François Alfonsi, député européen

« Favoriser le développement, c’est enlever du terreau aux phénomènes mafieux »

Le député européen François Alfonsi était l’invité de l’émission In tantu Pulìtica avec Jean Vitus Albertini et Dominique Moret sur France 3 Via Stella ce 17 novembre. De la COP27 au débat sur la mafia à l’Assemblée de Corse, en passant par le processus de discussion avec le gouvernement pour l’autonomie de la Corse, en voici les principaux extraits*.

 

 

Que peut-on attendre de la COP27 qui se tient en Egypte ?

On attend la poursuite et l’amplification de l’engagement des puissances publiques en général, les États bien sûr, mais aussi les organismes comme l’Union européenne, et chaque citoyen dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ces grandes conférences sont rythmées par les grands enjeux internationaux – et celle-ci s’est ouverte sous les auspices de la guerre en Ukraine, qui est un contexte assez exceptionnel. Mais il ne doit pas nous faire perdre de vue que l’essentiel est de maintenir la planète dans un état vivable pour la population humaine mais aussi pour toutes les espèces.

 

En 1992 date de la première COP, il y avait 38 milliards d’émissions de CO2. Aujourd’hui on dépasse les 55 milliards. À quoi servent ces grandes conférences ?

À limiter la casse. Les 55 milliards d’aujourd’hui, ne serait-ce que par la croissance démographique depuis 30 ans, auraient pu être encore davantage. Il faut stabiliser et il faut commencer à décroître. Il y a des espaces où ça commence à décroitre : l’Europe émet moins de CO2 qu’elle n’en émettait en 1992, et c’est un très gros émetteur. Les Etats-Unis s’y sont mis plus tard. La Chine met en avant son retard dans le développement industriel…, mais il y a quand même un courant d’opinion mondial autour de l’idée que la lutte contre le réchauffement climatique est vitale pour toute l’humanité, et tous les dirigeants sont obligés de s’y soumettre.

 

On parle de la neutralité carbone en 2050, on n’y parviendra pas. Ces grandes intentions sont-elles traduites dans des actes ?

L’objectif rappelons-le était 2 degrés et si possible 1,5. Cependant le rythme de développement des catastrophes climatiques va plus vite que ce que l’on pouvait penser. Les engagements pris, s’ils sont tenus, conduiraient d’après les dernières expertises du GIEC, à 2,4 degrés, et comme ils ne seront probablement pas tenus, ce sera plutôt 2,8. Or ce que l’on a vécu – la tempête en Corse, les incendies dans les Landes ou ailleurs dans le monde – c’est avec 1,1° de plus que par rapport à la moitié du XIXe siècle. Les gens mesurent que 1,5° c’est déjà beaucoup et qu’il va falloir agir.

 

L’autonomie énergétique en 2050 en Corse est-ce que c’est possible ?

Cela ne va pas assez vite. Aujourd’hui le dossier énergétique est en devenir, on ne le sent pas progresser. Ce qui m’alerte c’est que ça fait 30 ans qu’il n’y a pas eu de nouvelles éoliennes en Corse. Les énergies renouvelables se sont développées partout en Europe avec les éoliennes comme principal moyen. Aujourd’hui on use plus d’électricité éolienne que d’électricité nucléaire en Europe. C’est le moyen numéro 1, et si la Corse n’en met jamais une nulle part, elle ne sera jamais au rendez-vous des échéances climatiques.

 

Comment l’expliquez-vous ? Par exemple quand est-ce que la centrale d’Aiacciu va ouvrir et avec quel carburant ?

C’est un débat compliqué, l’assemblée avait délibéré en faveur du gaz. On sait que, depuis la guerre en Ukraine, la question se pose en des termes passablement différents. Le gaz est une bien meilleure alternative que le fioul lourd et le fioul léger. Notre position est : pas de nouvelles infrastructures pour consommer en Europe davantage de gaz. Mais quand le gaz peut se substituer à du fioul lourd, on ne va pas continuer à consommer du fioul lourd. En Corse, il s’agit de stabiliser les consommations, là-dessus, malgré la croissance démographique que l’on connait, il y a eu des résultats relativement probants. On consomme par tête d’habitant moins d’énergie que l’on en consommait il y a 20 ans. Mais le développement des énergies renouvelables est encore trop timide et nous avons besoin de refaire l’inventaire de nos ressources hydrauliques et de voir s’il n’y a pas de nouveaux investissements à faire.

 

Aucun projet prévu, pas de barrage, la STEP de Sampolu n’est toujours pas faite…

La STEP est justement conçue pour que les énergies renouvelables prennent leur place sur le réseau. Il faut poser la question à EDF qui est le propriétaire du site. Le projet effectivement semble enterré et je le regrette profondément.

 

On passe au chapitre politique. Plus de réunion place Beauvau, plus de déplacement de Gérald Darmanin dans l’île, est-ce qu’on doit subordonner cette reprise du dialogue au règlement du problème des prisonniers ?

On ne subordonne rien à rien. Il y a un problème des prisonniers dont on ne comprend pas que dans le cadre d’un dialogue il ne puisse pas trouver une solution par le chemin de l’application de la loi, qui est quand même le chemin le plus naturel dans un Etat de droit. Ça crée un malaise. Maintenant, le rythme de ces réunions, la façon dont elles pourront déboucher, dépend en grande partie de la volonté de l’État d’entrer en réforme. Nous sommes à l’an 40 du Statut particulier. Beaucoup de réformes se sont succédées, statut Deferre, statut Joxe, statut Jospin etc, chaque fois, on est resté dans le périmètre de la Constitution. Volens nolens, des fois on l’a voulu, des fois on l’a subi. Quand Joxe avait proposé la reconnaissance du peuple corse dans le cadre du préambule du statut qui le mettait en avant, c’est le Conseil constitutionnel qui a dit non.

Ce qui est vraiment une ouverture, me semble-t-il, dans le processus actuel, c’est l’affichage d’une volonté d’inscrire les évolutions institutionnelles de la Corse vers l’autonomie, dans une réforme de la Constitution, ouvrant le champ des possibles. À partir de là, il faut créer un climat, et il faut être certain que cette ouverture du champ des possibles est vraiment une volonté politique au sommet de l’État. C’est pour ça que nous attendons que l’État clarifie au plus haut niveau cette volonté par rapport à l’avenir de la Corse. Ensuite je pense que tous les problèmes qui freinent le dialogue pourront être levés.

 

Quand on voit l’Assemblée de Corse envahie, peut-être qu’à Paris on se dit on ne va pas s’engager sur une réforme du moment que personne n’est d’accord ?

On pourrait avoir la même réflexion sur les gilets jaunes, ou sur tous les mouvements contestaires dans le champ public. Ils expriment la réalité d’un malaise, la difficulté justement de l’État à s’impliquer pour faire en sorte que l’on sorte des situations de crises. Je crois que ce n’est pas souhaitable que des gens envahissent l’Assemblée de Corse et je suis vraiment désolé que cela puisse arriver, mais ce n’est pas ça non plus qui change l’analyse et le raisonnement. L’analyse et le raisonnement c’est que la Corse est arrivée au bout d’un cycle qui a été inauguré par Gaston Deferre et dont le dernier épisode était celui de Lionel Jospin. Il faut arriver à donner une place nouvelle au sein de la République française pour des territoires comme celui de la Corse qui ont des spécificités et des revendications, notamment celle d’être traitée comme le sont les Baléares, la Sardaigne, l’ensemble des espaces insulaires dans l’ensemble européen.

 

Une majorité à l’Assemblée nationale a incité le gouvernement à faire un certain nombre de gestes à l’égard du groupe LIOT dans lequel joue un rôle les députés nationalistes, vous y voyez le signe d’une évolution politique ?

La politique est faite de choix et d’occasions. L’occasion de cette majorité relative au gouvernement permet aux députés que nous avons réélus brillamment, la possibilité de faire des jeux politiques et de faire entendre leurs revendications. La revendication corse n’apparaît plus aussi isolée qu’elle ne l’était il y a cinq ou six ans. Nous sommes vraiment présents dans un groupe, et portés par ce groupe, et d’autres régions comprennent que la France doit évoluer aussi sur la question des pouvoirs régionaux. En Italie, il n’y a pas que la Sardaigne qui est autonome. Il y a aussi la Lombardie, la Vénétie…, on peut très bien concevoir un État qui donne à ses régions, qu’elles soient continentales ou qu’elles soient insulaires, un statut beaucoup plus accompli que ce qui est fait en France pour les régions françaises.

 

L’autonomie plus on en parle, moins on en discerne les contenus. Concrètement qu’est-ce que ça veut dire ?

Je vais prendre un exemple. L’autonomie des Baléares au mois de février dernier, a pris une loi, qu’ils ont la liberté de prendre, qui a consisté à interdire pendant quatre ans la construction d’un nouvel hôtel aux nouvelles capacités d’hébergement donc y compris la conversion d’un appartement vers la location touristique, et décidant ensuite que chacune des quatre îles de l’Archipel pourrait fixer des quotas. Par rapport à la situation de la Corse c’est une loi qui est intéressante à étudier. Je ne sais pas s’il faut prendre exactement la même, mais ce que je constate c’est que ça, nous n’avons pas la liberté de le faire. C’est cette liberté dont nous avons besoin. C’est ça l’autonomie. C’est la liberté, par les élus de la Corse, de prendre des décisions qui correspondent aux intérêts du peuple corse.

 

Vous êtes député européen, membre de l’ALE, affiliée au groupe écologiste. Le Parlement européen a voté très largement en faveur de la reconnaissance de la spécificité des îles en juin dernier. Où en est-on aujourd’hui ?

Le fondement juridique c’est l’article 174 du Traité de l’Union européenne qui amène des considérations par rapport aux territoires qui ont le plus de difficultés pour leur développement : territoires montagneux, territoires très peu peuplés, comme il en existe dans le nord de l’Europe, et territoires insulaires. Il y a des politiques pour les territoires très éloignés ou pour les territoires montagneux, mais l’Europe n’a jamais voulu appliquer une politique pour les territoires insulaires. C’est ce que le Parlement européen a demandé avec force, puisqu’il y a eu de l’ordre de 80 % des députés qui ont voté le rapport présenté par la Commission du développement régional où je siège et que j’ai évidemment beaucoup appuyée. La Commission européenne campe sur sa position initiale, elle a fait une réponse décevante. Mais ce point de départ les oblige à une saisine du Conseil, et à la fin, ce n’est pas la Commission qui prend des décisions, c’est une codécision entre le Conseil et le Parlement européen. Celui-ci s’est exprimé, le Conseil va le faire. Nous comptons bien sûr sur les États concernés. Il est important que la France pèse son poids, l’Italie, l’Espagne, la Grèce… Et il y a une échéance mise en objectif avec l’intergroupe des îles dont je suis le président, c’est la présidence espagnole du second semestre 2023. Nous nous organisons et faisons remonter nos débats et notre lobbying en faveur d’une décision forte lors de cette présidence espagnole où nous souhaitons que soit déclaré un Pacte pour les îles. Je crois que nous avons des chances raisonnables d’y parvenir.

 

L’un des enjeux est la Délégation de service publique. Est-ce que les États vont pouvoir continuer de subventionner des entreprises de transport pour les îles ?

C’est l’un des enjeux. Faire reconnaître les difficultés et les handicaps de l’insularité. Il y en a d’autres. Des études convergentes de la Corse, des Baléares, de la Sicile et de la Sardaigne, montrent que l’acte de produire dans une île est plus coûteux, de l’ordre de 10 %, que le même acte qui se déroulerait à Florence ou à Marseille. Il y a des éléments sur la table, et il y a une grande difficulté à les faire prendre en compte. La Continuité territoriale est un dispositif ante, c’est-à-dire qu’il existait avant que l’Union européenne, en 1992, prenne un certain nombre de dispositions qui tendent à homogénéiser les marchés européens. Il faut homogénéiser les marchés européens, mais il ne faut pas le faire en maintenant des territoires en difficulté, donc il faut maintenir les possibilités de se désenclaver, pour la Corse comme pour toutes les îles.

 

Il y a le débat sur la mafia réclamé depuis longtemps par les associations et collectifs, l’Assemblée doit-elle faire des propositions en matière de législation pénale ?

Toutes les propositions sont sur la table. En ce domaine, la décision appartient à l’Etat. On est en plein dans le domaine régalien. Je pense qu’il faut aller loin, très loin. Alors est-ce que c’est le même dispositif qui vaut en Italie, et qui apporte des améliorations – les observateurs aujourd’hui sont unanimes que depuis une trentaine d’années, les phénomènes mafieux ont régressé dans l’ensemble de l’Italie, même s’ils existent toujours et sont toujours très puissants ? Moi j’y suis effectivement favorable, il faut que l’on prenne le taureau par les cornes et que l’on mette en place de véritables moyens, dans le respect bien sûr de la démocratie et des droits des citoyens.

 

La présence de la mafia en Corse n’est-elle pas l’argument n°1 contre toute idée d’autonomie ?

C’est un argument paradoxal. Car il n’y a pas d’autonomie, et la mafia est là ! Est-ce que cela irait plus ou moins bien ? Encore faut-il le démontrer. Il y a une autonomie en Sicile, il n’y en a pas du même ordre dans la région milanaise, et les principaux faits mafieux se sont plutôt déplacés de ce côté-là. Donc je pense que les choses ne sont pas liées. Ce qui est nécessaire c’est l’autonomie pourquoi nous la voulons ? Nous la voulons pour notre identité, pour notre peuple. Mais nous la voulons aussi pour favoriser le développement. Et favoriser le développement c’est quelque part enlever du terreau aux phénomènes mafieux. •

 

* Les questions sont également résumées et reformulées.