Logement dans les territoires touristiques

Solutions à trouver d’urgence !

Les députés Jean Félix Acquaviva pour la Corse et Xavier Roseren pour la vallée de Chamonix en Haute Savoie ont co-organisé en marge de l’Assemblée Nationale une conférence sur les difficultés rencontrées par les populations résidentes en zone de spéculation foncière touristique pour se loger et pour vivre là où elles travaillent.

 

Leurs invités étaient aussi bretons et basques, notamment la mairesse de Paimpol en Bretagne et celle de Guétary sur la côte basque qui ont toutes les deux décrit les mêmes phénomènes. La population permanente diminue inexorablement, les commerces ferment, les travailleurs sont renvoyés dans des zones de plus en plus périphériques pour se loger, avec un impact considérable sur la vie quotidienne : transports en commun impossibles à structurer, scolarisation des enfants qui ne peut plus se faire dans la ville où ils ont leur activité, éloignement de la vie culturelle, qui finit par s’éteindre dans le bassin de vie, etc.

Comment en est-on arrivé là ?

 

Le phénomène des résidences secondaires s’est développé avec le tourisme depuis un demi-siècle. Il a été généré par la grande attractivité de certains territoires, majoritairement littoraux, mais le même phénomène existe aussi dans les vallées alpines les plus prisées, où les plus aisés ont acheté terrains et maisons dans le double but de profiter d’une villégiature et de réaliser un placement immobilier. Ces biens ont alors été soustraits à l’offre de logement des résidents qui, bien qu’ils vivent et travaillent sur place, finissent par être économiquement expulsés de leur propre cadre de vie.

L’accélération de ces dernières années est attestée par les statistiques, et la situation est devenue critique. Encore une trentaine d’année au même rythme, et on sera arrivé au terme d’une dépossession généralisée au détriment des résidents qui, même s’ils ont un travail correctement rémunéré, ne peuvent concurrencer les profits générés par les derniers développements de la spéculation touristique.

Celle-ci est en effet dopée désormais par le phénomène des locations promues par internet, à travers des sites comme Airbnb, Abritel et autres. La commercialisation touristique devient alors la motivation principale de l’acquéreur et les profits générés financent l’acquisition et l’entretien du bien qui devient le support d’une activité para-commerciale. Depuis l’apparition de ces sites internet, la spéculation a pris une ampleur nouvelle et les résidents locaux les moins argentés ne peuvent rivaliser avec des loyers mensuels ordinaires face à des locations saisonnières bien plus lucratives.

Comment résister à ce phénomène qui en une décennie ou deux achèvera de transformer des lieux de vie en zones désertes l’hiver et sur-fréquentées l’été ? Ayons en tête l’exemple de l’île de Cavaddu pour imaginer à quoi tant de sites en Corse finiront par ressembler.

Les moyens existants sont manifestement sous-dimensionnés. La taxation spécifique des résidences secondaires au titre de la taxe foncière est possible mais cela reste sans effet réel face aux moyens de ceux qui achètent, et dans la mesure où l’activité para-professionnelle de loueur génèrera des revenus largement suffisants pour y faire face. Il est sans doute souhaitable cependant d’actionner le levier fiscal, notamment les droits de mutation pour alimenter un fonds régional en mesure de se substituer à l’acquéreur en cas de nécessité. C’est un des pans de la réforme que Jean Félix Acquaviva a avancé lors de débats parlementaires, en y ajoutant la création d’un droit de préemption généralisé au profit de l’Assemblée de Corse. Cela afin de permettre au moins de satisfaire aux besoins publics que les communes ne peuvent plus assumer seules – pour ouvrir une école, faire des logements sociaux, etc.

 

Le statut de résident a pour intérêt de générer un marché immobilier différencié selon que l’on vit sur place ou non, avec un recul de temps plus ou moins long. C’est la solution qui apparaît comme la plus simple et naturelle, mais elle heurte des principes constitutionnels d’égalité devant la loi, et des principes européens fondateurs comme la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux. Les jurisprudences sont défavorables, et il faudra beaucoup de poids politique pour le faire admettre.

La Suisse, hors l’Union Européenne, a mis en place dans certaines zones où la situation est très tendue, un système de quotas de résidences secondaires pour combattre le phénomène des « lits froids », ces appartements ou maisons aux volets clos dix ou onze mois sur douze. Mais ce stratagème vaut en droit suisse, sans garantie en droit européen, et il s’accompagne d’un encouragement à « sédentariser » les propriétaires extérieurs à la commune, particulièrement les retraités, voire certains actifs en encourageant le télétravail. Pas sûr que ce soit l’idéal en Corse.

Mais ces réformes complexes, si on peut s’en inspirer pleinement, ne pourront être opérationnelles qu’après un temps long. Or c’est dans le temps court que le problème se pose.

 

Le troisième levier proposé par un intervenant, Maître Tomasi, avocat d’U Levante, est de s’appuyer sur le droit de l’aménagement du territoire. Les outils nécessaires sont l’existence d’un document territorial prescriptif, comme le Padduc qui existe déjà en Corse seulement, et la possibilité donnée par la loi pour un tel document de définir des zones de forte tension spéculative, puis d’y édicter des principes de limitation sur la constructibilité, et surtout sur le changement de destination d’un bien jusque-là occupé par un logement à l’année et destiné par son nouveau propriétaire à de la location touristique. Ces Espaces Stratégiques d’Equilibre pour l’Urbanisation s’inspireraient alors directement des Espaces Stratégiques Agricoles.

Cette proposition permettrait sans doute de mettre un frein véritable à la spéculation. Mais auparavant, il faudra avoir révisé le Padduc en Corse -vaste chantier !- et instituer des cadres semblables ailleurs en France. Vu le temps qui presse, il est urgent de commencer au plus vite, notamment dans le cadre législatif de l’Assemblée Nationale. •

F.A.