I messaghji d'Edmond Simeoni

Agricultura

S’il est un secteur qui influe en plusieurs points cruciaux de notre développement, c’est bien l’agriculture. Secteur essentiel à notre identité profonde, indispensable à la construction d’une autonomie alimentaire et donc de l’avenir du peuple corse dans un monde où cette autonomie est une question de survie, mais aussi secteur essentiel à l’autre moteur qu’est le tourisme, pour que celui-ci ne soit pas subi, de masse, mais bien facteur d’épanouissement, notamment dans l’intérieur. Edmond Simeoni le savait bien. En 1995 dans son livre « Corse, la volonté d’être », il dressait un état des lieux lucide et qui reste d’actualité.

 

« Exceptées quelques réussites individuelles dans de rares secteurs (maraîchage, agro-alimentaire…), le progrès certain mais fragile de la viticulture de qualité, les résultats de la restructuration du vignoble ordinaire, l’agriculture est littéralement sinistrée ; la politique de mise en valeur initiée en 1960 a échoué, avec l’effondrement de la viticulture littorale de masse ; les spéculations modernes (kiwis, agrumes…) sont très menacées depuis peu, par la concurrence ; l’agriculture de montagne, couplée avec la désertification a poursuivi sa chute inexorable ; l’élevage est mal loti en dépit de palliatifs comme la « prime à la vache » qui a une signification économique pour un nombre restreint d’agriculteurs mais s’apparente davantage dans sa globalité à un processus d’aide sociale, à une contribution de survie pour l’intérieur de l’île ; les actifs diminuent ; notre balance agro-alimentaire est catastrophique et ce déficit est aggravé par la « continuité territoriale » qui fonctionne comme une aide majeure aux importations, condamnant ipso facto nombre de productions locales à disparaître, faute de compétitivité.

Or, nous avons un besoin vital d’un intérieur vivant, d’un secteur agricole performant, mais les difficultés sont immenses ; en effet, dans un monde développé, l’agriculture est presque systématiquement subventionnée pour cause de non-rentabilité et ce n’est pas une spécificité corse ; de plus ici, l’endettement est prohibitif, le problème foncier incorrectement traité, les carences structurelles sont criantes (absence d’abattoirs légaux par exemple), la commercialisation est artisanale, la formation professionnelle émiettée et inadaptée.

Chacun mesure sans peine la volonté considérable d’unité et de solidarité insulaires, de rationalisation dont il faudrait témoigner pour amorcer un timide progrès avant de créer une agriculture normale ; en effet, nul ne peut s’y tromper : les moratoires, les effacements de dettes, les sollicitations répétitives de « la solidarité nationale », les demandes de dérogation pérennes dans un monde où le marché dicte sa loi, traduisent la détresse des agriculteurs qui parfois ne peuvent même pas payer l’eau d’irrigation ; ces mesures induisent l’assistance plus que la révolte ; elles ne peuvent en aucun cas constituer le socle d’un secteur modernisé qui doit certes produire mais aussi et obligatoirement vendre ; cette évidence doit entrer en ligne de compte pour l’installation de jeunes agriculteurs.

Le problème posé est simple et parfaitement connu dans toutes ses dimensions ; pourquoi la situation continue-t-elle à se dégrader ? Parce que le clanisme, les intérêts particuliers, les vues corporatistes sont trop largement présents dans les instances locales de décision ; ils s’imposent à ceux qui travaillent réellement ; découragés, désunis et souvent même antagonistes, ces derniers, faute d’alternative sérieuse, soit se désintéressent de ces instances essentielles, soit les soutiennent sans illusions.

Pourtant les atouts ne manquent pas si on considère la volonté et le savoir-faire de nombre de nos agriculteurs et les créneaux qui existent dans l’agro-alimentaire ; de plus, la France, l’Europe réfléchissent, à un statut de la ruralité, pour enrayer la désertification, et cette orientation si elle se concrétise, nous sera utile. Un statut fiscal amélioré, demain un Poseicor adapté qui garantirait l’écoulement de certaines productions, une politique des transports totalement repensée, le problème de l’indivision progressivement résorbé, contribueront davantage à la survie et au développement de l’agriculture que tous les palliatifs mortels, arrachés à l’heure de l’agonie. » •