Txex raconte…

Comment s’est passé le démantèlement de l’arsenal d’ETA

Arritti : Comment un militant qui était opposé à la stratégie d’ETA, s’est retrouvé avec d’autres, avec dix caisses d’armes et d’explosifs, arrêté par la police anti-terroriste du RAID à Louhossoa en 2016?

Jean Etcheverry: On était dans une situation assez suréaliste et dangereuse en cette fin d’année 2016. Depuis plus de 5 ans, l’organisation ETA qui était née sous la dictature franquiste en mouvement de résistance et de lutte pour le droit à l’autodétermination du peuple basque, avait au bout de 60 ans d’existence, décidé d’arrêter définitivement la lutte armée. C’était suite à la conférence d’Aiete, en 2011, présidée notamment par Kofi Anan décédé il y a quelques semaines et qu’on peut saluer pour son inlassable travail pour la paix et la justice dans le monde.

Plus de 5 ans après donc, non seulement rien n’avait changé, non seulement les deux États français et espagnol n’avaient manifesté aucun signe d’accompagnement en adoucissant la politique pénitentiaire par exemple, mais on avait l’impression qu’ils jetaient de l’huile sur le feu en multipliant les provocations, les agressions, les actes de répression et en continuant à mettre une pression terrible sur ETA.

 

Pourtant des signes forts étaient donnés dans la société basque…

Il y avait notamment sous l’égide d’une commission internationale tout un processus de vérification que l’arsenal n’était pas utilisé, et au contraire faisait l’objet d’un inventaire puis d’une mise sous scellés. Or plusieurs opérations policières et judiciaires ont été menées pour arrêter les militants qui procédaient à cet inventaire, jusqu’à convoquer les membres de la commission internationale devant les juges ! Rien n’était mis en place pour aider ETA à avoir une fin ordonnée, organisée, sécurisée. C’était un vrai problème politique.

 

Qu’est-ce qui vous amène à agir en 2016?

Il y avait des caches d’armes et d’explosifs un peu partout dans la nature, et cette question du désarmement empêchait toutes les autres d’avancer sérieusement. Les militants qui n’étaient pas du monde d’ETA, voire qui y étaient opposés, voyaient avec inquiétude apparaître des dissidences, même si elles étaient ultra minoritaires. Dans quelles mains allaient tomber ces armes ? On se méfiait aussi des risques de manipulation. Et puis l’Etat espagnol jouait la montre, il cherchait une espèce de défaite totale, de déroute, d’humiliation de l’organisation ETA, en arrêtant jusqu’au dernier de ses militants.

On savait cette logique dangereuse à moyen et long termes. Quand un conflit s’arrête par l’écrasement total d’une des parties, forcément on sème des germes d’une prochaine revanche et la volonté pour la génération suivante de revenir à la charge, souvent dans des conditions encore plus exacerbées.

Il fallait faire quelque chose.

 

Comment vous y êtes-vous pris ?

Ça n’était pas évident, après des années de divisions sur des visions stratégiques différentes, il n’y avait pas forcément des rapports de confiance. Mais cette discussion a eu lieu avec une organisation que l’on a trouvée particulièrement réaliste, pragmatique et qui a tenu tous les engagements qu’elle avait pris. Le point central était qu’ETA déléguait la responsabilité du démantèlement de la totalité de son arsenal à la société civile, par le biais de trois représentants qui étaient Michel Berhocoirigoin, ex-président de la Chambre d’Agriculture alternative du Pays Basque, ancien secrétaire national de la Confédération Paysanne, Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme et moi-même. Nous nous engagions à mener ce désarmement jusqu’au bout. À Louhossoa, on avait une partie significative de l’arsenal, 15%, que nous nous apprêtions à neutraliser.

 

Comment vous êtes vous préparés à une éventuelle arrestation ?

On avait préparé l’échange de lettres entre nous et l’organisation ETA, mais également un texte qui expliquait notre philosophie, un communiqué de presse pour appeler à un rassemblement pacifique immédiat. Ce qui fait que quand nous avons été arrêtés, alors même que d’un côté le ministre de l’intérieur français, intoxiqué par les services de police espagnols, faisait état d’une grande victoire et d’une opération anti-terroriste contre l’organisation ETA, de tous les autres côtés sortait la vraie version de cette affaire: il s’agissait en réalité de militants de la société civile qui oeuvrait au désarmement d’ETA.

 

La réaction de soutien a été immédiate ?

Un appel au gouvernement français a été signé par 600 à 700 élus qui disaient que nous n’avions fait que ce qu’auraient dû faire les deux gouvernements français et espagnol depuis 5 ans. Le fait que des gens de la société civile connus pour leur engagement pour la non-violence puissent mener à bien ce travail-là posait un problème politique différent.

 

La population a suivi ?

Immédiatement dans les heures qui ont suivi notre arrestation, un rassemblement pacifique s’est tenu autour de la maison où l’on était retenu par la police, qui a duré toute la nuit. Le lendemain matin, les élus de toutes tendances, de la droite française à la gauche abertzale en passant par toutes les couleurs du centre, des écologistes, des socialistes etc, faisaient une conférence de presse et appelaient à une manifestation. Le lendemain après-midi, 4000 personnes défilaient dans les rues de Bayonne.

 

Finalement cette énième provocation du gouvernement espagnol a servi votre action ?

Dès notre sortie, nos premières déclarations ont consisté à dire qu’il était temps de mener à bien le désarmement d’ETA et que nous comptions le faire jusqu’au bout pour contribuer à une paix durable et juste. Depuis Aiete, il y avait un travail énorme dans la société civile du Pays Basque et ailleurs, au parlement européen. Un groupe transversal travaillait sur les conditions du processus de paix, une organisation plurielle réunissait tous les mouvements sociaux et élus en faveur du processus de paix. À Paris à l’Assemblée Nationale un groupe s’était créé dans les mêmes objectifs. Depuis 20 ans en Pays Basque Nord, toute une tradition permet à des gens de toutes tendances, abertzale ou non, de droite, de gauche, du centre, écologistes, de travailler ensemble sur des sujets d’intérêts généraux.

Par exemple la lutte pour un département Pays Basque, ou bien pour défendre la Chambre d’Agriculture alternative du Pays Basque. Tout ceci a permis ce mouvement énorme et transversal de solidarité immédiatement après Louhossoa.

Pendant notre garde à vue on nous a appelé «les artisans de la paix». Dans la foulée, il se crée un mouvement qui prend ce nom pour mener le désarmement mais aussi pour aller plus loin et construire toutes les conditions d’une paix durable.

 

Comment a réagi le gouvernement français ?

Le gouvernement français a toujours considéré, même si ça se passait sur son sol, que c’était un dossier espagnol, que c’était Madrid qui décidait ce qu’il fallait faire, Paris suivait aveuglement. Le 10 février, Jean Marc Ayrault, ancien premier ministre, vient à Biarritz et fait une déclaration surprenante pour un ministre des affaires étrangères, il dit : le désarmement est quelque chose de positif, tout le monde veut ça et chacun doit y contribuer. Évidemment, ça voulait dire quelque chose…

 

Le mouvement de solidarité s’est répandu au-delà du Pays Basque.

Ce qui a fait notre force, c’est que parmi les arrêtés, plusieurs avaient l’habitude de travailler avec des mouvements de l’hexagone, européens, ou internationaux, etc.

Dès notre arrestation, des gens comme José Bové et beaucoup d’autres, ont activité leurs réseaux, interpellé les personnalités politiques et continué à servir d’intermédiaires.

Et à partir de la mi-février un message du ministère de l’Intérieur nous dit que le gouvernement français a décidé de laisser faire le désarmement, l’a fait savoir à l’État espagnol et lui a demandé de ne pas y mettre

d’obstacles.

 

C’est le déclic pour enclencher la suite ?

La dynamique de la société civile va montrer sa détermination et va annoncer dès le mois de mars dans le journal Le Monde sa décision d’organiser la totalité du démantèlement de l’arsenal d’ETA en une seule journée, le 8 avril, c’est-à-dire avant les présidentielles, parce qu’on voulait que cette affaire soit réglée dans le mandat de Monsieur Hollande. Des centaines de personnes, députés, syndicalistes, personnalités, etc., se sont impliqués dans ce désarmement. En même temps, des échanges ont lieu avec le premier ministre lui-même qui va venir à Pau et aura une réunion avec le président de la Communauté d’agglomération du Pays Basque. Tout un tas de contacts vont se mettre en place pour faciliter et sécuriser le processus.

 

Comment s’est passée cette journée du 8 avril ?

Dans un format totalement exceptionnel, les armes et les explosifs regroupés en 8 endroits du Pays Basques et du Béarn et 172 observateurs envoyés par des Artisans de la paix qui prennent possession de ces lieux. La remise des points de localisation de ces caches à des autorités internationales, notamment l’Archevêque de la communauté San Egidio au Vatican, Matteo Zuppi, et un pasteur irlandais Harold Good, qui eux-mêmes remettent l’information à la commission internationale de vérification dans l’Hôtel de Ville de Bayonne, en présence de son maire, Jean René Etchegarray.

Ces points vont être remis ensuite aux autorités françaises qui vont envoyer des équipes de policiers et de démineurs, prendre le relais des Artisans de la paix pour démanteler l’ensemble des armes et des explosifs d’ETA dans la matinée.

 

Un désarmement appuyé par la population…

Dans l’après-midi un rassemblement massif de 20.000 personnes a lieu à Bayonne, avec un triple message: venir appuyer ce désarmement et évidemment demander que ceux qui y ont pris part ne soient pas poursuivis. Dire qu’il ne fallait plus de lutte armée en invoquant la légitimité du peuple basque, car le peuple basque, lui, voulait que s’ouvre un cycle sans lutte armée pour continuer à défendre ses revendications et ses objectifs. Enfin dire aux deux Etats que le désarmement ce n’est pas la paix, que pour construire une paix juste, durable, globale, il fallait résoudre tout un tas de conséquences de ces 80 ans de conflit ininterrompu.

La question de la reconnaissance des victimes des deux camps. La question des prisonniers et des recherchés. Enfin, comme le dit le manifeste des Artisans de la paix «apprendre à vivre ensemble, cesser de regarder les adversaires d’hier comme les ennemis d’aujourd’hui, désarmer les esprits, combattre la haine, répudier l’esprit de vengeance, accepter la confrontation, parce qu’il n’y a pas de vie, pas de société sans confrontation, sans débats, encore moins sans débats démocratiques ».

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