Philippe Gatti, Pierre Alain Mannoni

L’honneur du Peuple Corse

Le premier est avocat, le second chercheur universitaire. L’un et l’autre ont été conduits, au même instant, à incarner l’honneur du peuple corse. L’un dans l’exercice de son métier d’avocat en dénonçant la « fachosphère » qui se développe sur internet.
L’autre devant un tribunal de Nice où on voulait le condamner pour avoir fait preuve d’humanité face au drame vécu par les migrants.

 

 

“Une question de dignité, ou d’honneur comme on dit » : c’est au nom de ces principes revendiqués comme héritage de son éducation corse que le chercheur universitaire Pierre Alain Mannoni a assumé l’acte de délinquance qui lui valait de passer en tribunal correctionnel à Nice. Un jour d’hiver, dans la vallée de la Roya, trois migrantes érythréennes, dans le plus grand dénuement matériel et psychologique, désemparées et livrées à la rue et au froid, étaient en danger. Il les a embarquées dans son véhicule et proposé de les héberger dans son domicile niçois pour les arracher à un sort funeste.

 

Mais cette vallée alpine de l’arrière-pays niçois a la particularité de n’être accessible qu’après avoir franchi un « corridor frontalier » en territoire italien. D’où cette frontière à franchir et l’arrestation de Pierre Alain Mannoni pour « trafic international de migrants ». Devant le tribunal, il a assumé son acte avec simplicité, franchise et détermination. Le tribunal l’a acquitté, mais le procureur a fait appel.

 

Philippe Gatti était la semaine dernière le défenseur devant le tribunal d’Aiacciu d’un homme accusé d’une agression sur des commerçants. Le lot des avocats est de défendre y compris des coupables pas toujours faciles à défendre, et celui-là l’est assurément qui a blessé et insulté ses victimes. Mais son acte doit être examiné par la justice, et la condamnation proportionnée à son délit. Me Gatti a détaillé le rôle exact de son client dans l’agression, manifestement moins central que ce qu’en avait décidé le « procès populaire » instruit sur internet. Ceux qui étaient dans le public n’ont pas apprécié, et ont « secoué » l’avocat ajaccien à sa sortie du tribunal.

 

Car la « fachosphère d’internet » a pris cette affaire à cœur. L’agresseur qui est dans le box est maghrébin, et on veut en faire un exemple. Tout ce qui remet en cause sa condamnation à la peine maximale est alors montré comme du laxisme volontaire et de la complicité avec « les étrangers délinquants ». Ces adeptes des procès par internet parlent bien souvent au nom du peuple corse, ou de la « civilisation chrétienne », entre autres thèmes à la mode qui ont été à l’œuvre déjà dans l’affaire des jardins de l’Empereur il y a un peu plus d’un an. C’est internet aussi qui a rendu célèbre l’affaire de l’aide portée aux migrants dans la vallée de la Roya, à laquelle l’inculpation de Pierre Alain Mannoni est liée. Regroupés autour d’un agriculteur que ces cortèges de pauvres hères, abandonnés aux rigueurs de l’hiver, hommes, femmes et enfants, a bouleversé, et qui a organisé leur «mise à l’abri », d’abord sur sa propriété, puis dans un local abandonné de la commune car leur nombre était trop important, un groupe d’habitants a envoyé un message de solidarité et d’humanité qui s’est répandu partout via internet, l’exact message inverse de celui que la « fachosphère » colporte.

 

Dans la vallée de la Roya, étrange vallée qui sert de passage vers la France depuis une Italie saturée de migrants, au relief escarpé, avec un territoire pauvre et en voie de désertification, la solidarité a fait place à l’indifférence et à l’hostilité, et la communauté solidaire de ces villages perdus a réchauffé les cœurs et rassuré notre société sur la capacité d’humanité qui reste en elle.

 

Je me souviens que la Corse en avait fait de même en janvier 2010 quand un bateau fantôme avait débarqué sur une plage de Bonifaziu 124 migrants kurdes de Syrie qui fuyaient le régime dictatorial de Bachar El Assad. L’élan de solidarité et de sollicitude qui avait alors animé le sud de la Corse avait été de même nature et nous avait rempli de fierté.

 

Assurément, Philippe Gatti, Pierre-Alain Mannoni, comme beaucoup d’autres avec eux, font honneur au peuple corse.