Michel Castellani, député de la 1re circonscription de Haute-Corse

« Nous sommes les avocats de notre peuple ! »

Sur la page officielle de présentation du Palais Bourbon, il figure parmi les 150 députés les plus actifs de l’Assemblée Nationale, que ce soit par sa présence physique, par ses interventions dans l’hémicycle ou en commissions, par les amendements déposés, sa participation aux votes, ses questions au gouvernement… Chjìbba ! Et dire que certains pensaient qu’un député nationaliste corse ne serait d’aucune utilité à l’Assemblée Nationale ! Il donne même son nom à la loi attendue depuis 29 ans sur le gel désormais de toutes compétitions professionnelles de football un 5 mai, en hommage aux victimes mais surtout afin de combattre les dérives du foot business et de faire évoluer à terme les mentalités dans ce sport.
Élu en 2017, le mandat de Michel Castellani touche à sa fin. « Je n’ai aucune raison de ne pas me représenter » confiait-il récemment à la presse insulaire. Et au vu de son bilan, c’est une bonne nouvelle ! Malgré les blocages et le mépris affichés par le gouvernement, le peuple corse n’a jamais été aussi bien représenté depuis qu’il siège avec deux autres nationalistes corses au Palais Bourbon. Interview.

 

C’est votre premier mandat au Palais Bourbon et déjà votre nom est donné à une loi. Et quelle loi ! Aboutissement de près de 30 années de lutte pour la reconnaissance du terrible drame de Furiani qui a marqué au-delà de la Corse. Une satisfaction ?

Quand je pense à ceux qui ne sont plus et à tous ceux qui souffrent dans leur chair et leur âme, je ne peux qu’être satisfait d’avoir mené à bien cette promesse que j’avais faite au collectif du 5 mai, et que je m’étais faite. Il a fallu patiemment expliquer, pour obtenir l’unanimité des groupes, et aussi résister à la pression des instances du foot français. Il faut remercier Liberté et Territoires d’avoir permis d’inscrire cette proposition de loi, et aussi tous ceux qui l’ont soutenue, à commencer par Paulu Santu Pariggi au sénat.

 

Justement, le groupe Liberté et Territoires n’est pas pour rien dans cet aboutissement. Avoir réussi à constituer ce groupe, grâce notamment à la Fédération Régions & Peuples Solidaires, c’est le signe d’évolutions ?

À notre arrivée à l’Assemblée Nationale, nous étions considérés comme des Ovni. Il a fallu beaucoup expliquer pour faire tomber pas mal de préjugés. Nos interventions en hémicycle ont aussi joué. Nous avons ainsi avancé dans les contacts, et, in fine, pu constituer un groupe. C’est évidemment important en termes de potentiel, de rayonnement, de crédibilité. D’ouverture directe sur le centre droit et le centre gauche, et, au-delà, vers toutes les sensibilités.

 

Et puis c’est une action qui englobe tout le rôle du député : relai d’une revendication d’un territoire, recherche d’une majorité, combat dans les instances parlementaires, comment vous y êtes-vous pris pour y parvenir ?

Il a fallu apprendre les codes de l’Assemblée, connaitre des gens, avoir des relais, discuter, expliquer, faire sa place en commission, intervenir en séance. Et expliquer notre situation, notre combat, les solutions que nous préconisons. Pas toujours simple, mais incontournable. Et puis il y a bien sûr toutes les questions sociétales, sociales, budgétaires, économiques, environnementales, internationales. Là aussi il faut être présent. Il y a enfin une partie importante du travail : c’est la prise en compte des principaux projets des communes de la circonscription. Il faut plaider auprès des décideurs pour que les choses avancent.

 

Quitte à égratigner votre humilité, vous êtes classé parmi les députés les plus assidus. C’est un combat de tous les instants, arrivez-vous à peser partout ?

À la fin du mandat on pourra sans doute critiquer tel ou tel de mes choix, mais on ne pourra pas dire que j’étais inconstant. Je m’attache à être toujours présent, à donner de nous autres une image pertinente et positive, aussi bien en commission des finances que dans l’hémicycle. C’est un vrai sacrifice personnel, mais il est indispensable. Et puis n’oubliez pas qu’en plus des questions politiques et de la défense des projets de nos communes, il faut aussi intervenir en permanence dans l’intérêt de nos institutionnels, et de nos entreprises.

 

Vous bataillez, mais le gouvernement reste souvent insensible et peu sont les amendements qui passent…

C’est valable pour tous les groupes. Mais les choses sont plus complexes que ça. Notre présence politique contraint le gouvernement à prendre en compte nos intérêts et nous protège de certaines décisions. Un seul exemple : l’amendement d’alignement TVA sur les vins produits et consommés en Corse. Le passage de la TVA de 0 à 20 % aurait été un désastre économique pour la Corse. Quand je bagarre en privé avec le ministre, que j’obtiens l’avis négatif du gouvernement et que l’amendement est repoussé, ça n’est guère spectaculaire, et personne n’en parle. Mais imaginez que nous ayons fait là ce qu’ont fait d’autres députés sur l’arrêté Miot…

 

Hors l’hémicycle, parvenez-vous à vous faire entendre du gouvernement sur les affaires de la Corse ? On voit comme c’est difficile par médias interposés avec la CdC. Avez-vous un rôle plus efficace en coulisse ? Sur quel dossier avez-vous pu peser ?

C’est un travail quotidien que d’établir des relations personnelles à tous les niveaux. C’est en privé que bien des choses peuvent avancer. L’hémicycle est la partie visible de l’iceberg. Le problème est qu’il y a souvent un double langage entre entretiens privés et décisions officielles. Un dossier essentiel sur lequel je me suis énormément investi et sur lequel je continuerai de peser est celui de l’hôpital de Bastia. Et puis, bien sûr celui de la nécessité d’un statut fiscal social et de développement. Le rapprochement des prisonniers aussi. Celui de la spéculation. De la stabilisation durable des écoles immersives. Du canal de Corse. Et d’autres !

 

Il y a la Corse, mais vous n’hésitez pas à intervenir sur des sujets nationaux… cela contribue à la plutôt bonne image des députés nationalistes dans l’hémicycle ?

C’est à l’Assemblée que se façonne, loi après loi, tout ce qui conditionne notre vie. À travers mes interventions et mes votes je suis fidèle aux promesses de ma profession de foi : une société solidaire, moins bureaucratique et plus décentralisée, la préservation de la sphère individuelle, une convergence sociale et fiscale en Europe, une prise en compte des contraintes environnementales, une maitrise des traités internationaux, une indispensable aide au développement…

 

Le problème de la spéculation est de plus en plus pesant dans l’île, et on voit à quel point il est transversal à toutes les régions à forte identité, la Bretagne, le Pays Basque, la Savoie, la Catalogne, l’Occitanie pour la Provence, en fait toutes les régions victimes du tourisme de masse. Comment avancer sur ce sujet ?

C’est compliqué car on se heurte à la liberté de marché. Le statut de résident, tel qu’appliqué aux iles Åland par exemple, se heurte à l’obstacle constitutionnel et surtout à l’esprit centraliste. À droit constant, il faut agir sur la capacité à préempter et surtout à freiner les flux de marché qui sont un formidable agent de surprofits et de spéculation. C’est un vrai problème de société, qui se pose également ailleurs. Des élus d’autres régions regardent attentivement nos propositions.

 

Normaliser les rapports avec Paris passe par arracher l’autonomie de la Corse, la reconnaissance du peuple corse… Quel peut-être votre rôle pour y parvenir ?

Expliquer que ce que nous proposons ne relève pas d’un souci d’escalade institutionnelle, mais que la Corse doit être dotée de compétences pour améliorer ses conditions économiques, sociales et culturelles. En ce sens, nous sommes les avocats de notre peuple, et promouvons l’idée d’une évolution profonde du statut de l’île.

 

Il reste tant à faire… Comment analysez-vous votre bilan ? Etes-vous prêt à poursuivre la tâche entreprise ?

Je suis pour l’heure engagé sur des combats décisifs, et cela me mobilise totalement. Mais le moment viendra vite de s’occuper du prochain mandat. •

 


Michel Castellani au gouvernement
Deux extraits

Le 13 novembre dernier, en déposant un amendement au projet de loi de finances, pour la mise en œuvre d’une taxe incitative pour mieux réglementer le trafic des camping-cars en Corse, Michel Castellani faisait référence aux dégâts que provoque ce manque de régulation sur l’environnement. Mais le gouvernement s’est contenté de répondre par un platonique « défavorable ». Notre député est alors sorti de ses gonds pour faire part de son incompréhension et de sa colère.
« Non mais il ne suffit pas de nous fermer la porte comme ça d’un air négligent ! C’est un problème qui est important en tant que tel, mais qui pose aussi un problème politique. Je vous fais remarquer que vous vous assoyez en une parole sur un vote de l’Assemblée de Corse, un vote qui n’a pas de prétention législative mais qui est un vote d’aménagement interne de territoire en Corse. De quel droit, de quel droit moral je dirai, allez-vous fermer la porte comme ça à des décisions unanimes de l’Assemblée de Corse sur des domaines strictement internes ? On nous a opposé un autre argument. On nous a dit « Oui mais en Savoie, c’est pareil ». Et alors ? Que les élus savoyards prennent leurs responsabilités ! On n’a jamais dit le contraire ! Là votre réponse elle est méprisante ! »

Le 9 novembre, il interpellait le Premier Ministre lors des questions orales au gouvernement à propos des fermetures systématiques opposées aux demandes légitimes des Corses.
« Monsieur le Premier Ministre, la Corse est sous tension économique, sociale et culturelle. Les bases mêmes d’une société longtemps préservée par l’insularité et l’attachement des Corses sont bousculées. Nous ne cessons d’attirer l’attention sur l’impérieuse nécessité de solutions adaptées, mais pour l’heure les réponses négatives du gouvernement créent une situation de blocage sur la lutte contre la spéculation, les écoles immersives, le rapprochement des prisonniers, le statut fiscal, l’aide au règlement de l’amende Corsica Ferries, le nouvel hôpital de Bastia, les moyens de précaution environnementale dans le canal de Corse… Bref, autant de dossiers, autant de réponses négatives ou insuffisantes. Monsieur le Premier ministre, je connais la situation de la France et les difficultés qui sont les vôtres. Mais vous ne pouvez continuer à pratiquer une politique fermée à l’égard des besoins de la Corse et des solutions préconisées par la majorité territoriale, confirmée de façon répétée par le suffrage universel. La Corse a fait historiquement vivre sa personnalité et pu ainsi chaque jour voir des femmes et des hommes se fondre dans sa communauté, au-delà des différences individuelles, et longtemps préservé ce sentiment d’appartenance sans lequel une société n’est qu’un agrégat d’individus. La Corse a besoin de disposer de moyens spécifiques non par souci d’escalade institutionnelle, mais pour tenter de répondre à d’immenses défis, améliorer sa vie sociale et préserver sa personnalité. Y êtes-vous prêt ? »
À ce plaidoyer, une fois de plus le gouvernement n’a répondu que par « une succession de solutions techniques » par la voix de la ministre Jacqueline Gourault. Alors que comme le lui rétorquait Michel Castellani le problème est « de nature profondément politique ». •