Internaziunale

Le Kurdistan sous les bombes turques

Le Kurdistan de Syrie est sous la menace imminente d’une invasion par l’armée turque. L’attentat commis à Istanbul le 13 novembre dernier, attribué par Ankara à une ressortissante kurde de la ville de Kobané, sert de prétexte à cette invasion programmée depuis longtemps par Recep Tayipp Erdogan. Mais la vérité de cet attentat commence à être révélée. Les Kurdes ont nié toute responsabilité, et, progressivement, la responsabilité des forces affiliées à Ankara est révélée par les informations qui finissent par sortir. Le scénario d’une provocation sciemment orchestrée pour créer les conditions pour qu’une telle invasion soit acceptable pour les puissances qui contrôlent la Syrie, principalement les USA et la Russie, est de plus en plus crédible.

 

 

La femme arrêtée par la police turque, accusée d’avoir déposé la charge explosive qui a causé la mort de six personnes et plusieurs dizaines de blessés dans une des rues les plus passantes de la plus grande ville de Turquie, a été présentée par la police turque comme « venant de Kobané », dans le Kurdistan syrien, et ayant avoué et dénoncé le PKK et les YPG, les mouvements kurdes armés de Turquie et du Rojava, comme les commanditaires de son acte.

Les Kurdes ont aussitôt démenti avec vigueur toute implication dans cet attentat.

Depuis les informations arrivent qui éclairent cet attentat d’un jour tout à fait différent.

Le Monde du 23 novembre explique ainsi : « les zones d’ombre de l’enquête sur l’attentat du 13 novembre ont suscité des interrogations sur les liens supposés entre les différents protagonistes. On apprend ainsi par le quotidien pro-gouvernemental Sobah que le frère de la principale suspecte arrêtée, Alhan El Bashir, est un haut gradé de l’Armée Nationale Syrienne, une coalition de rebelles soutenue par Ankara. Outre le fait que les principaux groupes kurdes ont tous nié être impliqués dans l’attaque de l’avenue Istiklal, plusieurs sources syriennes suggèrent que la jeune femme serait également liée à la Brigade Sultan Mourad, composée de djihadistes turkmènes armés. »

Paru juste après Le Monde, le quotidien Ouest-France ajoutait l’information que cette femme avait fait de la prison au Rojava pour espionnage au profit de la Turquie.

De la sorte la version de la police turque, déjà peu crédible, s’effondre chaque jour davantage, et le soupçon se développe d’une implication des services secrets turcs dans la commission de cet attentat.

De tels scénarios ont des précédents. On se souvient de l’attentat de mars 2004 dans le réseau ferré espagnol à Madrid qui avait fait 200 morts. Le Premier Ministre espagnol, José Maria Aznar, avait aussitôt accusé l’ETA basque et annoncé une répression féroce. En fait les auteurs étaient des terroristes islamistes comme l’enquête l’a finalement établi, et Aznar a perdu les élections qui étaient en cours.

Plus explicite encore est le précédent de la Russie lors de l’invasion de la Tchetchénie le 23 septembre 1999. Cette guerre a fait plusieurs dizaines de milliers de morts parmi les civils et elle a porté au pouvoir le dictateur Ramzan Khadirov, un des plus fidèles et puissants soutiens de Vladimir Poutine. Pour la justifier, Vladimir Poutine s’était appuyé sur la dénonciation d’attentats survenus trois semaines auparavant au Daghestan, ayant fait 300 morts, attentats qu’il avait attribués aux séparatistes tchetchènes. La veille de l’invasion un autre attentat a été déjoué à Ryazan, ville située au sud-est de Moscou, grâce à la vigilance d’un habitant qui avait repéré les charges qui devaient détruire l’immeuble où il vivait. La bombe désamorcée contenait un explosif (l’hexogène) fabriqué exclusivement par le FSB, les services secrets russes. Plusieurs enquêtes indépendantes ont ensuite démontré l’implication du FSB dans tous ces attentats, notamment par la célèbre journaliste Anna Politkoskaia qui a été assassinée par les services secrets de Poutine en 2006. Un mois plus tard, l’écrivain Alexandre Litvinenko qui avait dénoncé la responsabilité du FSB dans ces attentats dans un livre édité à Londres, Blowing up Russia, était assassiné au polonium à son domicile londonien.

Qu’Erdogan ou ses fidèles soutiens soient capables de faits identiques ne serait pas vraiment surprenant. Les premiers bombardements sur les positions kurdes ont commencé aussitôt l’attentat commis. Seule une intervention de la communauté internationale pourrait enrayer son plan. Les premières révélations sur l’autrice de l’attentat d’Istanbul doivent amener à une vive réaction si elles sont confirmées. Car les bombardements continuent de tuer de nombreux kurdes dans tout le territoire du Rojava.

En décembre, lors de la session de Strasbourg, le Parlement européen tiendra un débat sur la situation en Turquie et en Syrie. •

François Alfonsi.