Minority Safepack enterré par la Commission

Un très mauvais message pour la Conférence sur l’Avenir de l’Europe

Le long et difficile cheminement procédural de l’Initiative Citoyenne Européenne Minority Safepack est arrivé à son terme par une fin de non-recevoir brutale et très décevante de la part de la Commission Européenne. Mais l’énergie de ses initiateurs et des 1,1 millions de citoyens qui en ont été les signataires a démontré que, malgré le tir de barrage déployé par plusieurs Etats-membres, la question des minorités est toujours présente dans l’actualité politique européenne. Et qu’il faudra en tenir compte au moment de réfléchir sur l’avenir de l’Europe.

 

L’ICE «Minority Safepack» était la sixième des ICE depuis 2011 (à peine une tous les deux ans) à avoir franchi tous les obstacles procéduraux pour arriver à son but final: forcer l’ordre du jour du Parlement Européen, par une audition solennelle suivi par un débat en séance plénière, qui a été conclu par un vote largement favorable, puis celui de la Commission mise dans l’obligation d’apporter une réponse officielle à l’ICE par une délibération de l’Assemblée des 27 Commissaires, chaque commissaire étant désigné par un État-membre.

Cette réponse tombée le 15 janvier dernier est ultra-décevante et a fait l’objet d’un communiqué de condamnation très ferme par l’Intergroupe des Minorités Traditionnelles, Communautés Nationales et Langues (voir ci-contre).

Sur chacun des neuf points soulevés par l’ICE, tels que l’élaboration d’une recommandation aux États-membres; ou la fin du géoblocage des ondes qui permet par exemple aux autorités roumaines d’empêcher l’accès aux télés de Hongrie pour sa minorité hongroise; ou l’adaptation des programmes européens aux minorités comme cela a pu être fait pour la minorité Rom; ou la création d’un observatoire des cultures et langues minoritaires en Europe, etc., la réponse est identique: les droits des minorités sont dans les textes fondateurs de l’UE, donc pas besoin de créer au niveau de la Commission de nouveaux actes législatifs à leur sujet, contrairement à ce que le Parlement Européen avait demandé par 524 voix sur 694 suffrages exprimés.

Peu importe donc pour la Commission que plus d’un million de citoyens européens l’ait saisie en affirmant le contraire, preuves à l’appui, et qu’une large majorité du Parlement Européen les ait soutenus. Délibérément le collège des commissaires a choisi la politique de l’autruche pour ne pas déplaire à plusieurs États-membres qui depuis l’origine bataillent contre cette Initiative Citoyenne lancée en 2013.

Au premier rang d’entre eux les pays baltes qui comptent sur leur sol des centaines de milliers de citoyens russophones laissés apatrides et sans droits, et la Roumanie qui, avec la Slovaquie, a récupéré de nombreux territoires historiquement peuplés par des citoyens de nationalité hongroise suite aux traités de paix après la seconde guerre mondiale. Il a fallu faire face à leurs tirs de barrage qui ont voulu dénier toute existence légale à l’ICE Minority Safepack, jusqu’à aller devant la Cour de Justice de l’Union Européenne pour obliger la Commission à ouvrir en 2017 la procédure des signatures qui a été ensuite suivie par plus d’1,1 million de citoyens de tous les pays d’Europe, enclenchant la procédure prévue par le Traité de Lisbonne.

Dans la phase finale de la procédure, au sein du Parlement Européen, la plupart des députés de ces États-membres ont continué de ferrailler contre le Minority Safepack et ils ont été rejoint par la grande majorité des députés espagnols totalement obnubilés par la question catalane, pour qui la démarche du Minority Safepack avait pour conséquence de renforcer l’autorité de la Commission et de l’Europe sur ces questions, par-delà la «souveraineté» d’un État-membre comme l’Espagne. La bataille menée au Parlement Européen s’est passée en coulisses, les délégations espagnoles au sein de chaque groupe militant activement pour que le Parlement ne prenne aucune position de soutien, en refusant le vote même d’une motion à l’issue du débat prévu par la procédure dans le Traité. La manœuvre a été mise en échec grâce au groupe Verts-ALE, et le vote a été obtenu avec une majorité éclatante.

Mais la Commission a quand même été bâillonnée et n’introduira donc aucun acte législatif qui aurait permis de renforcer les droits des minorités et de continuer à en débattre au Parlement et au Conseil.

Ce faisant, elle s’est affranchie d’un bras de fer avec plusieurs États-membres, dont la France, l’Espagne, la Roumanie, l’Estonie, la Lettonie, etc., mais elle a aussi délibérément et gravement dévalorisé la seule procédure qui associe les citoyens européens aux décisions de l’UE, alors même qu’elle lance une «Conférence sur l’Avenir de l’Europe» dont l’objectif affiché par la Présidente Von der Leyen* est justement de renforcer cette place des citoyens dans la marche de l’Europe. •

François Alfonsi.

* À noter que l’Allemagne est un des seuls États à s’être engagé en faveur de l’ICE Minority Safepack à travers un vote du Bundestag.

 

Lettre ouverte à Mme Vera Jourová et Mme Ursula Von der Leyen (extraits)

Objet : Refus de la Commission européenne de produire de nouveaux actes juridiques en réponse aux demandes de l’Initiative Citoyenne Européenne pour le Minority SafePack, soutenue par une très large majorité du Parlement européen.

Madame la Présidente de la Commission, Madame la Vice-présidente de la Commission en charge des valeurs et de la transparence,
Avec les 1,1 million de citoyens européens qui ont fait confiance à la procédure très exigeante de l’initiative citoyenne européenne, nous exprimons notre profonde déception face à la décision du collège des commissaires sur l’ICE pour le Minority SafePack.
La décision dédaigneuse de la Commission démontre un manque d’intérêt pour la voix des citoyens politiquement préjudiciable et un manque d’empathie envers les communautés nationales et linguistiques autochtones de l’UE.  (…) L’absence de proposition d’action concrète dans les 9 domaines de l’initiative est très décevante (…). Cette décision envoie un mauvais message aux attentes exprimées par des millions de citoyens, alors que le Parlement Européen a apporté à une très large majorité son soutien à l’initiative, demandant à la Commission de proposer des actes juridiques à ce sujet (…) la Commission a également ignoré les appels répétés du Parlement européen pour que l’UE soutienne ses minorités traditionnelles, leurs langues et leurs cultures.
La position ferme de la Cour de justice de l’Union européenne sur la question du Minority SafePack a pourtant clairement confirmé que rien n’empêchait la Commission européenne de soumettre des propositions, (…). (Elle) a, par sa décision, clairement montré son manque de volonté de le faire.
La communication de la Commission est donc préjudiciable à la vie démocratique de notre Union, à la confiance des communautés nationales et linguistiques minoritaires dans nos institutions et, surtout, à la crédibilité interne et internationale de l’UE lorsqu’elle défend nos valeurs. Nous ne pouvons qu’espérer que la Commission corrigera cette erreur et qu’elle accordera à l’avenir aux minorités nationales et linguistiques de l’Union l’attention qu’elles méritent. •

Communiqué des coprésidents de l’intergroupe «Minorités traditionnelles, communautés nationales et langues» François Alfonsi et Kinga Gál Loránt Vincze, appuyés par 65 députés européens.