Jean Louis Blenet, président de l’ISLRF

« Ce qu’il faut gagner, c’est que les jeunes parlent entre eux dans leur langue »

Scola Corsa invitait en Corse du 8 au 12 novembre, Joan-Lois Blenet, Président de l’Institut Supérieur des Langues de la République Française, un institut de formation professionnelle pour fournir les maîtres du réseau d’enseignement immersif en langues régionales. Il est également vice-président de Calandreta, école d’enseignement immersif en langue occitane créée il y a plus de 40 ans et était accompagné de Bernardetta Boucher… coprésidente de la Fédération Lengadoc des Calandreta. Jean Louis Blenet était au démarrage de cette belle aventure – « Je voulais que mes enfants parlent occitan » explique-t-il – et il en a connu toutes les difficultés. Cette longue expérience, Scola Corsa, le réseau d’enseignement immersif en langue corse, en bénéficie aujourd’hui. La filière corse adhère à la fédération Eskolim et à son centre de formation des maîtres, l’ISLRF, qui regroupe toutes les écoles en langue régionale, du breton (Diwan) au basque (Seaska), en passant par le catalan (Bressola), l’alsacien (ABCM) et l’occitan (Calandreta). L’arrivée de Scola Corsa est un plus dans le réseau qui gagne en dynamique. C’est connu, l’union fait la force et cette solidarité permet de franchir plus sûrement les embûches ensemble. Interview.

 

Un point sur Calandreta, ses effectifs élèves-enseignants ?

Calandreta démarre en 1979 avec la création de l’association. Les premières écoles ouvrent en janvier 1980 à Pau, puis à Béziers quelques mois après. Beaucoup de difficultés au début mais un grand cap est franchi quand François Bayrou décide d’intégrer les écoles dans le cadre de la loi de 1959 qui nous donne un caractère propre permettant de contractualiser avec le Ministère de l’Éducation Nationale, c’est-à-dire de prendre en charge le salaire de nos enseignants. Aujourd’hui Calandreta est une grande petite chose. Il y a 65 écoles, 4 collèges et un début de lycée, avec 21 lycéens. À peu près 4000 enfants sont scolarisés avec plus de 270 enseignants, dont la très grosse majorité (environ 230) est payée par l’État. En tout, plus de 700 personnes travaillent aux Calandretas. Mais si l’on compare au pays, c’est tout petit, puisque l’Occitanie est très vaste. On travaille sur 19 départements sur les 32 occitans. On a six rectorats. Tout ça est dérisoire par rapport à la situation linguistique et aux besoins, mais on représente quand même quelque chose. Cela démontre qu’il y a du monde s’il y a une offre de qualité : l’occitan n’est pas une gêne et même peut attirer du monde !

 

Quelles sont vos zones fortes ?

Le bas Languedoc, l’Hérault, l’Aude. On a 750 enfants à Montpellier par exemple. Ce qui prouve que dans un endroit assez désoccitanisé, parce que c’est colonisé de tous les côtés, du sud au nord, on peut arriver à faire quelque chose, il y a un petit impact social. À Montpellier, si on avait les moyens, on pourrait avoir facilement 2000 enfants. Il y a un autre focus dans la région autour de Toulouse avec un millier d’enfants, un quart des calandretas. Le Béarn est un endroit fort aussi, il doit y avoir 500 jeunes. Ce sont les trois zones de force. Le reste est assez dispersé. On a trois écoles en Auvergne, avec des projets, on a trois écoles en Provence qui est pourtant un grand pays avec 5 millions et quelques habitants.

 

Comment nait l’idée de monter une école d’enseignement immersif en occitan ?

Beaucoup grâce à l’exemple basque. La première école est sortie à Pau où il y avait déjà depuis quelques années des ikastolas. Les gens se sont dit puisque les Basques le font, pourquoi on ne le ferait pas ? L’idée était aussi de transgresser la croyance en la Sainte Éducation Nationale. L’Éducation Nationale t’assassine, mais pour certains il est interdit de faire en dehors d’elle ! C’est une perversion de l’esprit car l’objectif c’est de sauver notre langue. Calandreta est partie sur une double hypothèse. Des gens comme moi voulaient qu’il y ait une école, d’autres disaient on demande à l’État. Mais quand tu as un enfant, tu sais que lorsqu’il aura trois ans, il faut qu’il entre à l’école, tu ne peux pas attendre les réponses de Monsieur l’Inspecteur d’Académie, sinon tu attends qu’il soit barbu ! Il y a eu aussi la génération 68 et ses événements, toutes sortes d’initiatives sont nées dans la foulée, et c’est dans cet élan que les gens se sont dit « on fait ». On a créé du théâtre en occitan. On s’est dit il faut que notre société, chez nous, réfléchisse, fasse sa culture. De la même façon, on a créé des écoles. Calandreta est né comme ça, mais il a fallu très longtemps, et que je bouscule le mouvement pour qu’on fasse du secondaire.

 

C’est-à-dire ?

À la différence des Basques et des Bretons, on n’est pas parti en se disant on monte un système d’enseignement. Nous on s’est dit on pousse l’État à prendre la suite, on prend les devants. C’est ce qui a donné le courage de transgresser parce que les Occitans sont légitimistes et attendaient après l’État. Le démarrage s’est fait comme ça, avec la particularité que sur le Languedoc il y avait un noyau de gens qui réfléchissaient à la pédagogie.

 

Justement, quelle pédagogie prônez-vous ?

Il y a une tradition pédagogique en Occitanie avec Célestin Freinet (1896-1966), et à Béziers, cette tradition était très forte, avec notamment un théoricien qui était très intéressant sur la pédagogie institutionnelle, qui est une suite de la pédagogie Freinet. Notre première enseignante à Béziers était titulaire de l’enseignement privé, elle a démissionné pour créer Calandreta avec cette idée qu’il faut associer la langue et une pédagogie innovante. Une pédagogie qui est toujours en recherche du mieux, qui est coopérative et correspond à ce qu’on fait dans l’association, à ce que l’on souhaite de la société. Tout ça a créé beaucoup d’attractivité autour de Calandreta parce que le gros problème chez nous en Languedoc, à la différence du Béarn, c’est que la langue n’est pas aussi légitime qu’en Corse. La colonisation, l’éradication culturelle sont très anciennes chez nous, la constante de l’État français dans toutes ses composantes – monarchie, empire, république – c’est on tue les langues. Ce sont des bandits et un bandit essaie toujours d’effacer toutes les traces du fait qu’il a volé ! Les langues ce sont des traces de son vol.

Aussi notre langue est si peu légitime qu’il faut montrer qu’elle est le levier d’intelligences, on essaie toujours de s’améliorer. C’est comme ça que Calandreta a été à l’initiative de la formation des maîtres.

 

Une sacrée ambition, racontez-nous…

Dès que nous avons eu un peu de moyens et un peu plus de marges de manœuvre, à partir de 92-93, on a pu mieux travailler avec la région et on a progressé. On a crée le CFPO, Centre de Formation Professionnelle pour l’Occitan et obtenu un crédit de formation professionnelle pour former des maîtres. On a commencé à organiser des stages toute l’année. Puis, avec les accords pour la contractualisation de Bayrou, les Basques signent en 93. Nous un an après, en 94, parce qu’il y avait dans l’accord de contractualisation « école privée », et que l’on a voulu faire marquer « école associative et laïque ».

 

Pourquoi l’administration ne voulait pas que vous notiez « laïque » ?

Allez comprendre ! Ils pensent qu’ils ont le monopole de la laïcité. Or le monopole ça n’est pas l’État, l’État n’est garant de rien, on l’a bien vu en 40 ! C’est la société qui est garante de la laïcité. Nos écoles sont gratuites et laïques.

Dans l’accord de contractualisation, il était noté que nous devions former nos enseignants à l’IUFM. Pour nous c’était une mauvaise solution car l’IUFM fait tout en français, avec une pédagogie qui ne nous convenait pas. De plus ils nous détestaient et ont refusé de respecter l’accord. Donc nouveaux rendez-vous au ministère pour revendiquer notre propre centre de formation des maîtres. In fine, cette haine nous a beaucoup aidé : on a pu créer le CFPO qu’on a pu faire agréer « établissement d’enseignement supérieur » avec toute la réglementation qui l’accompagne, conseil scientifique, Docteurs, etc. On a de même créé Aprene en 1995, qui est notre antenne de l’ISLRF.

 

Qu’est-ce que l’ISLRF ?

Nous sommes allés voir les autres collègues des filières d’enseignement immersif en langue régionale. Il fallait la surface suffisante pour avoir un statut dérogatoire avec l’État. J’ai convaincu, les Basques, les Bretons, les Catalans et c’est ainsi qu’on a créé l’ISLRF, Institut Supérieur des Langues de la République Française, en 1997 après moult déplacements et travail de diplomatie auprès du ministère. Avec quatre langues on a pu prendre de l’ampleur et l’ISLRF est aujourd’hui reconnu très officiellement. Comme il y a un concours public et un concours catholique, il y a un concours ISLRF. Avec des postes pour chacun.

Et puisqu’il y a aussi des débats plus politiques, par rapport aux avancées de nos langues, et qu’il ne fallait pas perturber le fonctionnement plus technique de l’ISLRF, on a créé Eskolim, qui fédère l’ensemble des réseaux d’enseignement immersif en France. Les alsaciens nous ont rejoint en 2001 parce que leur stratégie initiale reposait sur le seul bilinguisme. Quant à Scola Corsa, elle nous a rejoint l’an dernier.

 

Il y a donc un diplôme ISLRF. Qui le délivre ?

Autrefois on était maîtres de nos diplômes. Désormais c’est l’État qui valide les concours. En France il y a la liberté d’enseigner, mais on ne peut pas diplômer, c’est absurde ! Un établissement d’enseignement supérieur peut préparer à un diplôme, mais pour qu’il soit reconnu, il faut qu’il y ait une convention avec un établissement public. Donc des accords se sont fait avec des universités. Pour notre part, nous avons travaillé avec l’université de Perpignan, pour toutes les langues, breton, basque, alsacien, catalan et occitan. Mais la réforme Hollande a recentralisé et redonné le monopole aux INSPE, Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation. Par exemple à Montpellier, il y a 5 universités mais un seul INSPE. Pour nous c’est compliqué car nos maîtres lors de leur formation doivent impérativement travailler les matières dans la langue régionale, et certaines INSPE ont refusé d’enseigner dans une langue autre que le français. Ils acceptent l’anglais en anglais mais pas le reste ! Le Conseil constitutionnel dit qu’il faut se borner à enseigner les langues. Or nous, non seulement nous les enseignons mais nous les employons ! Tout est dit de la bêtise pédagogique française !

 

Comment avez-vous contourné ce problème ?

Nous avons trois accords. Un accord avec l’INSPE de Rennes pour le breton, et Kelenn qui est l’antenne de l’ISLRF pour le centre breton basé à Quimper. Pour le basque, il y a un accord avec l’INSPE de Pau-Bordeaux qui a refusé de faire les formations en occitan. Toulouse a également refusé, Montpellier a refusé pour l’occitan et le catalan et Strasbourg a refusé pour l’alsacien. Nous nous sommes donc tourné vers l’Université de Corse qui a accepté de signer un accord pour les trois langues en difficulté, occitan, catalan et alsacien. Depuis 2018 nous faisons nos formations dans ces langues. C’est surtout Aprene qui est la cheville ouvrière de ces formations au nom de l’ISLRF avec l’INSPE de Corse qui valide nos diplômes. Scola Corsa s’intégrera dans cette construction.

 

Ces accords sont en renégociation en ce moment ?

Oui, on travaille à une nouvelle réforme. On a rencontré le réseau des INSPE, il y a des évolutions dans notre prise en compte et j’ai bon espoir que l’on arrive à un meilleur accord qui comprenne qu’il est nécessaire de former en langue régionale les enseignants qui sont appelés à enseigner dans les centres immersifs.

 

Comment voyez-vous l’arrivée de la Corse au sein du réseau Eskolim et ISLRF ?

C’est une excellente chose ! Il y a 20 ans on est venu ici, et on y est revenu plusieurs fois mais chaque fois ça a été non à l’enseignement immersif. C’est une erreur majeure. Mais j’ai toujours pensé que la Corse sortirait de son sommeil pour nous rejoindre. Aujourd’hui vous avez la parité horaire de façon massive et vous vous rendez bien compte qu’elle est très loin d’être suffisante. Nous c’est ce qu’on dit depuis toujours. On a des collectivités qui aident, comme la région Occitanie, mais pas au niveau des institutions corses. On est très loin du niveau des bretons, et je ne parle pas du niveau des basques. Aussi on est extrêmement contents de l’arrivée des Corses dans le dispositif. Ça valide totalement nos thèses qui ont toujours dit que la parité horaire ne suffisait pas et que l’immersion permettait de reconquérir la langue.

 

Votre message à Scola Corsa ?

Il faut que vous ayez une méthode pédagogique qui soit en rapport avec votre objet : la reconquête de la langue pour qu’elle fonctionne. Une pédagogie de type coopératif fait que les enfants parlent la langue. Parce que ce qui est important, ce n’est pas qu’un enfant parle à un adulte, c’est qu’un jeune parle à un jeune. Ce qu’il faut gagner c’est que les jeunes parlent entre eux dans leur langue. •

 


 

Sustenite à Scola Corsa !

Comme Calandreta, Seaska, Diwan, Bressola ou ABCM, Scola Corsa est une filière associative d’enseignement immersif. Associatif, cela veut dire qu’elle n’a que les moyens qu’elle se donne à son démarrage. À savoir le soutien du peuple corse, les écoles étant gratuites pour les parents.

Ce n’est que lorsqu’elle obtient la contractualisation avec le ministère de l’Éducation nationale que les salaires des enseignants peuvent être pris en charge. Auparavant, tout est à sa charge : salaires enseignants, aides-maternelles, locaux, matériels pédagogiques, etc.

Les parents, constitués en association, veillent au bon fonctionnement de l’école et lui procurent des moyens par l’organisation de kermesses et autres animations.

La Fédération Scola Corsa fournit les moyens manquants, et s’appuie pour cela sur l’appel aux dons qu’elle lance auprès des collectivités, des entreprises, de la population.

Vous êtes une commune, une entreprise ? Adressez votre soutien ! Vous êtes un particulier ? Adressez votre don !

Par chèque à Scola Corsa, BP 12, 20416 Ville di Petrabugnu.

Par CB à : www.helloasso.com/associations/scola-corsa