En Birmanie, déjà près de 600 manifestants sont morts sous les balles tirées par l’armée, alors qu’ils protestent contre le coup d’État par lequel l’armée birmane a repris le pouvoir. Depuis 10 ans, la force du mouvement démocratique avait permis l’accession aux plus hautes responsabilités de la Prix Nobel de la Paix, Aun Sung Suu Kyi. Mais la transition démocratique tant espérée a été balayée par le quarteron des généraux.
La Birmanie est un grand pays de 55 millions d’habitants, entre Inde et Chine au Nord, et Thaïlande au sud. Un pays complexe dont l’Histoire récente a été marquée par la personnalité du général Aun Sung, héros de l’indépendance de 1946, et père-fondateur de l’armée birmane. Aun Sung est mort assassiné en 1947 en laissant un pays orphelin, et une fille, née en 1945, Aun Sung Suu Kyi.
Malgré la mort de son leader historique, les auteurs de l’attentat arrêtés et condamnés, la Birmanie est devenue en janvier 1948 une démocratie parlementaire qui dura 14 années, jusqu’à la prise du pouvoir par l’armée et l’instauration d’une longue dictature militaire, de 1962 à 1988, le chef de l’État étant le général en chef de l’armée.
En 1988, à la faveur d’une vaste mobilisation pour instaurer la démocratie, une junte militaire a renversé le pouvoir en place. Aun Sung Suu Kyi, qui avait vécu jusque-là à l’étranger, s’installe dans la capitale et fonde un nouveau parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie. Des élections sont organisées par la junte en 1990, qu’elle remporte sans discussion avec 80 % des voix. La junte annule les élections, reprend le pouvoir et décide l’assignation à résidence de l’opposante birmane qui obtient alors un immense soutien international. En 1991, elle reçoit le prix Nobel de la Paix, mais elle ne peut se rendre à Stockholm pour le recevoir, de peur d’être interdite de revenir dans son pays. Cependant, le soutien international est immense, et elle finit par être libérée en 2010, après vingt années passées en prison ou en résidence surveillée. Élue députée en 2012 lors d’une élection partielle, son parti gagne les élections générales en 2015, la portant au pouvoir.
Mais son pouvoir reste sous étroit contrôle de l’armée à qui la constitution birmane donne des prérogatives énormes : 25 % des députés sont désignés par l’armée, ainsi que plusieurs ministères clefs dont ceux de la Défense et de l’Intérieur. Aun Sung Suu Kyi est officiellement ministre des Affaires Étrangères, mais elle est de facto la chef du gouvernement birman.
Rapidement, elle négocie des accords de paix avec les minorités ethniques, notamment le Karens et les Swans qui s’appuient sur des groupes armés puissants. Mais la mosaïque birmane est bouddhiste à 90 %, et la minorité musulmane des Rohingyas, au nord du Pays, subit une discrimination et un rejet général. Quand elle se révolte, l’armée enclenche une répression féroce qui provoque l’exil de presque la moitié d’entre eux vers le Bengladesh voisin. L’indignation internationale face aux massacres de l’armée ternit l’image internationale de la dirigeante birmane dont l’attitude est complaisante pour les militaires.
Mais si l’engouement international pour Aun Sung Suu Kyi a disparu désormais, elle reste l’icône du peuple birman qui continue à lui accorder sa confiance. Lors des élections de 2020, son parti recueille 82 % des sièges, marginalisant le parti officiel soutenu par les militaires, et disposant de suffisamment de députés pour modifier la constitution, menaçant ainsi les pouvoirs de l’armée. Les militaires dénoncent une prétendue fraude électorale pour justifier un nouveau coup d’État qui a eu lieu le 1er février dernier.
Aun Sung Suu Kyi a été à nouveau mise en résidence surveillée. Les manifestations sont quotidiennes dans toutes les villes birmanes, auxquelles l’armée répond en ouvrant le feu sur les manifestants désarmés. La Birmanie est en passe de verser dans la guerre civile, notamment avec les groupes armés des minorités ethniques.
La communauté internationale se mobilise à nouveau et se résout à soutenir Aun Sung Suu Kyi malgré le passif de l’affaire des Rohingyas. La Birmanie est écartelée entre la dictature militaire et la volonté de son peuple d’établir une démocratie durable. Malheureusement le bain de sang ne fait que commencer. •