François Alfonsi, député européen de la Corse et du groupe Verts/ALE, très attaché depuis toujours à la protection de notre environnement et particulièrement de la réserve de Scàndula pour laquelle il œuvre depuis des années à son élargissement, a adressé une Lettre ouverte à Madame Iva Obretenova, Secrétaire de la Convention de Berne, du Conseil de l’Europe ce 5 mai 2020. La voici in extenso.
Madame,
Vous avez été destinataire d’un avis du Comité des Experts mis en place par votre institution pour le suivi de la situation de la Réserve de Scàndula en Corse, un des 69 sites en Europe qui bénéficient du Diplôme Européen des Espaces Protégés délivré par le Conseil de l’Europe. L’avis préconisé par ce Comité vous demande de procéder au retrait définitif de ce diplôme en raison :
– du non aboutissement à la date du 31 janvier 2020 de la procédure lancée en 2010 pour l’extension de la réserve de Scàndula ;
– de la pression croissante, désormais incompatible avec la tranquillité et la préservation des espèces protégées, exercée par la fréquentation touristique du site ;
– de la non-réponse des autorités françaises en charge de la protection de la réserve à un courrier d’avril 2019.
Vous avez été aussi destinataire d’un courrier du gestionnaire de la Réserve, le Parc Naturel Régional de Corse, qui répond à cet avis d’experts. Dans cette réponse, il est question :
– de courriers non parvenus et de ratés manifestes dans la communication avec votre expert délégué qui ont certainement aggravé sa perception de la situation ;
– d’une procédure d’agrandissement de la réserve, largement avancée, mais il est vrai non aboutie au 31 janvier 2020 ; mais la lenteur et la complexité des procédures de ce type en France sont vous le savez proverbiales ;
– d’une prise de conscience réelle, même si elle a été tardive, des perturbations intolérables que le milieu naturel subit à Scàndula en raison de la croissance rapide, depuis quelques années, du nombre de bateaux à passagers qui font visiter la Réserve.
Je suis député européen depuis mai 2019, et j’étais jusque là le Maire de la commune d’Osani qui accueille la partie terrestre de la Réserve, et dont le littoral borde la réserve marine, au large du village de Girolata. Dans le droit français, un maire n’a pas de pouvoir sur la partie maritime de sa commune. C’est l’Etat directement, avec le relais de la Préfecture maritime du secteur, basée à Toulon, qui exerce toutes les compétences de gestion.
J’ai pourtant plusieurs fois alerté les autorités administratives de la nécessité de resserrer le dispositif de gestion de la réserve, en le dotant d’un moyen de régulation qui, dans le droit maritime français, fait totalement défaut. Ma proposition était concrète : instaurer des licences professionnelles, en nombre limité, attribuées aux professionnels concernés. La mise en place de ces licences serait un moment de négociation qui permettrait d’obtenir immédiatement le retrait d’un certain nombre de bateaux avec comme monnaie d’échange ces licences qui seraient de véritables « pas de porte » commerciaux. Cela serait là une première « bouffée d’oxygène » pour le milieu naturel. Et, comme le fait le diplôme que vous attribuez, je proposais que leur maintien dans le temps soit conditionné à des bonnes pratiques, y compris le respect des distances réglementaires par rapport aux nids de balbuzards, et/ou des évolutions de flotte, et que leur nombre soit ajusté, de manière régulière, selon les avis produits par les experts scientifiques.
Cette proposition a été écartée pour des raisons d’ordre juridique, les représentants de l’État ayant affirmé que « ce n’est pas possible ». Je pense qu’avec votre aide cela pourrait enfin le devenir, y compris par une modification législative qui dépend du Parlement français. C’est pourquoi j’ai proposé à mes collègues députés élus dans les circonscriptions de Corse de s’engager dans une mission de médiation avec vous dans l’espace de temps qui nous est offert d’ici votre prise de décision définitive qui est prévue pour le 4 décembre prochain.
Il ne peut y avoir de gestion durable de la Réserve sans un moyen de régulation de la fréquentation piloté par l’autorité publique sur la base des avis d’experts scientifiques. C’est ma conviction et je présume que votre expérience sur d’autres sites européens vous amène à la même conclusion.
La proposition de retrait définitif du diplôme européen à la réserve de Scàndula que vos experts ont préconisée me semble conduire à une sorte de « politique du pire ». Beaucoup de Corses ont manifesté leur émotion lors de l’annonce de la possibilité du retrait de la reconnaissance européenne dont la Réserve de Scàndola bénéficie grâce au Conseil de l’Europe. Comme eux, je crains que cette décision ne fasse qu’empirer les choses.
Car il nous faut regarder devant et non derrière. Que se passera-t-il demain, une fois la pression salutaire de ce diplôme disparue ? La réputation touristique de la réserve n’en sera pas affaiblie pour autant car son attrait principal tient aux paysages minéraux grandioses qu’elle propose aux visiteurs. Par contre, le milieu naturel exceptionnel et fragile qu’elle abrite aura vite fait de « passer aux oubliettes ». Paradoxalement, la conséquence mécanique de votre action aurait été alors de précipiter une politique dont l’effet sera de sacrifier ce qui est, et doit rester à tout prix selon moi, un haut-lieu de la Nature en Europe et en Méditerranée.
Je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de mes sentiments les meilleurs. Je me tiens à votre entière disposition pour poursuivre le dialogue que je vous propose, par tous moyens à votre convenance en cette période de crise sanitaire.
Cordialement, »
François Alfonsi, Député européen,
Groupe Verts – Alliance Libre Européenne