Négociations avec l’État

Le point avec Gilles Simeoni

Le président du Conseil Exécutif était l’invité de Cuntrastu sur France 3 Via Stella le 8 mars, interrogé par Jean Vitus Albertini, Roger Antech (Corse-Matin) et Patrick Vinciguerra (RCFM)*. Voici quelques extraits de ses réponses qui font le point sur le processus de discussion engagé, engagement de l’État, révision constitutionnelle, projet, méthode…

 

 

L’engagement de l’État.

« Sur la longue durée, l’histoire des relations entre la Corse et l’État, il y a beaucoup de raisons malheureusement de rester méfiant. Et puis si on regarde ce qui s’est passé depuis 7 ans, cette logique de méfiance ne peut qu’être renforcée. Ce qui est certain c’est qu’il y a eu la visite du président de la République et que c’est un geste politiquement et symboliquement extrêmement important… Au-delà de cette présence, il y a ce qu’a dit le Président de la République…. Premièrement, il a dit “au prix d’un murissement des consciences et au prix aussi d’un conflit.” Et ça faisait référence à l’agression mortelle qualifiée d’assassinat du 2 mars dernier d’Yvan Colonna, et ce qui s’en est suivi, les manifestations, y compris l’implication de la jeunesse et les violences. Au prix de ce murissement qui a accéléré le travail de fond qui avait été mené, “j’ai entendu – c’est lui qui parle – le besoin de reconnaissance d’une langue, d’une histoire, d’une identité”, et j’ai rajouté en ce qui me concerne le besoin de reconnaissance d’un peuple… Et deuxièmement, que dit-il devant tous les élus présents, et le ministre Darmanin : “il faut réinscrire la Corse dans son destin méditerranéen, ce qui participera également à dédramatiser la question institutionnelle”. Sous-entendu, mais un sous-entendu qui est clair pour tout le monde, à partir du moment où toutes les îles de Méditerranée sont au minimum, autonomes, il n’y a pas d’obstacles de principe à ce que la Corse aille vers l’autonomie… Reste à savoir maintenant, au-delà de cette annonce qui est forte et dont on ne peut pas sous-estimer la portée politique et le caractère irréversible. Parce que la parole du chef de l’État l’engage et elle engage l’État ».

 

La révision constitutionnelle.

« Une révision constitutionnelle est indispensable si l’on veut pouvoir apporter des réponses à des enjeux cruciaux, le foncier, la langue, le développement économique, l’inscription de la Corse dans son destin méditerranéen… Pour une révision constitutionnelle, il y a deux voies, soit un référendum à l’échelle de la France toute entière, soit une révision par le congrès. Et c’est cette voie qui est privilégiée. Ce qui est important c’est que lors du rendez-vous de Paris, le président de la République a confirmé sa volonté de faire une révision constitutionnelle… Et en ce qui concerne les territoires, il y aura deux chapitres essentiels, le sort de la Nouvelle Calédonie – dont on sait aujourd’hui que le ministre Darmanin est en charge également de ce dossier – et la problématique de la Corse. “Et je veux que cette réforme constitutionnelle intervienne – c’est le Président de la République qui parle – en 2024”. Ça nous fixe donc un calendrier, un objectif. Reste à convaincre… sur le principe d’un texte qui convienne aux Corses – et notamment aux nationalistes, à l’ensemble de la majorité territoriale – et qui convienne au gouvernement et qui soit validé par 3/5e des députés et sénateurs, donc là encore un travail de construction et de conviction à faire ».

 

Le projet.

« Ce que nous souhaitons faire, c’est construire un projet qui ait l’adhésion du plus grand nombre possible de Corses…. J’ai proposé que l’ensemble des forces politiques, y compris celles qui ne sont pas représentées à l’Assemblée soient consultées et impliquées… Ce que je souhaite d’abord c’est qu’il y ait un vote de l’Assemblée de Corse rapidement, probablement à la session de la fin du mois de mars ou de la fin du mois d’avril, sur l’architecture globale du projet que nous voulons…. D’abord un Titre dans la Constitution. On avait souvent parlé d’un article pour la Corse dans la Constitution, je pense qu’il faut que la Constitution reconnaisse par un Titre la singularité de l’île… C’est la proposition que j’ai faite qui est tirée de l’expérience et également de la recherche de la plus grande efficacité. Un Titre spécifique, ça veut dire… d’abord que nous ne sommes pas la Nouvelle Calédonie… ça veut dire également que nous ne sommes pas l’article 74. La Corse n’est pas la Polynésie. Et puis la Corse n’est pas une région ni un département de droit commun, l’article 72 ne nous concerne pas… Deuxièmement, une loi organique. Cette loi décline le principe constitutionnel d’autonomie et elle organise de façon générale la répartition des pouvoirs. Une collectivité autonome, un État représenté dans le territoire, une répartition claire des compétences, avec un certain nombre de compétences transférées dans laquelle la Collectivité autonome exerce un pouvoir normatif de nature législative, le tout sous le contrôle du juge. Et puis un équilibre interne à la Collectivité…. Quelle organisation administrative interne à la Corse, quelle garantie pour les communes, et notamment les communes de l’intérieur et de montagne ?… Quels moyens financiers ? Quels moyens budgétaires ?…. Et puis enfin une autonomie pourquoi faire ?… En quoi l’autonomie garantira-t-elle un progrès économique, social, culturel, linguistique, ce sont les grands objectifs, les grands défis que nous devons relever ensemble ».

 

La méthode.

« Les consultations ont déjà commencées, elles vont aujourd’hui s’accélérer, avec les chambres consulaires, les syndicats, les instances consultatives, la jeunesse et ses représentants… De manière très pragmatique, le suffrage universel c’est aussi une majorité et une ou des oppositions. C’est ce que j’ai dit notamment à Gérald Darmanin, et à un autre niveau au président de la République, vous ne pouvez pas dans le cadre du processus qui est ouvert, dire nous n’avancerons que s’il y a une unanimité ou une quasi-unanimité en Corse. Les urnes ont parlé, il faut les respecter. Mais au-delà de cette réaffirmation qui est centrale, sur par exemple l’article de la Constitution, sur le statut d’autonomie, ou plus largement sur les contours d’ensemble de la solution politique globale que tous les nationalistes veulent, il est évident que la majorité territoriale et le Conseil exécutif ont vocation à associer dès le stade de l’élaboration, en amont même d’une présentation à Paris, l’ensemble des nationalistes. Pas seulement les nationalistes, mais d’abord, bien sûr, les nationalistes. C’est le sens d’une proposition que j’ai faite avec la présidente de l’Assemblée de Corse, il y a déjà plus d’une quinzaine de jours, qui a été réaffirmé à travers un courrier qui a été envoyé aux présidents de groupes pour que les élus nationalistes à l’Assemblée de Corse travaillent, et sur ce projet ou cette proposition de Titre constitutionnel, et sur les contours de la loi organique pour travailler ensuite sur l’ensemble des domaines. J’espère et je pense que cette proposition sera acceptée. Elle n’a pas vocation bien sûr à se réduire aux seuls nationalistes… et je crois que nous avons les moyens de construire un consensus extrêmement large. »

 

Les « lignes rouges ».

« Ça va faire partie du noyau dur des discussions… des points essentiels à propos desquels il est impensable que nous renoncions… On ne va pas vers une négociation qui a vocation de solder un conflit politique qui, pour la période contemporaine, s’est étalé sur un demi-siècle, avec des préalables, en disant nous nous mettons autour de la table mais nous ne parlerons pas de ça… Partout dans le monde, au-delà des précautions de langage sur les documents initiaux, la décision politique c’est de se mettre autour de la table en sachant les uns et les autres qu’on va parler de tout et que l’on doit se donner les moyens de tout régler. La question des prisonniers politiques, elle n’apparaît pas directement ou sous une forme très éthérée, mais tout le monde sait que lorsque j’ai discuté avec Gérald Darmanin, il y avait au cœur de nos discussions la question du rapprochement et de la libération de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, la question malheureusement qui reste pendante de la vérité et de la justice sur les circonstances de l’assassinat d’Yvan Colonna qui a tout, d’ores et déjà, d’un scandale d’État… Et le troisième point, la question générale avec le Fijait, les amendes, etc. Au-delà de ça, peuple corse, c’est au cœur de notre engagement… Ces lignes rouges elles vont s’estomper lorsqu’on va se mettre autour de la table. Non à deux catégories de citoyens ? Mais aujourd’hui, y compris en défendant ce principe, M. le Président de la République, M. le ministre de l’Intérieur, vous acceptez qu’il y ait un corps électoral en Nouvelle Calédonie qui est différent du corps électoral général… Vous acceptez en Polynésie française qui n’est pas sur la voie de l’indépendance… qu’il y ait un accès réservé aux locaux à l’emploi… La coofficialité de la langue corse… Si on nous démontre que le droit constitutionnel actuel ne nous permet pas d’employer la langue corse valablement dans la vie publique, on ne va pas être des sous-citoyens, on veut être des citoyens qui ont le droit de parler corse comme ils parlent français. Donc il va falloir qu’on fasse évoluer la Constitution… Enfin la question de l’accès à la propriété foncière, du statut de résident. Il va falloir sacraliser le lien qui existe entre le peuple corse et sa terre. Il va falloir le consacrer juridiquement. Il faut qu’on le fasse dans des formes qui soient acceptables, y compris pour le Conseil constitutionnel ».

 

Le pouvoir législatif.

« L’autonomie, c’est aussi une pédagogie de la responsabilité qui se démontre par l’action. Tout ce qui ne relève pas strictement du régalien – l’armée, la justice, les affaires extérieures – a vocation à court ou à moyen termes, dans le cadre d’un statut d’autonomie, à être exercé par les représentants du peuple corse. Simplement il va falloir que nous le fassions de façon progressive, avec des calendriers, des transferts de compétences, avec des phases d’évaluation, il faut que nous construisions cet espoir collectif. Et c’est en cela qu’on ne peut pas opposer l’aspiration d’un peuple à l’émancipation et le quotidien. Bien sûr que nous sommes préoccupés par le montant des retraites, par le prix de l’essence, le montant des salaires et l’accès à l’emploi, par le développement de l’intérieur, par la gestion de nos ressources en eau, nous commençons à apporter des réponses. Nous le faisons y compris à droit constant… L’idée, en matière d’urbanisme comme en matière de droit et de protection sociale, c’est de faire que le statut d’autonomie que nous souhaitons construire ne puisse pas impliquer quelques régressions que ce soient. Ça veut dire qu’à un moment donné il faut qu’il y ait des effets cliqués et des acquis qui soient sanctuarisés, préservés. On ne peut pas envisager d’aller vers une autonomie qui se traduisent par une régression des droits sociaux ou par un démantèlement des conventions collectives, on ne peut pas inventer une autonomie, y compris à moyen terme, qui verrait un affadissement des principes protecteurs qui ont été posés, notamment par la loi Littoral. Donc tout ça, nous allons en parler avec les acteurs concernés, et nous allons donner des réponses qui sont à la fois techniques et politiques. » n

 

Pour voir et revoir le Cuntrastu in extenso, avec notamment le financement du projet d’autonomie, les dossiers des déchets, de l’énergie, des transports, ou des retraites :