par Max Simeoni
Ce texte a été publié pour la première fois en 2016, pour le compte d’I Chjassi di u cumunu. Je le reprends intégralement aujourd’hui pour expliquer – encore une fois ! – les conditions de création du Cedic en 1964, Comité d’études et de défense des intérêts de la Corse, fondement du nationalisme moderne.
Le Comité d’études et de défense des intérêts de la Corse (Cedic) a été créé en avril 1964 par une poignée de trentenaires. En juillet, il publia un manifeste en vue de la défense de l’Ethnie corse et le distribua à l’occasion du rassemblement estival des associations des Corses de l’extérieur.
Le vocable Ethnie, utilisé par des universitaires et des essayistes divers, s’est vu par la suite diabolisé par des politiques le rendant responsable de communautarismes rétrogrades. La lecture du manifeste du Cedic ne laisse aucun doute, il est bien employé comme synonyme de Peuple Corse.
Il m’a paru intéressant, 50 ans après, de le faire connaître. Il démontre que l’analyse des données était déjà établie et que les difficultés rencontrées par la suite par le mouvement « national » résultaient surtout du choix des moyens pour mener la lutte d’émancipation du peuple corse. Il s’agit donc pour l’essentiel d’un problème de choix tactiques. Ainsi l’option LLN avec un FLNC chef d’orchestre s’opposa à celle autonomiste privilégiant l’action de terrain à visage découvert avec de possibles « violences » pour ne pas reculer face à la répression étatique et à ses provocations.
Le contexte des années 60 explique l’émergence du Cedic pour un « statut spécial » nécessaire à la défense de l’Ethnie (Peuple Corse). Le livre Autonomia en 1974, 10 ans après, précisera trois domaines de compétence, celui du pouvoir local, celui du pouvoir central et un domaine mixte où le dialogue s’impose. Une édition, mise à jour en 1991, d’Autonomia propose une autonomie complète : en dehors de la monnaie, des Affaires Étrangères, de l’Armée, tout est du ressort de la collectivité insulaire.
Le Cedic a tiré la leçon des échecs des mouvements revendicatifs antérieurs qui avaient fait une fausse analyse, la Dieco du pharmacien Martini, RPR, qui pensait que les clans étaient incapables d’établir un dossier économique pour informer le gouvernement des besoins de l’Île et le mouvement du 29 novembre qu’il suffisait de mettre beaucoup de monde dans la rue pour faire entendre le cri des enfants abandonnés du foyer français.
Avant mai 68, en 1964, sous de Gaulle, on en était aux balbutiements de la construction européenne avec des frontières, des visas… la libre circulation (personnes, capitaux, services…) ne viendra qu’avec l’Acte Unique de 1986. La monnaie unique, l’Euro en 2002.
Le problème corse baignait donc dans la décolonisation. Le Plan d’action régionale de Guy Mollet en 1958 entrait en phase de réalisation et, pour la Corse, les deux sociétés d’économie mixte, Somivac (agriculture) et Setco (tourisme), furent détournées pour caser les pieds noirs en exode massif en 1962 après les accords d’Evian, au détriment de l’agriculture des insulaires.
Le vocable de Peuple Corse avait été avancé de-ci, de-là mais c’était surtout la revendication d’autonomie puis d’indépendance qui alimentait les débats et les polémiques.
Paul Marc Seta et Yves Le Bomin avaient publié un opuscule très clair sur l’autonomie.
FRC, PCP, Terra Corsa reprenaient le thème en 1973 par la « Chjama di U Castellare ».
Tous les ingrédients du nationalisme figurent dans le manifeste du Cedic de 1964, mais avec le souci essentiellement de poser, après les échecs revendicatifs antérieurs, les bases d’une organisation efficace sur le terrain que l’ARC, dissoute après Aléria en 1975, l’APC et l’UPC ont poursuivi tant bien que mal.
La suite est connue, celle de l’évolution des organisations nationalistes, des différents statuts (Defferre, Joxe, Jospin) et la nouveauté récente d’une majorité relative de peu, des organisations nationalistes. Mouvements de terrain et/ou jeu institutionnel, la palette s’enrichit et se complique… •
Extrait du Manifeste du Cedic, 1964
La colonisation en marche«Et quand on pense que, dans quelques années, l’ouverture des frontières, grâce au Marché Commun, permettra l’entrée sans contrôle de groupes d’immigrants, autorisera la circulation des capitaux et donc facilitera les investissements des groupes financiers, on peut se demander comment les Corse résisteront à l’afflux des hommes et des capitaux, si l’ethnie corse maintiendra sa place et jouera un rôle quelconque dans cette grande aventure qui se prépare et qui d’ailleurs, s’est amorcée, particulièrement dans le domaine hôtelier. Il se pourrait donc, que dans les secteurs essentiels, celui du Tourisme et de l’Agriculture, les Corses se trouvassent exclus systématiquement, par la force des choses et surtout de la Finance.
Peu à peu, la spoliation acquiert sa vitesse de croisière, bien qu’elle soit encore discrète, et qu’elle se dissimule sous les promesses d’une prospérité future, et les appâts d’un argent facile.
Or l’opinion désormais alertée, pressent la véritable nature du problème corse, et ce qu’il risque d’advenir d’une Corse livrée aux puissances financières. Elle attend, donc, encore de ses Mouvements comme de leurs chefs, non pas seulement des condamnations platoniques et académiques, mais surtout des prises de position catégoriques, suivies d’effet.
La crainte de la colonisation par des éléments étrangers à l’île devient l’une des pierres angulaires du problème corse. Finasser trop souvent et trop longtemps avec certaines des tournures inquiétantes du problème corse conduit évidemment l’opinion à se réfugier dans une attitude méfiante et dans l’abstention.
Tout Mouvement nouveau devra parler un langage clair et s’y tenir, en faisant en sorte que certains de ses membres ne puissent apparaître à la fois comme juges et parties. » •