Max Simeoni, fondateur d’Arritti

« On ne sauve pas un peuple par procuration »

Max Simeoni
Arritti fêtera 60 années de parution sans discontinuité dans 4 ans. Il est un aiguillon permanent, il n’a cessé de dénoncer les injustices faites au peuple corse que l’État voudrait voir disparaître. Il est un appel à la lutte et a largement contribué à la conscientisation de ce peuple. Il est aussi un outil qui a structuré la pensée au niveau politique, économique, culturel. Il a œuvré à la création de Femu Quì, société de capital-risque basé sur l’actionnariat populaire, comme il mène campagne aujourd’hui en faveur de l’enseignement immersif. Il plaide inlassablement en faveur d’une Europe des peuples et des régions, pour la défense de notre environnement et contre la spéculation immobilière et foncière. Il est le journal de l’autonomisme corse et s’ouvre à tous les combats de peuples dont il veut nous faire partager l’expérience. Pas étonnant que régulièrement dans l’Histoire, il été la cible de l’État. Son imprimerie militante a été totalement détruite le 15 mai 1977 lors d’une opération barbouzarde, nous nous sommes battus 3 années durant devant les tribunaux pour obtenir l’habilitation à faire paraître les annonces légales et judiciaires, l’obtention du numéro de commission paritaire pour l’autorisation de paraître est également un combat permanent. Aujourd’hui, le préfet Lelarge à la veille de son départ a interdit à notre titre de publier des annonces légales de Corse-du-Sud. Cette nouvelle agression porte un mauvais coup à notre journal. Arritti en appelle à la solidarité de ses lecteurs. En ces circonstances, qui de mieux que Max Simeoni pour revenir sur l’histoire ? Arritti, c’est « son bébé ». Il est le propriétaire-fondateur du titre qu’il a remis entre les mains militantes pour le faire prospérer. Il nous raconte ces premiers moments de la lutte du peuple corse qui l’ont poussé à créer une presse libre. •
Arritti.

 

 

Arritti est à nouveau la cible de l’État après bien des attaques en quelques 56 ans d’existence. C’était une époque difficile en 1966, qu’est-ce qui vous a donné l’idée de lancer une presse indépendante ?

Époque difficile où tout commence, le Cedic, Comité d’étude et de défense des intérêts de la Corse, créé en avril 1964, publie son « Manifeste pour l’ethnie Corse ». Nous sommes une poignée, bien déterminés à poser le problème du Peuple Corse, la jeunesse condamnée à l’exil, vidant l’île, colonisée, servant de réservoir d’homme à une République impérialiste sur tous les continents. Nous étions considérés par les clans comme des hurluberlus qui n’avaient aucune légitimité, avec deux quotidiens locaux, le Provençal et Nice-Matin, qui traitaient nos éventuels communiqués sans grand sérieux. Je m’installe comme médecin en 1962. Il y a 160.000 habitants sur l’île.

Les tentatives de revendications, simultanées mais différentes de la Dieco du pharmacien Martini, gaulliste libéral, pour un statut fiscal et du Mouvement du 29 novembre, plus populiste, avaient, hors système des clans, mis des foules dans la rue, mais s’étaient essoufflés et un sentiment de déception et de dépression régnait dans la population.

L’Informateur Corse de Louis Rioni publiait régulièrement des articles de Paul Marc Seta à Paris ou de moi-même, qui étions en relation avec Yves Le Bomin le principal animateur de la Confédération des commerçants qui militait pour le « Chiffre d’Affaire, les Décrets Impériaux… » en vue de détaxes fiscales. Mais Louis Rioni soutenait Faggianelli, il nous fallait lever toute ambiguïté. Un journal donc à fonder. Le premier numéro de l’hebdomadaire Arritti sort le 8 décembre 1966.

Or, Yves Le Bomin nous avait aidés par les premières souscriptions de commerçants et nous avait amenés à une imprimerie (Linotype au plomb) au carrefour du Novelty ouverte par un rapatrié corse du Maroc pour son gendre qui se disait breton et avait deux enfants en bas âge. Il était un jeune flic qui avait réussi à infiltrer la Confédération et puis Arritti !

 

Ce n’est pas la première fois que le journal est visé par les attaques de l’État : imprimerie ravagée par un incendie criminel, difficulté à obtenir l’habilitation à faire paraître les annonces légales, maintien difficile aussi du numéro de commission paritaire. Comment avez-vous vécu toutes ces agressions ?

Toutes ces attaques de l’État nous ont obligé à nous défendre, à ne pas céder car c’est notre cause : la défense de notre peuple menacé de disparition lente si on évalue le temps ressenti comme homme, mais assez rapide si on l’évalue en temps historique.

Nous avions compris qu’il fallait faire comprendre le danger véritable et non croire, comme Martini, que l’État était mal renseigné par nos élus ignorant tout de l’économie ou qu’il suffisait de manifester dans la rue pour que la Corse ne soit plus l’enfant négligé du foyer républicain.

La Corse colonie ? Impensable pour la presque unanimité des Corses. L’auto-colonisation était réussie. « La Corse est pauvre », « sa grande chance est d’être rattachée à un pays riche », généreux qui permet sans discrimination d’accéder à des carrières, des professions à égalité de chance. Un pays qui a aboli les féodalités et qui est fondé sur des valeurs universelles…

 

De quelles façons avez-vous fait face ?

Arritti a beaucoup œuvré à cette résistance. Un labeur pédagogique de longue haleine donc, illustré par des soutiens à toute revendication de survie (menace de fermeture du chemin de fer et de la mine de Canari avec les syndicats ou les habitants, pour l’emploi, avec les socioprofessionnels, les boues rouges, les incendies, l’université) sans arrêt, pour faire comprendre ce colonialisme par assimilation/disparition et proposer des solutions, la reconnaissance du Peuple Corse, l’autonomie. Nous étions présents de partout, peu à peu, avec les régions de l’Hexagone, des DOM TOM, de la Diaspora.

Si on était une poignée, il y eut assez de monde par la suite pour investir tous les terrains. La radicalisation du FLNC nous a contraints à être moins actifs spontanément et /ou dans la rue.

J’écris certes, mais la gestion et la parution d’Arritti sont assurées par l’équipe actuelle, à la suite de tant d’autres militants qui ont œuvré à le faire vivre. Fabienne Giovannini et François Alfonsi aujourd’hui. Ils sont accompagnés d’autres, Vanina Bellini pour la maquette, Mathieu Ceccaldi et Ange Giovannini à la distribution, sans oublier l’imprimerie Sammarcelli.

 

Sa ligne éditoriale est clairement autonomiste et pour la défense de tous les combats de peuple. Mais elle s’est élargie au fil des ans, avec ses analyses sur la question de l’environnement, de l’économie identitaire, de la justice sociale, de l’Europe…      

La lutte s’est élargie naturellement. L’environnement ? L’Argentella, les boues rouges, la pollution des côtes, posidonies, plaisanciers… l’environnement mobilise bien de gens, personne ne se dit contre ! La justice sociale ? Comment sauver et pérenniser les membres d’un petit peuple en laissant de côté les plus démunis ? L’Europe politique reste à faire. Elle est celle des États pour le moment, et non des peuples. Les frontières sont abolies pour la circulation des hommes et des marchandises. Mais au moindre problème, seul les États gèrent (mesures sanitaires, vaccinations différentes…) selon les risques économiques et sociaux de chacun. Même lorsqu’ils sont d’accord sur le principe d’aider l’Ukraine, ils le font un à un, chacun à sa main. Si une Europe politique avait été déjà en place, Poutine aurait-il pu agir comme il l’a fait ?

 

Vous avez fait aussi du journal une véritable entreprise au niveau du fonctionnement. Comment expliquez-vous pourtant cet acharnement à ne pas voir en lui une vraie presse ?

Les essais constants de freiner Arritti, de le faire taire, de ne pas le reconnaître en tant que presse, sont de même nature que de nier le Peuple Corse, de ne pas reconnaître après plus d’un demi siècle d’action du mouvement nationaliste autonomiste, l’existence d’un peuple sur son territoire insulaire, qui a des droits, une histoire, une langue.

La perte du système organisé des clans, l’avènement d’une majorité nationaliste à la CdC, le rejet frontal d’admettre une légitimité à cette majorité, l’activisme de certains préfets, sont suffisamment évidents pour le prouver.

 

Arritti fêtera 60 années de parution dans 4 ans… Pensez-vous qu’il a répondu aux attentes que vous aviez lorsque vous l’avez créé ?

Dans 4 ans Arritti fêtera ses 60 ans de parution, certes. A-t-il répondu à mes attentes ? Serai-je encore là ? Peu importe. Il y a déjà des militants qui sont en nombre et en capacité de faire, et qui font. J’aurais rêvé qu’Arritti devienne un journal plus étoffé, ayant d’avantage de lecteurs, pour faire prendre conscience que démocratie, transparence, solidarité sont les moteurs de la lutte, du salut collectif.

Être un des premiers est un sort heureux. Mais il faut des relais, des luttes, des militants en nombre croissant pour sauver un peuple, en livrant bataille. Un peuple, petit de surcroît, doit pour ce but mobiliser énergies, savoirs, déterminations. La vigilance sans cesse. On ne sauve pas un peuple par procuration.

Je répondrai à la question de l’organisation d’un parti, que j’évoque en permanence, une prochaine fois. Ce n’est pas l’amour de la terre des pères (de la Patrie) qui manque, c’est l’organisation d’une force politique démocratique, d’intelligence collective au sein du peuple, l’outil de son émancipation et de sa survie. À tous les nationalistes, je ne peux que dire : tout reste à faire, avà tocca à voi ! •

 


Arritti ringrazieghja i so sustegni

Arritti ringrazieghja tutti i sustegni chì si sò manifestati dapoi l’attacca di u prefettu Lelarge per impedisceci di publicà annunzii legali o ghjudiziarie, è cusì mètteci in grande dificultà. Sustegni pulìtichi, da tutte e tendenze, sustegni militanti, sustegni cummerciali, sustegni di i lettori, in grazia à voi, ritruvemu fiatu. Cuntinuate à pòrghjeci sustegni ! Parlate d’Arritti à i vostri parenti, i vostri amichi. Vòlenu fà tace u vostru settimanale, ùn ci taceremu micca, Arritti fermeremu cum’è dapoi 56 anni ! Abbunàtevi mandènduci un sceccu di 45 € (per un primu abbunamentu è per un annu), 55 € o di più per un sustegnu. Inseme vinceremu. •

Arritti remercie tous les soutiens qui se sont manifestés depuis l’attaque du préfet Lelarge à notre encore pour nous empêcher de publier les annonces légales ou judiciaires, et ainsi nous mettre en grande difficulté financière. Soutiens politiques, de toutes tendances, militants, commerciaux ou de simples lecteurs, grâce à vous, nous retrouvons du souffle. Continuez à nous apporter votre soutien. Parlez d’Arritti à vos parents, à vos amis. Ils veulent faire taire votre hebdomadaire, mais nous ne nous tairons pas. Debout nous resterons comme depuis 56 ans ! Abonnez-vous en nous adressant un chèque de 45 € (pour un premier abonnement et pour un an), 55 € ou plus pour un soutien. Inseme vinceremu. •