Depuis trente ans, le Droit International est bafoué au Sahara Occidental, ex-colonie espagnole, toujours en attente d’un referendum d’autodétermination.
En Novembre 1975, les accords de Madrid entérinent le désengagement espagnol du Sahara occidental. Alors que celui-ci est inscrit sur la liste des territoires non-autonomes établie par les Nations unies depuis 1966, et que son peuple bénéficie donc du droit à l’autodétermination, comme l’ont reconnu de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies ainsi que la Cour internationale de justice en 1975, le Maroc va ignorer ces décisions. Quelques jours auparavant, Hassan II venait d’organiser la « marche verte » où plus de 300.000 marocains civils et militaires pénétraient dans la région afin de pousser l’Espagne au désengagement.
Dès lors, le Front Polisario, organisation indépendantiste sahraouie passe de la lutte contre l’occupant espagnol à la lutte contre l’occupant marocain et mauritanien. L’aide de l’Algérie qui voit dans le Sahara occidental un moyen de gagner un accès à l’océan Atlantique ne sera pas suffisante, et le Maroc arrive à s’accaparer 80% du Sahara occidental. La Mauritanie ne pouvant pas réaliser ses ambitions se retire. La guérilla continue jusqu’en 1991, moment où est signé un cessez-le-feu sous l’égide de l’ONU. L’accord garanti un referendum d’autodétermination qui doit être organisé par l’ONU en accord avec les parties marocaines et sahraouies. 30 ans plus tard, les négociations sur ce referendum sont au point mort, le Maroc a érigé un mur de sable le long de la ligne de contact avec le Front Polisario. La mémoire de la dernière colonie d’Afrique s’évanouit dans la conscience politique européenne.
Ce conflit oublié, c’est Trump qui va le raviver. En troquant en décembre 2020 la normalisation des relations entre le Maroc et Israël contre la reconnaissance par les États-Unis des revendications territoriales marocaines, les espoirs d’autodétermination du peuple sahraoui s’évanouissent un peu plus. On renforce la frustration de la jeunesse, qui n’entrevoit désormais que dans la lutte armée le salut de son peuple.
La complicité de l’Union européenne dans le processus de colonisation
En 2016, l’UE signe un accord commercial préférentiel avec le Maroc incluant le Sahara occidental implicitement. Le 21 décembre 2016, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a statué en appel que le Sahara occidental ne pouvait pas être inclus dans un accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Maroc. Sauf « consentement » explicite de la population du territoire, cela reviendrait à violer le principe d’autodétermination des peuples. Pourtant, l’inclusion explicite du Sahara Occidental après la révision de l’accord commercial en avril 2019 n’a suscité que peu d’indignation.
Au lieu d’appliquer la notion de « consentement », comme l’avait demandé la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), la Commission a entrepris une « consultation » des acteurs socio-économiques sahraouis. Alors que le consentement requiert une approbation explicite, une consultation n’en requiert pas1. De même, la Commission a remplacé dans les négociations la notion de « population sahraouie » par « la population concernée ». En somme, cela revient à ne pas prendre en compte la voix de ceux qui se sont retrouvés expulsés des territoires sahraouis (qui eux sont contre cet accord préférentiel).
Cette vision est en contradiction avec la décision de la CJUE, et en violation du droit à l’autodétermination tel que défini par l’ONU. Si l’Union européenne reste volontairement silencieuse sur le sujet du Sahara occidental, c’est parce qu’elle voit dans le Maroc un partenaire dans sa lutte contre l’immigration illégale et le terrorisme. Comprenez, il faut ménager le Maroc ; exit donc le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Un accord commercial légitimant la politique de colonisation marocaine
Dans ses rapports, la Commission européenne se félicite de son « approche pragmatique » qui aurait créé des emplois, accru les exportations vers l’UE et augmenté le bien-être « des populations concernées » dans les territoires occupés.
Ce ne sont pas les « vrais » sahraouis, c’est-à-dire ceux qui ont été poussés à l’exil du fait de la guerre, qui sont les bénéficiaires de cet accord commercial mais bien les colons marocains qui s’installent au Sahara Occidental pour en exploiter ses ressources halieutiques et agricoles, encouragés par les avantages fiscaux.
La Commission européenne reconnait que ce sont bien des individus venus des régions du Maroc qui travaillent principalement dans le secteur de la pêche. Les régions du Sahara occidental occupé sont celles qui reçoivent le plus d’investissements de la part de l’administration marocaine. Ces investissements, présentés par la Commission comme permettant de développer le Sahara occidental et qui bénéficieraient aux « populations concernées » servent en réalité à ancrer la politique de colonisation du Sahara occidental sans que les richesses produites dans ces régions ne bénéficient aux sahraouis présents dans le Sahara Occidental avant l’invasion de 1975.
La Commission va même plus loin en affirmant que les populations vivantes actuellement dans les territoires occupés (en majorité des colons) ont eux aussi « le droit à bénéficier de la croissance économique ». On s’éloigne ainsi de toute résolution pacifique du conflit.
C’est bien le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qu’on sacrifie sur l’autel du commerce. Mettre un terme à l’accord préférentiel est le seul moyen pour casser cette politique colonisatrice. Si l’accord est suspendu, cela aura de fortes répercussions sur les industries agricoles et de pêche, car le retour aux droits de douane pour les productions venant du Sahara Occidental rendra plusieurs entreprises favorisant la colonisation non-rentables, ce qui ralentira le processus de colonisation. Si la région occupée du Sahara occidental perd sa rentabilité pour l’occupant, alors le Maroc pourrait retourner à la table des négociations. Dans le cas contraire, la frustration d’une génération de sahraouis qui a grandi dans les camps de réfugiés dans le désert algérien pourrait se traduire par une reprise à haute intensité des combats dans la région, au malheur de tous.
Cela est déjà le cas : des combats à faibles intensités entre les forces indépendantistes sahraouies du Front Polisario et les troupes marocaines ont repris depuis la rupture du cessez-le-feu le 13 novembre 2020. Pendant ce temps, l’UE continue d’importer depuis les territoires occupés des produits de la pêche et de l’agriculture (en particulier tomates et melons), dans l’indifférence la plus totale. •
Jean-Toussaint Battestini.
1. Voir le rapport « Above the Law » de l’ONG Western Sahara Resource Watch (en anglais).
Références
– 2018 Report on benefits for the people of Western Sahara and public consultation on extending tariff preferences to products from Western Sahara – European Commission
– Above the Law, NGO Western Sahara Resource Watch, Décembre 2020
2020 Report on the benefits for the people of Western Sahara on extending tariff preferences to products from Western Sahara – European Commission