Comité stratégique sur l’avenir de la Corse

« Nous ne sommes plus à cadre constitutionnel constant »

La seconde réunion du processus pour l’avenir de la Corse, qui vise à la mise en place d’un statut d’autonomie, s’est tenue place Beauvau ce vendredi 16 septembre 2022 à Paris. Huit rencontres thématiques sont programmées. Celle-ci posait le diagnostic économique, social et institutionnel de la Corse. Un premier rendu de ces échanges sera fait début 2023. François Alfonsi nous livre son sentiment au sortir de cette réunion.

 

Vous participez au processus de dialogue engagé avec le gouvernement sur l’avenir de la Corse, faut-il croire en une volonté d’aboutir de sa part ?

On ne peut préjuger ni du succès, ni de l’échec du processus qui s’ouvre et qui tiendra de nombreuses réunions. La mécanique de l’État français est une mécanique très fermée depuis toujours. Depuis 1981 et le premier statut de la Corse, on sait combien il a été difficile de faire avancer les choses. On se heurte au mur de la Constitution, très difficile à franchir. Justement l’engagement pris par Gérald Darmanin devant nous de faire une réforme constitutionnelle dans les deux ans, et la volonté d’inscrire la Corse dans le cadre de cette réforme est le fait nouveau de ce processus. Nous ne sommes plus à cadre constitutionnel constant et on peut donc espérer avoir des avancées réelles. Nous l’avons encore démontré récemment à la Testa Ventilegna, le problème corse est un problème qui se pose depuis de très nombreuses années et l’État et la Corse doivent trouver un terrain d’entente pour construire un avenir qui permette à la Corse de maîtriser son destin et de s’inscrire dans celui de la Méditerranée.

 

Comment s’est passé cette deuxième réunion place Beauvau ?

Le seul fait que, huit à neuf heures durant, le ministre de l’Intérieur et les principaux fonctionnaires de l’État aient animé l’échange avec la délégation corse est un signe à retenir. Nos interlocuteurs d’aujourd’hui ne prennent pas le dossier corse à la légère comme cela a été malheureusement le cas durant cinq années. Des documents sérieux et instructifs ont été produits et présentés en appui aux thèmes abordés, à savoir la situation économique et sociale de la Corse, et le statut des autonomies insulaires dont bénéficient plusieurs autres îles comparables, Baléares et Canaries dans le cadre de l’Espagne, Sardaigne et Sicile en Italie, Açores au Portugal et Crête en Grèce. Cela permet de rendre très concret et pratique la définition de l’autonomie. Comment les îles ont besoin d’édicter leurs propres lois pour répondre avec efficacité aux difficultés économiques et sociales qui se posent, et combien de ce fait il est naturel, surtout pour une île, de disposer d’un tel statut.

La délégation que nous formions autour du président du Conseil Exécutif a été unanime pour juger que c’était une bonne réunion.

 

Le ministre a dit « la Corse ne coûte pas si cher à la République »… après des décennies à véhiculer cette fausse idée du côté de Paris, c’est déjà une avancée en soit ?

Sa remarque a été spontanée quand il a constaté quels étaient les chiffres mis en avant par sa propre administration qui évalue les transferts directs de l’État à 500 M€, et les apports indirects à travers les avantages sur la fiscalité à 360  M€, soit un total largement inférieur à un milliard d’euros, pour un PIB de 10 milliards. La Corse est dans la moyenne des régions françaises, à l’exception bien sûr de l’Île de France qui concentre la plus grande partie de la richesse du pays. Ce constat est effectivement loin des idées reçues régulièrement véhiculées dans les médias.

 

Vous avez interpellé le ministre de l’Intérieur avec les quatre autres parlementaires nationalistes corses sur des mesures fiscales urgentes sur la question des carburants et du crédit d’impôt d’investissement corse (ndlr : lire en p7). Est-on rassuré sur ce point ?

Nous avons, avec les autres parlementaires de Femu a Corsica, tiré une sonnette d’alarme car ces deux dossiers sont très sensibles, et que, malgré les interventions de nos députés au Palais Bourbon, ils n’ont pas été pris en compte. Je pense que le message à leur propos a été reçu désormais, de même que le message plus général que l’on a voulu faire passer en s’appuyant sur ces deux exemples : le dialogue engagé va s’étaler sur plusieurs mois, et il ne pourrait qu’être gravement compromis si, sur chaque dossier qui se présentera durant ce laps de temps, la réponse de l’État devait être systématiquement négative.

 

Sommes-nous véritablement en marche vers l’autonomie cette fois-ci ?

Je pense que cette marche est inéluctable. La seule interrogation c’est : est-ce que le processus actuel permettra d’aller suffisamment loin ? Je pense qu’un demi-siècle d’histoire, et de relations difficiles entre les institutions de la Corse et les gouvernements français successifs, montrent que le statu quo est intenable et qu’il faut véritablement ouvrir les portes de l’avenir.

 

Le président du Conseil Exécutif de Corse a signé une tribune avec l’ensemble des présidents de régions de France réclamant plus de décentralisation sous le titre « Ensemble élevons la France », votre sentiment ?

Pour construire le rapport de forces nécessaire avec l’appareil d’État français, qui reste très jacobin et très imprégné du centralisme qui est la clé de la construction française, il faut des forces, des soutiens, des appuis. Je crois que c’est une démarche collective qui va faire bouger les lignes et quand les lignes bougent, chaque territoire ensuite construit sa propre option. L’option de la Corse, c’est l’autonomie, c’est la reconnaissance du peuple corse, c’est la définition d’un avenir conforme à un passé qui a sa réalité culturelle et historique. Chaque territoire agit à partir de lui-même, mais aucun territoire ne pourra avancer si l’ensemble des régions ne sont pas solidaires pour faire bouger les lignes d’un État centraliste extrêmement figé.

 

Peut-on imaginer un jour un État français « fédéraliste » ?

C’est une revendication de la Fédération Régions & Peuples Solidaires que je préside et qui rassemble les partis autonomistes ou indépendantistes d’Alsace, Bretagne, Catalogne, Pays Basque, Occitanie, Corse. C’est une organisation qui a un quart de siècle d’existence et qui porte le message que chaque territoire a sa propre histoire, sa propre culture, et doit donc construire son propre avenir par ses propres moyens d’autonomie.

La France est un pays très isolé dans le cadre institutionnel européen. Tout autour de ses frontières, l’Allemagne, la Belgique, la Suisse, l’Italie, l’Espagne, tous les autres pays ont des cadres beaucoup plus ouverts à la reconnaissance de la diversité des territoires. La France doit évoluer dans ce sens parce que c’est celui de l’avenir, c’est le sens de l’Europe, et cela correspond à l’attente des peuples concernés. Le peuple corse a manifesté sa volonté en votant très massivement, à plusieurs reprises, pour les forces nationalistes. La démocratie est la boussole de l’Europe, et elle doit permettre de faire évoluer les choses dans le sens de la volonté des peuples qui sont fédérés dans le cadre de l’Union européenne. •

 


 

U parè di Gilles Simeoni, presidente di u Cunsigliu esecutivu

« Je pense que les bases d’un travail commun fructueux dès les prochaines semaines sont aujourd’hui posées… Nous attendons des signes concrets. Il y a des signes politiques : on a évoqué entre autres la perspective de libération d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, on a évoqué la justice et la vérité dans l’affaire Yvan Colonna… Nous voulons avancer de façon progressive, et nous demandons des signes, je le répète, des avancées concrètes, y compris à droit constant, en matière de crédit d’impôt, de loi sur le pouvoir d’achat, d’indemnité de transports, et cela va se faire dans les toutes prochaines semaines, à travers une série de réunions. Et puis, à côté de ça, nous allons continuer à parler des grands problèmes de la Corse, des infrastructures, du transfert de fiscalité, d’objectifs partagés. Le processus est désormais pleinement engagé. J’ai confiance… Nous avons confiance dans la force et la pertinence de nos arguments, de notre vision, de notre idéal. Nous sommes dans un processus qui a vocation à être historique. Nous sommes porteurs, depuis des décennies, d’une idée pour laquelle des générations d’hommes et de femmes se sont battus. » •


È ciò ch’ellu dice Gérald Darmanin, ministru di l’Internu

« Je suis prêt à tout mettre sur la table. J’attends d’avoir la démonstration qu’il faudrait changer le statut de la collectivité pour être efficace sur telle ou telle politique… Je suis aussi très intéressé de voir le consensus qui arrive à se bâtir sur les constats… Après, c’est dans les solutions qu’il peut évidemment y avoir des différences… On peut penser qu’en janvier-février prochains, la première étape sera présentée…

La Corse ne coûte pas cher à la République. La Corse, ce sont des travailleurs, dans des conditions d’insularité très difficiles, et je veux dire que l’état français a la chance d’avoir la Corse, qui n’est pas du tout un poids pour l’économie française, comme on peut l’entendre parfois. C’est un a priori qui blesse les Corses, et qui n’est pas la vérité…

Il faut revoir les dispositifs fiscaux. Il y a onze dispositifs fiscaux aujourd’hui en Corse, il y en a qui marchent bien, et d’autres qui marchent moins bien. Il faut sans doute les adapter. Il faut aussi connaître les filières que l’on veut pousser… Est-ce que [les élus corses] veulent de l’agriculture bio, est-ce qu’ils veulent faire du recyclage, est-ce qu’ils veulent faire des nouvelles technologies ? Ensuite on pourra imaginer des écoles, des formations, un accompagnement fiscal et des subventions, mais il faut d’abord savoir quels sont les objectifs… Il faut voir la Corse à trente ans. Il faut des routes supplémentaires, il faut peut-être des lignes ferroviaires, il faut peut-être de grandes infrastructures pour l’eau, il y a beaucoup de questions autour des déchets… Il faut donner l’autonomie énergétique, et l’économie alimentaire à la Corse. Ce n’est pas normal que quand on a la culture agricole de la Corse on importe la quasi-intégralité de ses produits… La difficulté, c’est que les Corses sont en difficulté sociale aujourd’hui, qu’ils demandent des réponses rapides, sur le prix de l’essence, sur le pouvoir d’achat, et nous on doit aussi travailler pour les vingt ans qui viennent… J’ai demandé à Gilles Simeoni de m’adresser le projet économique dont il rêve, dont il a besoin, dont il pense que c’est nécessaire pour la Corse, on va le challenger, et puis on y mettra les moyens fiscaux, budgétaires, normatifs, pour pouvoir rendre la Corse plus autonome, sur de nombreux plans… On peut très bien être autonomes et totalement Français, tout en faisant part d’une certaine différenciation. Mais le gouvernement de la République, et moi-même, je le répète, ne sommes pas favorables à l’autonomie par principe. Je suis pour que l’on écoute la demande d’une collectivité dont la majorité a été réélue deux fois sur un programme clair qui était l’autonomie, et moi je suis un démocrate et j’écoute ces demandes, trois députés sur quatre viennent de la famille nationaliste, autonomiste, mais je sais très bien que les Corses sont éminemment Français ». •