Solidarité Corse Ukraine

« Nous sommes prêts à payer de notre vie pour être libres »

Nataliya Santoni a fondé Solidarité Corse Ukraine, une association pour venir en aide au peuple ukrainien depuis l’invasion russe en février dernier. Arritti lui avait consacrée une interview au mois de mars. Elle nous racontait son Ukraine, les horreurs de la guerre et la mise en place de l’association.
Après six mois de conflit, nous avons souhaité refaire un point. Au moment de nous faire parvenir ses réponses, Nataliya quittait précipitamment la Corse pour se rendre au chevet de sa maman victime d’une chute en Tchéquie alors qu’elle rentrait au pays. Malgré sa douleur et bien que devant subir une opération, cet accident lui a peut-être sauvé la vie. Sa maison à Dnipro a été détruite dans un bombardement… C’est le quotidien des Ukrainiens depuis des mois. Nataliya a perdu des parents, des amis dans cette guerre. Elle œuvre au quotidien pour aider les réfugiés. Soutenez ses efforts, votre don permettra de sauver des vies !

 

 

Voilà plus de six mois que l’Ukraine est en guerre, des villages entiers ont été détruits, tant de gens ont perdu la vie, vous retournez régulièrement là-bas, quel est le témoignage d’une Ukrainienne qui a le cœur qui saigne ?

Voilà plus de six mois que je ne fais que compter les jours de ce cauchemar !
Avec l’association, nous avons fait quatre missions en Ukraine, mon époux et moi-même au volant de nos propres voitures. Avec l’aide des donateurs, nous avons rassemblé le matériel médical et nous le ramenons à l’ouest d’Ukraine (Ouzhgorod), dans la ville où je suis devenue médecin et où j’ai travaillé comme médecin. Avec l’aide du Docteur Canarelli nous avons pu obtenir de nombreux médicaments tels que des AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens), des corticoïdes, des antidépresseurs, contre l’épilepsie, des antibiotiques, des anticoagulants ou encore des antidiabétiques oraux, ce qui n’a pas de prix dans les pays en guerre telles que l’Ukraine.
Il ne faut pas oublier la médecine militaire, mais également les besoins de la médecine civile, la plupart des maladies telles que l’hypertension artérielle, l’infarctus de myocarde, diabète, épilepsie, appendicite et encore des milliers d’autres n’ont hélas pas disparus.

 

Vous fournissez également du matériel chirurgical ?

Oui, pour la chirurgie viscérale, la chirurgie cardiaque ou une chirurgie vasculaire à l’aide de Clinisud ainsi que tous les ustensiles telles que les colostomies, les sondes urétrales ou les sacs de recueil d’urine, de nombreux pansements de toutes sortes : contre les escarres, hémostatiques, pour les petite et moyennes plaies, qui ont été transportés lors de chaque mission en Ukraine.
Je voulais aussi aider au niveau du SAMU. On nous dit qu’il y a des déplacés ukrainiens au sein du pays-même. Pour comprendre, sur la petite ville d’Ouzhgorod, dont je suis originaire, qui compte 100.000 habitants (données du mois d’août) il y a actuellement 150.000 réfugiés, c’est-à-dire que les déplacés sont plus nombreux que les habitants de la ville initiale. En revanche, il y avait cinq voitures de SAMU, et il y en a toujours 5 aujourd’hui.
L’un de nos généreux donateurs (Corse Oxygène) nous a permis d’avoir un concentrateur d’oxygène avec les bouteilles que l’on peut remplir d’oxygène sur place ; ces bouteilles d’oxygène sont transportables dans les voitures de SAMU. Cela va sauver des vies de civils, des femmes, des vieillards, des enfants ; bref, ceux qui ont besoin d’être transportés jusqu’à l’hôpital pour être pris en charge.

 

L’aide des Corses est donc déterminante ?

Tout à fait. Avec l’aide financière des Corses on a réussi à trouver et à acheter deux échographes ultra-portables équipés de plusieurs sondes échographiques aussi bien au niveau cardiologique (cœur, carotide et vaisseaux) qu’au niveau abdominale et des tissus mous des quatre membres du corps.
Sur ces deux échographes : l’un est resté à l’hôpital d’Ouzhgorod, au service des cardiologues pour faire les échographies cardiaques pré-opératoires sur place, et le deuxième : est partie au front pour sauver des vies de nos garçons au combat, c’est ça qui est vraiment nécessaire pour les soldats blessés.

 

Comment récoltez-vous l’argent nécessaire ?

Étant donné que ce matériel est coûteux, actuellement il y a un crowdfunding sur la Corse, justement pour pouvoir récolter de l’argent et acheter encore un ou deux échographes de ce style qui coûtent environ 3000 € l’un.
Par ailleurs sur les donations financières des Corses (et je souhaite préciser qu’il s’agit de Corses de la France entière !!!) nous avons pu aider de jeunes bachelières dès cette année.

 

C’est-à-dire ?

Nous avons cinq jeunes filles réfugiées ukrainiennes qui ont pu poursuivre leurs études à l’université de Corti. L’université a ouvert ses portes en mettant en place le diplôme universitaire FLE (français langue étrangère) et ils nous ont proposé cette formation pour les ukrainiens qui ne parlent pas français. L’association a pu prendre en charge les frais scolaires de ses étudiantes et l’année universitaire a commencé le 20 septembre. Par ailleurs, nous avons une autre bachelière qui a souhaité rejoindre l’école supérieure de graphisme à Toulon étant donné que sa passion et son talent est le dessin. Cet été, elle a fait un travail remarquable et elle a été acceptée uniquement grâce à ses dessins. Sa maman nous a sollicités pour la prise en charge des frais scolaires et d’admission.

 

Comment va le moral pour les réfugiées en Corse ?

Pour ce qui concerne les réfugiées ukrainiennes en Corse (99 % sont des femmes), initialement elles souhaitaient rester quelques mois en pensant que la guerre allait finir assez rapidement. Aujourd’hui, elles comprennent que l’année prochaine elles seront toujours en Corse, que c’est un minimum, et que malgré la guerre et la situation difficile en Ukraine la vie doit continuer. Ce que je vois tous les jours, c’est que ce sont les enfants leur moteur, ce sont eux qui montrent que la vie continue et qu’il faut avancer. Les trois quarts de ces réfugiées travaillent depuis le mois de mai ou juin. Du travail peut-être pas très gratifiant parfois, mais chacune d’entre elles essaie de faire le maximum pour s’intégrer.

 

Comment font-elles pour surmonter la barrière de la langue ?

Les premiers mois, j’étais sollicitée ainsi que tous les Ukrainiens de l’association pour les aider dans les traductions dont elles avaient besoin, en commençant par les papiers à la préfecture et ceci plusieurs fois par semaine, voire par jour. Aujourd’hui elles se débrouillent plutôt bien. Depuis le mois de septembre, Je n’ai eu aucun appel de la préfecture, de la CPAM ou de Pôle Emploi pour demander mon concours linguistique pour traduire ou pour aider. Pour moi, c’est une preuve indirecte qu’elles sont volontaires, elles participent et elles souhaitent vraiment intégrer la société qui les accueille.

 

Racontez-nous votre quotidien à Solidarité Corse-Ukraine, ce que cela implique comme investissement…

Le quotidien ? Je ne sais pas. Je n’arrive pas à dormir depuis le mois de février. J’ai perdu mon cousin germain et mon neveu à Severodonetsk. Cinq de mes amis très proches ne verrons pas grandir mes enfants. Avec mon mari, on essaye de protéger au maximum nos enfants, âgés de 4 et 6 ans, mais en 6 mois, ils sont devenus vraiment « adultes ». Ils m’aident à faire des cartons de médicaments, inventent des jeux pour les enfants ukrainiens qui sont actuellement en Corse. La grande parle couramment l’ukrainien et le russe, le petit apprend.
Je ne compte pas le nombre de personnes avec qui je discute ou que je rencontre. C’est beaucoup de temps mais l’association est un plus dans cette tourmente, et c’est ce qui compte.

 

Quelles sont vos futurs projets ?

Parmi les projets, mon mari partira avec la prochaine mission. Initialement, c’était prévu pour maintenant, mais… à l’heure actuelle, je me trouve dans Teplicy (frontière entre la République Tchèque et l’Allemagne) car ma mère, en voulant rentrer en Ukraine, s’est cassé le col du fémur. Elle n’est pas transportable et doit être opérée ici. Je suis auprès d’elle. Hier, les Russes ont bombardé Dnipropetrovsk, la ville à l’est où devait se rendre ma maman. Je vous laisse des photos de ce qui reste de la maison de mes parents… voilà le quotidien de la guerre. Des amis m’ont envoyé des photos du bombardement d’un convoi de civils à Zaporijia qui a fait plusieurs dizaines de victimes. Il y avait des enfants, des femmes… j’en ai pleuré.

 

Vous lancez un nouvel appel à la solidarité ?

Oui. Le fil de la guerre est l’argent et nous en avons besoin !!! Il y a le crowdfunding pour l’achat d’appareil d’échographie. Il y a aussi possibilité de nous faire un virement. Le froid est arrivé en Ukraine et nous avons besoin de l’aide de tous.
Je veux ajouter une petite précision personnelle : le peuple corse et la Corse ne sont pas pour nous qu’une terre d’accueil avec des paroles ! Nous partageons les mêmes valeurs d’identité et nous sommes prêts à payer de notre vie pour être libre. Au travers de l’Europe entière, où j’ai moi-même vécue dans pas moins de 6 pays différents sans compter la France, je n’ai jamais vu autant de compassion, de fraternité, de compréhension et de solidarité qu’avec les Corses. Et pour cela, je remercie chaque jour, depuis 18 ans où j’ai écouté mon instinct et suis restée en Corse alors que je ne devais y être que de passage.
Je veux remercier les mères corses pour donner une telle éducation à leurs enfants, qu’elles n’oublient pas d’expliquer les valeurs essentielles de la vie, les origines et l’histoire de leur pays. Comme le montre la situation actuelle, c’est primordial !!! •

 

Pour vos dons par chèque : Association Solidarité Corse-Ukraine, Nataliya Khobta Santoni, Lotissement L’Oliveraie, Trova, 20167 Alata.

Pour le crowdfunding sur move.corsica : https://bit.ly/3Ekgj5L