L’édition 2025 du salon de l’Agriculture ouvre ses portes, vitrine éclatante du savoir-faire agricole et des terroirs. Mais derrière les sourires et la mise en scène d’une ruralité fière et résiliente, les inquiétudes s’amoncellent. En Corse, plus qu’ailleurs, elles prennent une tournure alarmante. Quelques jours après la victoire de Batti Arena à la présidence de la chambre d’Agriculture, la réalité du terrain s’impose avec force : notre modèle agricole est en crise profonde, et les défis qui l’attendent semblent insurmontables.
Les chiffres sont implacables. Le taux d’autonomie alimentaire stagne à des niveaux dramatiquement bas. La production locale s’effondre, tandis que le niveau de vie des agriculteurs ne cesse de chuter, laminé par des conditions économiques et administratives toujours plus éprouvantes. Le constat est connu, répété année après année, sans que de véritables solutions n’émergent. Pendant ce temps, l’Europe poursuit une politique qui semble davantage freiner la production locale que la soutenir. La Corse avec son insularité, subit de plein fouet cette orientation, incapable d’assurer sa propre subsistance.
Un modèle agricole à la dérive
La Politique agricole commune (PAC), censée garantir un équilibre entre les territoires et soutenir les filières, s’avère inadaptée aux spécificités corses. Plutôt que de stimuler la production locale, elle perpétue un système de dépendance où l’importation reste plus avantageuse que l’autosuffisance. Les contraintes administratives, les normes toujours plus complexes, la rigidité des aides et l’instabilité des revenus agricoles découragent les vocations et étranglent les exploitations existantes. L’élevage, autrefois pilier de notre identité rurale, connaît des heures sombres. Coût des intrants, pression foncière, difficultés à structurer des filières viables : chaque secteur fait face à des blocages systémiques qui rendent l’avenir plus incertain encore.
Dans ce paysage morose, la colère gronde, alimentée par un sentiment d’abandon et d’incompréhension. Produire ne sert plus à rien, entend-on de plus en plus. Une phrase terrible, qui dit tout du désarroi des agriculteurs. Car que vaut le travail de la terre, de l’élevage, si les débouchés sont inexistants, si les prix ne couvrent même plus les coûts de production, si les aides deviennent une forme de perfusion qui empêche toute dynamique de renouveau ?
Entre mobilisation et espoir
Face à cette impasse, faut-il baisser les bras ? Certainement pas. Ce salon de l’Agriculture doit aussi être un moment de mobilisation, un espace où la voix des agriculteurs corses doit résonner avec force. Plus qu’une simple représentation, notre présence à Paris doit être un acte politique, une affirmation de ce que nous sommes et de ce que nous voulons devenir.
La Corse porte en elle un potentiel agricole considérable, encore faut-il lui donner les moyens de l’exploiter. Des solutions existent : relocalisation des filières avec la création de circuits courts, adaptation des aides aux spécificités insulaires, protection renforcée des terres agricoles, formation et accompagnement des jeunes agriculteurs, simplification des normes… Mais cela suppose un véritable sursaut, une volonté politique forte, un changement de cap radical.
Les années passent et le constat reste le même. Mais tant qu’il y aura des femmes et des hommes pour cultiver la terre, élever nos animaux et croire en un avenir agricole pour la Corse, l’espoir demeure. Alors oui, portons fièrement nos couleurs à Paris. Non pas pour entretenir l’illusion d’une ruralité de carte postale, mais pour rappeler, haut et fort, que l’agriculture Corse ne doit pas être un vestige du passé, mais une voie d’avenir. •