C’est une révolution dans le monde agricole corse. La FNSEA Corse, à de rares exceptions près, était à la tête depuis des lustres des chambres d’agriculture nord et sud, puis de la chambre régionale unique créée lors de la mise en place de la Collectivité de Corse. Joseph « Loulou » Colombani, président sortant, en binôme avec Stéphane Paquet de Corse du Sud, conduisait à nouveau la liste regroupant FDSEA et CDJA. Il a été battu par Battì Arena, viticulteur à Patrimoniu, qui conduisait avec Paul Bianchi, éleveur bovin à Villanova en Corse du Sud, une liste regroupant Via Campagnola (représentant en Corse la Confédération paysanne), la Coordination rurale et Mossa paisana.
Dans le collège des chefs d’exploitation, qui élit la majorité des sièges au sein de l’instance représentative du monde agricole insulaire, la liste Arena/Bianchi a recueilli 52,5 % des suffrages, pour une participation au scrutin qui a été de près de 90 %.
Les votes ont été exprimés par internet et par correspondance, et cette participation élevée montre que la profession agricole a connu un débat intense lors de cette campagne.
Durant ces débats, les deux listes ont choisi d’éviter les invectives, et, autre surprise de ce scrutin, le résultat, bien que serré, a été aussitôt validé par la liste arrivée seconde, dont la tête de liste a immédiatement déclaré accepter sa défaite et « ne pas s’inscrire dans une opposition au vainqueur ».
Pour Battì Arena, un mandat plein de promesses est désormais devant lui. Sa victoire est en fait celle d’un changement de génération dans un mouvement agricole corse qui connaît des évolutions encourageantes malgré le constat de productions encore très insuffisantes dans certaines filières. D’ailleurs, défiant les préjugés, les installations de jeunes agriculteurs en Corse a connu des chiffres supérieurs à la moyenne nationale ces dernières années en nouveaux exploitants comme en reprises d’exploitations familiales.
Certains secteurs comme la viticulture et l’agrumiculture, notamment les clémentines, avec des succès commerciaux répétés d’année en année, ont montré à cet égard un dynamisme économique remarquable, renouvelant les pratiques et conquérant d’importants marchés en Corse et hors de Corse. Battì Arena, lui-même viticulteur, a été un acteur particulièrement actif de cette filière, sur le terroir viticole de Patrimoniu qui est le seul grand cru d’Europe à avoir fait basculer tous ses producteurs dans la production bio.
L’autre grand secteur traditionnel, l’élevage ovin-caprin, reste une production forte, appuyée sur des savoir-faire et des produits emblématiques. Mais plus que d’autres, elle souffre de carences structurelles, pour l’abattage des agneaux et cabris et leur commercialisation, pour l’accès au foncier et pour la modernisation des exploitations, sans compter les effets de maladies épidémiques comme la fièvre catarrhale. Mais dans ce secteur aussi, une dynamique de rajeunissement existe, en bonne partie féminisée, appuyée sur les formations des deux lycées agricoles de Borgu et Sartè.
L’élevage bovin occupe désormais une place forte dans le monde agricole insulaire, avec là encore une dynamique nouvelle de valorisation du produit en s’appuyant sur la race corse et en développant des circuits directs tels que les veaux à la broche.
Dans les autres secteurs agricoles de niche, élevages fermiers de volaille, exploitation de plantes aromatiques, castanéiculture, apiculture, oléiculture, etc., des jeunes professionnels sérieux et impliqués ont pris en main leur profession, activant des réseaux de vente directe et s’évertuant à rentabiliser leurs exploitations avec abnégation.
C’est en grande partie ce changement de génération qui a probablement conduit au changement de la représentation professionnelle à la tête de la chambre d’agriculture de la Corse. Enfermé dans le choix fait il y a vingt-cinq ans de rejoindre le conformisme d’une FDSEA/CDJA Corse affiliée à un syndicalisme très conservateur, en France et en Europe, les élus sortants ont perdu le contact avec cette génération agricole nouvelle qui a fait le pari du bio, des appellations d’origine et des circuits de proximité pour l’avenir de l’agriculture corse.
En tous les cas, ces élections ont montré que le monde agricole corse est un monde vivant, et que la mutation amorcée à Aleria, il y a un demi-siècle, dans la viticulture, continue à faire son chemin et irrigue désormais l’ensemble des filières. •