Dominique Cesari, charcutier

60 ans de passion !

Cuzzà est connu pour être une commune dynamique, avec un maire entreprenant, mais aussi des villageois et notamment une jeunesse, bien ancrés dans leur territoire. Le village est réputé pour sa charcuterie, une des meilleures de Corse. De passage dans le Tàravu, Arritti a eu la chance de pouvoir visiter les installations de l’un de ses artisans charcutiers, Dominique Cesari, un homme de passion et de talent. Installée depuis 60 ans, l’entreprise familiale jouit d’une exploitation située entre 750 et 1000 mètres d’altitude, 600 porcs élevés en totale liberté sous les châtaigniers et les chênes verts se nourrissent de leurs fruits qui donnent cette saveur si particulière à la charcuterie traditionnelle. Atelier de transformation équipé aux normes européennes, chambre froide, salle de découpe, saloir, séchoir, la fabrication est professionnelle dans une cave d’affinage où exhalent les parfums de Salciccia, coppa, lonzu, valetta (bulagna), panzetta, panzetta roulée, figatelli et bien sûr prisuttu ! Sans oublier les produits transformés, fromage de tête, pâté, terrines… Un régal pour les yeux et surtout pour les papilles ! Belle rencontre à Cuzzà.

 

 

Racontez-nous le quotidien d’un charcutier…

On travaille de novembre à mars, du lundi au vendredi, au rythme de 20 cochons par semaine abattus. On amène le cochon le samedi à l’abattoir, le lundi, on va faire les coppa de la semaine précédente, à la sortie du sel, on va les poivrer, les mettre en boyaux et les monter au séchoir. On récupère les restes, on met à cuire, le mardi matin on désosse et on fait la préparation du fromage, puis on met en bocaux et on stérilise. On récupère les cochons à l’abattoir et on commence la découpe jusqu’au mercredi matin. Puis on va saler toutes les pièces qui ont besoin de l’être, coppa, lonzu, panzetta, valetta, prisuttu. Et on s’attaque aux mêlés, figatelli, saucisses, saucissons. Ça part ensuite en chambre froide et le jeudi et vendredi s’est mis en boyaux. On travaille comme ça toutes les semaines.

 

Vous êtes votre propre éleveur ?

On est sur toute la chaîne. On est éleveur-charcutier avec à peu près 600 cochons à l’élevage sur 500 hectares de parcours, chênes et châtaigneraie. Ils sont de race nustrale et sont en liberté totale toute l’année. On maîtrise nous-mêmes nos saillies pour rester uniquement sur du nustrale. On a une mise-bas par an qui va commencer au mois d’avril et va se finir au mois d’août selon le nombre de petits que l’on élève. On va porter ces cochons jusqu’à l’année d’après, du mois de novembre jusqu’au mois de mars sur une durée de vie de 18 mois.

 

Pour quelle production annuelle ?

À peu près 400 cochons tués par an mais la production est plus compliquée du fait de la sélection des jambons. Nous sommes en AOP, donc sur un cahier des charges très strict. Sur les cochons abattus on va en éliminer pas mal pour entrer dans l’AOP. Il faut que le cochon soit au-dessus de 85 kg et en dessous de 140. S’il fait 140,01 c’est déclassé. Après il faut aussi regarder le PH, c’est-à-dire l’acidité de la carcasse et celle du jambon. Selon le PH, la quantité de lard du fait du poids du cochon, il peut être aussi déclassé.

 

Ce sont des critères que s’est donnée la profession ?

Oui, on se plie à cette sélection qui donne de la valeur à notre jambon. Mais il aurait fallu mettre aussi le cochon dans l’AOP. On a trois cahiers des charges différents sur trois produits, ce qui est très contraignant, avec le mètre, le thermomètre, le PHmètre et la contrainte des 140 kg qui n’a pas de marge, la pesée fiscale fait foi. Les contrôles sont réguliers. Tous les ans, on fait de la dégustation de produits AOP, en donnant une coppa, un lonzu, un jambon au syndicat qui note les pièces avec des éleveurs lors d’une dégustation à l’aveugle.

 

Il faut donc rester vigilants ?

C’est difficile d’être dans les critères, la salaison, le séchage, l’affinage, il faut tout suivre avec précision. Faire de la charcuterie c’est un métier, il faut donner du temps, à l’élevage comme à l’affinage, c’est un tout, avec beaucoup d’exigences et il faut beaucoup de sérieux pour éviter d’être déclassé, car c’est la réputation de notre AOP qui se joue. Il faut donc de la pédagogie pour faire comprendre ces contraintes et faire qu’elles soient respectées.

 

Que représentent la charcuterie artisanale sur l’ensemble de la production en Corse ?

Les artisans éleveurs-charcutiers représentent 5 % de la production de charcuterie en Corse, qu’ils soient ou non AOP. 95 % c’est donc de la charcuterie industrielle. Ce n’est pas un problème pour nos artisans, car les industriels assurent le volume, la charcuterie corse est très recherchée et il faut pouvoir répondre à la demande. Par contre, il faut valoriser cette charcuterie artisanale. Les gens de plus en plus viennent nous voir, et quand ils nous visitent, ils comprennent ce qui fait la différence.

 

Vous fournissez uniquement sur le marché corse ou vous êtes présents à l’export  ?

On fournit essentiellement sur le marché corse, c’est une volonté parce que la demande serait forte pour l’exportation. Ceci dit, on exporte aussi un peu jusqu’à Singapour, Hongkong et au Luxembourg. Il faut travailler à l’export pour s’offrir d’autres débouchés. Pendant la crise Covid, heureusement qu’il y avait l’export pour soutenir notre production. On répond également à la demande sur le continent de clients qui commandent depuis notre site internet.

 

Il y aurait donc largement la place en Corse ou à l’export pour faire vivre d’autres jeunes charcutiers dans les villages ?

Bien sûr mais ça prend une vie pour être un éleveur-charcutier ! Il faut le terrain, le cheptel, l’atelier, le savoir-faire. Mon père a fait cela toute sa vie, moi j’ai fait cela toute ma vie, au terme de deux générations, on arrive à peine à sortir la tête de l’eau, il faut beaucoup d’abnégation et d’envie pour y parvenir. Ce sont des métiers difficiles qu’il ne faut pas prendre à la légère. Il faut avoir le goût de l’effort. Aujourd’hui il y a peu d’envie à ces métiers-là, c’est dommage. Personnellement, j’ai quatre employés, c’est difficile de convaincre de jeunes Corses de travailler à la charcuterie.

 

Quel est le secret de fabrication de vos jambons et quelle traçabilité offrez-vous au consommateur ?

Tous les jambons sont salés sur l’étagère, on les pèse avant de les mettre au sel. On note sur une ardoise la date d’entrée et la date de sortie. Ensuite on fait le tour des ardoises tous les jours pour voir quel jambon sort du sel. Quand on sort du sel, on rince à l’eau. On les rentre à 4° dans une salle « de repos » durant trois mois au minimum, le temps que va mettre le jambon pour absorber le sel et relâcher de l’eau. Quand il aura perdu 10 ou 12 % de son poids on va remonter en température jusqu’à arriver progressivement à 16°. Il ne faut pas qu’il y est de choc thermique. Ensuite on les monte en séchoir naturel, on les laisse un petit peu et au mois de novembre on va les parer avec du saindoux, paprika et poivre. Et sur chaque jambon, on a la traçabilité, le nom de l’abattoir, le nom et le numéro de l’éleveur, le numéro de cochon, son année de naissance et sa date d’abattage, son numéro de tuerie, son poids, à la mise au sel et à la sortie de sel etc. Le secret c’est un affinage lent.

 

Vous êtes tombé dans la charcuterie tout petit ?

Je suis né dedans ! Mon père a fait ça toute sa vie, j’ai donc grandi là-dedans et j’ai toujours voulu faire ce métier. Mes parents au départ ne voulaient pas trop compte tenu de la difficulté du métier, ils sont passés par toutes les étapes, ils ont commencé avec rien mais j’avais vraiment cette volonté et j’ai bénéficié de tout leur savoir-faire. Mon père était connu dans la profession. J’ai tenu un restaurant pendant 10 ans à Cuzzà, après j’ai été chauffeur de bus à Aiacciu, et en même temps j’ai toujours fait de la charcuterie avec mes parents et j’avais toujours le projet de pouvoir faire mon atelier. J’ai donc fait un BEPA, un BTA, puis un BTS au Lycée Agricole à Sartè, durant six ans. J’ai pris la suite de l’exploitation familiale en 2014. Mais je n’aurais pas réussi si je n’y avais pas baigné tout petit. Faire de la charcuterie traditionnelle, ça ne s’improvise pas.

 

Il faut du vécu ?

Bien sûr, il y a tellement de choses à connaître ! On est sur tous les métiers agricoles. L’élevage où les situations peuvent être très différentes, il faut comprendre la psychologie du cochon. Ce sont des bêtes en liberté, il faut apprendre à maîtriser le système. Après, sur la production, il y a une recette mais aussi plein de subtilités à connaître qui font la richesse des savoir-faire. Puis il y a l’autre partie délicate, le séchoir et l’affinage. Là, il faut surveiller, observer, toucher, sentir, tout ce qui relève d’une longue expérience. On ne peut pas rentrer dans le métier en se disant, je vais me former à l’école et suivre la recette de fabrication. Il faut du temps, de la patience, y aller par étape. On apprend chaque jour. Ma satisfaction, c’est de porter un produit dès le début, de prendre un saucisson, une coppa, un lonzu, le sortir d’un cochon, le mettre au sel, comprendre le temps que ça met pour arriver à maturation. Quand vous entamez une pièce, vous revivez tout ça. Des fois j’entame un produit pour le vendre, j’ai presque envie de le garder, tellement je l’ai accompagné jusque-là ! C’est comme ça qu’on avance et qu’on arrive à faire de la qualité. Il faut toujours essayer de faire mieux, apprendre de ses erreurs aussi, chercher à progresser. C’est un métier de passion. •

 


Pour vos commandes

Dumè Cesari – Ichioccoli – 20148 Cuzzà – 06 30 47 15 54
charcuterie.cesari@gmail.com / www.charcuteriecorsedusud.fr

 


Bonne critique de Gaudry

Le célèbre critique gastronomique, François Régis Gaudry était lui aussi en promenade à Cuzzà il y a peu… Sur son compte instagram, il salue « un éleveur charcutier comme on n’en rencontre pas tous les matins sur l’île de Beauté. Ses porcs Nustrale évoluent en liberté sur 500 hectares de chênes et de châtaigners et il les “transforme” avec une précision horlogère dans son atelier ultra-moderne. Lonzu, coppa, prisuttu, vuletta, pancetta ont le sens du vrai. Assaisonnement minutieux, affinage juste, et au moment de trancher dans le vif, ces salaisons ne mentent pas : gras nacré et luisant, rouges intenses, parfums délicats, textures fondantes, rondeur beurrée, suavité umamiesque, longueur en bouche phénoménale ! Comme on dirait en Corse : Bel’opera ! Beau travail ! » Bonne critique, bien méritée ! •