Par François Alfonsi
Le gouvernement Sanchez a été investi par une majorité de 179 députés à Madrid. L’alliance entre le parti socialiste PSOE et Sumar, issu de Podemos, a été reconduite après les élections du 23 juillet dernier. Elle a bénéficié des voix des 11 députés basques et des 14 députés indépendantistes catalans, du député ALE galicien et de celui de la coordination canarienne, après avoir signé avec eux des « accords d’investiture ». Pour les catalans l’exigence principale était la loi d’amnistie pour en finir avec la répression incessante qui s’acharne sur des citoyens et des responsables en fonction lors du referendum du 1er octobre 2017, alors qu’ils n’ont pourtant jamais fait acte de violence dans l’expression de leur projet d’indépendance pour la Catalogne. La droite et l’extrême droite enragent, mais la démocratie est passée. Une page est tournée. Une nouvelle est à écrire.
Cette politique de détente envers la question catalane est en fait une constante de la politique suivie par Pedro Sanchez depuis son élection comme premier ministre en janvier 2020 grâce au soutien de républicains catalans d’ERC qui voulaient éviter le retour au pouvoir de la droite. Dans cette précédente mandature, en décidant la grâce pour ceux qui étaient emprisonnés par la justice espagnole, après quatre années de détention, alors que leurs condamnations étaient de dix à treize années de prison, et en installant une table de dialogue pour envisager l’avenir politique de la Catalogne, Pedro Sanchez et les républicains d’ERC avaient dessiné la feuille de route qui a été négociée aujourd’hui.
Mais les conditions politiques qui prévalaient alors n’ont pas permis d’aller de l’avant. Les forces politiques espagnoles engagées contre le dialogue avec les catalans, la droite du Partido Popular, le mouvement Ciutadanos et surtout l’extrême-droite Vox, en pleine progression électorale, constituaient une opposition frontale trop puissante. De plus, elle était appuyée par l’appareil d’État, notamment les institutions judiciaires, obnubilées par leur frénésie répressive. Après les dirigeants politiques condamnés à des peines « à la turque », car il faut aller en Turquie pour assister à de telles condamnations (13 ans de prison !) pour de simples faits politiques, les juges ont continué leur harcèlement contre des centaines de cadres catalans, élus locaux et responsables administratifs, très lourdement condamnés à leur tour par des sanctions pécuniaires ahurissantes.
Les élections législatives du 23 juillet dernier ont totalement rebattu les cartes politiques de l’Espagne. Tout d’abord, la formation centriste Ciutadanos, créée en il y a quinze ans par opposition au mouvement indépendantiste catalan, a carrément disparu de la scène politique. Or le PSOE avait eu dans le passé des accords de gouvernement avec elle, permettant à la minorité anti-Sanchez du PSOE, emmenée par l’ancien Premier ministre Felipe Gonzalez, de proposer une alternative à l’accord avec les formations catalanes. Cette alternative disparue, le PSOE n’avait plus que l’option de la négociation avec le mouvement catalan pour espérer gouverner.
Quant à Vox, pourtant conforté par les élections locales, il a perdu la moitié de ses voix en quelques semaines, du fait de ses positions extrémistes, anti-européennes, anti-féministes, anti-sociales, etc. Son recul a fait échouer la droite dans la conquête du pouvoir, et sa capacité de nuisance est aujourd’hui bien moindre.
La manifestation anti-amnistie qui s’est tenue à Madrid ce week-end, malgré ses 170.000 participants, a rapidement quitté la une des journaux espagnols pour faire place aux commentaires sur la composition du nouveau gouvernement Sanchez. Parmi les promus, un nom a retenu l’attention, celui de Felix Bolanos, nouveau ministre de la Justice, celui-là même qui a négocié au nom du PSOE les accords avec les mouvements indépendantistes catalans, et notamment le contenu de la loi d’amnistie promise par Pedro Sanchez. Le basculement opéré au lendemain du scrutin de juillet est donc bien installé désormais, et les résistances qui vont continuer à sévir ne semblent pas en mesure d’entraver la démarche politique engagée.
Cela déplait à beaucoup, y compris en Europe, parmi ceux qui avaient appuyé le Partido Popular (PPE) et Ciutadanos (Renew) dans leur croisade contre les indépendantistes catalans. Ainsi la Commission européenne, « saisie par un grand nombre de citoyens » a jugé bon d’admonester Sanchez pour ses choix politiques. Par un courrier adressé le 8 novembre, le vice-Président Didier Reynders faisait état de « préoccupations sérieuses sur la possible adoption d’une loi d’amnistie » et demandait à « travailler avec les autorités espagnoles pour s’assurer du respect de l’État de droit ». Depuis la Commission a fait machine arrière, mais cet incident est révélateur des pressions qui s’exercent.
Si l’Europe veut être plus forte vis-à-vis des menaces nouvelles qui se font jour à ses frontières, elle doit commencer par régler ses propres conflits internes. Le conflit catalan est à cet égard emblématique. La tension politique qu’il génère est une entrave à la bonne marche du projet européen, et le dialogue politique désormais installé institutionnellement à Madrid est le gage d’un meilleur avenir pour la Catalogne, pour l’Espagne et pour l’Europe. •