristique, érosion de l’identité culturelle.

– Développement endogène souhaitable avec un accord Gouvernement et population, peu probable vu le manque de confiance.

 

La conclusion est : 1/ accélérer l’érosion de l’identité culturelle ou 2/ conserver et restaurer l’identité culturelle.

Il informe la Jeune Chambre économique de Balagne et avec Nando Acquaviva qui en est le Président entreprend une rédaction sur l’identité culturelle dans le cadre d’un développement touristique.

Or « l’impatient Nicolas Secondi ne voyant rien venir » avait donné un deuxième document à Max Simeoni qui ne croyant pas à l’option 2/ avait publié dans Arritti la terrifiante option 1/. Ce que « dépités » ils découvrirent un jour. Après ce rappel du texte de Toni Casalonga dans le site Robba, vous comprendrez mieux mon désaccord qui ne porte que sur l’appréciation qui en résulte. Il y est suggéré que l’impatience de Nicolas et ma brusquerie à ne dénoncer que l’option 1/ serait à l’origine de l’échec de l’option 2/. Serais-je impulsif et paranoïaque ?

 

Mon vécu de cette histoire est tout autre. Ce rapport a été présenté et analysé dans le premier Autonomia publié par l’ARC en juin 1974. Aleria en août 1975 entraînera la dissolution de l’ARC et un deuxième Autonomia sera publié par l’UPC en juin 1991 pour rendre compte des évènements survenus après Aleria. Les deux livres de 200 pages publient des données chiffrées que les rédacteurs ont dû s’assurer de recouper pour les analyser. Il a fallu du temps car l’administration de l’État jacobin avait tendance à ne pas trop les communiquer. Dans Autonomia de 1974, 60 pages sur les prévisions du Schéma d’aménagement (1971-1984), donc pour 15 ans, y figurent aussi des cartes illustrant ce plan (réseau routier, réseau hydraulique, terres gelées ou construites par les promoteurs). Le rapport est présenté avec ses scénarios. Il explique la manœuvre de la Datar qui le voulait secret par contrat avec l’Hudson Institute.

Ce Schéma est approuvé par le Comité interministériel du développement du territoire le 27 août 1971, le Conseil des ministres l’adopte le 4 août. L’Hudson Institute avait enquêté sur l’île en juin et juillet 1970.

Sans connaître le rapport, les Corses avait perçu le danger du Schéma d’aménagement suite à des semblants de consultations d’organismes choisis par l’administration dont les avis ne sont pas pris en compte. La protestation fût générale. Le Conseil général auquel il avait été soumis, le défigura totalement en y apportant 27 amendements.

La réponse fût tranchante. Les agents du gouvernement se répandirent en propos lénifiants mais mensongers, « un monument d’hypocrisie ». La conclusion d’Autonomia « la mort du Peuple Corse » car il n’est plus maître de ses ressources, ni des leviers de son économie, il est donc colonisé… s’il devient minoritaire sur son sol historique, il disparaît, il est un Peuple mort. Et in fine du chapitre « Centralisation. Colonisation. Élimination. Il aura fallu deux siècles à l’État français pour parvenir à ses fins. » Oui que deux siècles !

 

Ce Schéma d’aménagement avait été présenté comme devant permettre à la Corse d’accéder à la prospérité dans la modernité. Or très vite une fuite permis à l’ARC de le dévoiler aussitôt le 11 novembre 1971 dans une conférence de presse puis en faire une large diffusion. Cela porta à la connaissance du Peuple Corse et à toute l’opinion continentale la manœuvre cynique et hypocrite de la Datar et de l’État républicain jacobin. La preuve sous les yeux, pris en flagrant délit, la main dans le sac…

Toni Casalonga se trompe quand il dit que Nicolas Secondi a été « impatient ». Je l’ai connu assez pour savoir que ce n’était pas dans son caractère. Tout au contraire il était réfléchi, très averti par sa formation, et par son expérience professionnelle. Il a voulu tirer une sonnette d’alarme dans l’urgence. Quoique prudent il a pris des risques personnels par amour de la Corse. C’est pourquoi nous n’avons jamais cité son nom même après sa mort qui ne remonte qu’à quelques années.

 

Le CEDIC en 1964, l’ARC vite à sa suite et bien d’autres nationalistes ont participé depuis longtemps à informer la véritable nature coloniale du lien de l’île et de son Peuple avec la République des jacobins. Les Corses ont cru devoir être reconnaissants. Ils ont pris longtemps les mensonges d’État pour argent comptant. Ils ont pensé que leur île était irrémédiablement naturellement pauvre. Elle était un réservoir d’hommes qui a été vidé pour les guerres et l’Empire colonial. Les prémisses économiques de la construction européenne amènent les gouvernants à rentabiliser leurs territoires par les PAR, plans d’action régionale. L’île vidée est destinée au tout tourisme. Elle est affublée de la Somivac pour son développement agricole. Ce sera une agriculture moderne de rendement en plaine qui servira à accueillir l’exode des Pieds Noirs, compatible avec le tout tourisme tel qu’il apparaît dans le Schéma d’Aménagement de la Corse de la Datar.

 

Il a fallu plus de 50 ans pour que les nationalistes gagnent des élections importantes (municipales de Bastia et 3 ans après majorité absolue à la CdC en coalition). Tout a été prévu dès les débuts des premiers pas du CEDIC 1964 puis de l’ARC. Le traitement colonial et les solutions pour en sortir, l’autonomie pleine et entière et la reconnaissance du Peuple Corse dans la Loi.

S’il est long et difficile d’extraire une telle vérité et de faire comprendre les processus cachés et cyniques d’un tel système depuis une opposition, on peut se demander avec inquiétude comment les nationalistes qui ont pris le relais se laissent piéger par un électoralisme qui dans le cadre des institutions actuelles ne peut être que stérile et fait perdre de ce temps qui travaille contre leur Peuple en voie de disparition. Un seul mot, l’aveuglement. La maladie s’aggrave. Ce tourisme non contrôlé est mortel. La majorité des coalisés n’a pas prise. Elle va s’user à gérer quelques inconvénients.

On va voter en vain, à moins d’un miracle, ou à moins que Gilles Simeoni et les autres leaders n’aient dans leurs manches des cartes cachées qu’ils abattront le moment venu. En attendant il faut voter sans hésitation même au second tour s’il y a lieu. En attendant que le cornu ribomba d’un pughjalu à l’altru.