Savoie

Protéger la région d’un projet aux lourdes conséquences écologiques

Au cœur de la chaîne des Aravis, en Haute-Savoie, une plaie béante est sur le point de s’ouvrir. Une blessure dans le sein de la montagne, arrachant sur son passage des hectares de forêt. Non, ce n’est pas le début d’un roman post-apocalyptique dont nous parlons aujourd’hui, mais une réalité contre laquelle se battent plusieurs associations depuis presque une année maintenant : un projet de retenue d’eau collinaire sur le plateau de Beauregard, à la Clusaz, l’équivalent de 60 piscines olympiques d’eau ! 8 hectares de forêt abritant 58 espèces protégées sont menacés. Ce projet, dont l’initiative a débuté en novembre 2021, est aujourd’hui le centre de nombreuses tensions entre les autorités publiques, les promoteurs du projet, et les six associations constituant le collectif Sauvons Beauregard, et particulièrement le collectif Fiers Aravis. Entretien avec des militants.

 

 

Ce projet fait partie de centaines d’autres retenues d’eau prévus par le plan montagne II présenté par le Président de la région Auvergne Rhône Alpes Laurent Wauquiez. C’est une raison pour le moins cynique et une belle audace que met en avant M. Wauquiez pour le justifier : le dérèglement climatique a pour conséquence une instabilité des niveaux de neige des différentes stations de ski pour la saison hivernale. Valérie Paumier, membre de l’association Résilience Montagne, dresse un constat lapidaire : « C’est un projet qui a été justifié par des raisons fallacieuses, notamment la question du manque d’eau potable. Or, quand on se penche sur le projet, on se rend qu’il n’est pas du tout question d’obtenir de l’eau potable. »

 

L’accès et les quantités d’eau potable, épouvantail du projet

Valérie Paumier est très claire : « l’accès en eau potable est un alibi établi par les porteurs du projet pour obtenir une déclaration d’utilité publique (DUP) délivrée par arrêté préfectoral. La question de l’eau potable est celle qui a été mise en avant pour justifier ce chantier, alors que produire de l’eau potable n’a jamais été le but du projet à la base.  C’est une justification de circonstances. » Pour Mme Paumier, la question de l’eau potable est fallacieuse : « la future retenue d’eau, explique-t-elle, serait remplie par captage d’une source d’eau presque potable située 3000 mètres en aval, par un système de pompes. L’eau, une fois dans la retenue, deviendrait alors impropre à la consommation. Afin de la redistribuer dans le réseau d’eau potable, il faut donc la rendre de nouveau potable avec des machineries complexes ». Un gâchis prémédité de ressources et d’énergie, en somme.

Un autre dossier chaud finit de noircir l’affaire de l’eau potable : sous le sol du village de la Clusaz, de l’eau. Beaucoup. C’est la conclusion d’un rapport dont la production a été demandée par l’ancien  conseil municipal : une nappe phréatique de 10 millions de m³ d’eau dormirait sous les pieds des habitants. Ce rapport a rapidement été étouffé par la nouvelle mairie favorable au projet : selon le maire actuel, un forage aurait démontré qu’aucune eau n’est présente sous la Clusaz. Un forage… géothermique. Ce qui revient à chercher des diamants avec un détecteur à métaux ! Selon une représentante des collectifs : « La mairie actuelle refuse d’effectuer ce forage qui coûterait seulement quelques dizaines de milliers d’euros, car ils pensent que le projet de retenue d’eau va attirer des nouveaux habitants. Or, on sait que la région se vide de ses habitants, les habitants ne peuvent plus se loger en raison du prix de l’immobilier ».

 

Les intérêts privés et financiers, premiers bénéficiaires du projet

La vraie raison derrière ce projet est de pouvoir concurrencer les régions italiennes, suisses et autrichiennes en termes de tourisme et d’activités liées aux stations hivernales : ces régions ont de 70 % à 90 % de neige artificielle pendant la saison hivernale pour satisfaire les skieurs. Le but serait de permettre à la Savoie d’avoir jusqu’à 70 % de neige artificielle pour faire face à la concurrence. Derrière cette volonté de rendre la région plus attractive qu’elle ne l’est déjà, dépendent les intérêts privés de nombreuses sociétés : une militante du collectif Fiers Aravis désigne notamment les promoteurs immobiliers. « Leur idée est de proposer à la vente des biens dans des paysages enneigés de carte postale, “skis aux pieds”, mais la réalité c’est que la neige n’est pas forcément présente tous les hivers et pas à chaque moment ; et cela ira de pire en pire avec ce type de projet énergivores et aux impacts écologiques importants. »

 

Les militants n’entendent pas renoncer malgré les nombreuses pressions

Le dernier rempart face à la mise en place du chantier, ce sera un recours de la part des associations mobilisées contre le projet si l’autorisation est donnée par le tribunal administratif. Un recours dans un temps extrêmement court, l’autorisation pouvant être donnée à n’importe quel moment par les autorités publiques, pour une mise en œuvre sous moins de 24h. Les associations s’attendent à ce que les engins de chantier soient prêts à attaquer dans les heures après l’autorisation préfectorale. Autrement dit, une réelle course contre la montre.

Les militants du collectif Sauvons Beauregard n’entendent faire aucune concession face à ce projet, et ce malgré les pressions et les intimidations auxquelles ils sont confrontés. Une représentante du collectif Fiers Aravis nous confie : « nous avions déposé une demande pour une manifestation, qui a été acceptée par la préfecture. Quand nous sommes arrivés au lieu de la manifestation, un barrage policier attendait les manifestants. Nous avons été fouillés, beaucoup de matériel a été confisqué, et de nombreuses personnes n’ont pas pu atteindre le lieu de la manifestation en raison des filtrages. » Elle ajoute que de nombreuses personnes ont fait l’objet de fichage, les plaques des voitures de manifestants ayant été notées par les forces de l’ordre, sous le prétexte de répréhension du terrorisme et de la lutte anti-drogue. « Le lendemain, les barrages, n’étaient toujours pas levés dans le cadre d’une autre manifestation dans la région, le motif exposé étant qu’il y avait eu de la casse lors de notre manifestation, ce qui est complètement faux. »

Ces événements s’ajoutent à la longue liste de pressions dont les militants font l’objet. Au cours de l’année écoulée, peu de dialogue leur a été accordé par les pouvoirs publics. Laurent Wauquiez, en sa qualité de président du conseil régional, a petit à petit réduit les subventions perçues par les associations épluchant les dossiers liés notamment à ce projet.

 

Le message que ces militants souhaitent faire passer est clair : ce projet n’est que l’arbre qui cache la forêt du tourisme de masse en Savoie. « Nous voulons que les gens réalisent que le tourisme est un secteur précaire, produisant 11 % des gaz à effet de serre dans le monde » rappelle une militante de Protégeons la Joyère. Pour une région comme la Savoie, très attractive, les conséquences du tourisme de masse ne sont plus à prouver. « Nous, les habitants, on nous demande une sobriété énergétique pour éviter les coupures de courant en hiver, tandis que des projets inutiles et énergivores comme celui-ci voient le jour. »

À l’heure où le président de la région Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, et le président du conseil départemental Martial Saddier ont alloué 350 millions d’euros à la relance des stations de ski et à la sécurisation de la neige pour les sports d’hiver, ce message résonne comme une dernière alarme de mise en garde inaudible par les décideurs publics. •

Léa Ferrandi.