L’après 27 juin 2021

Le grand remaniement

Les dix membres du Conseil Exécutif.
L’Exécutif élu par la nouvelle Assemblée de Corse est l’expression de la victoire éclatante remportée par Gilles Simeoni. Avec sa majorité absolue de 32 élus sur 63, il a les mains libres pour mener la Corse, sur une mandature qui durera sept années, jusqu’à l’autonomie interne.

 

Pour Gilles Simeoni, cette durée longue pour son action est un fait nouveau, car il a été jusque-là enfermé dans des mandats courts. Le score obtenu dimanche 27 lui permet d’engager cette période décisive à partir d’un presque total renouvellement des hommes et des femmes au sein du Conseil Exécutif, et aussi parmi les multiples organismes qui servent de relais à l’action publique : services de lutte contre les incendies, syndicats d’électrification, et un grand nombre d’organismes.  Lancé par la nomination du nouveau Conseil Exécutif, le « grand remaniement » est en cours.

L’ancienne gouvernance était caractérisée par des équilibres entre forces politiques nationalistes, dont la moins structurée à l’origine était Femu a Corsica, celle du Président du Conseil Exécutif. Sa structuration avait en effet été ralentie par les tergiversations du PNC, quand Jean Christophe Angelini  a décidé de quitter la démarche de création du nouveau parti autonomiste par fusion du PNC avec Inseme pè a Corsica, pourtant annoncée sous chapiteau, juste avant que ne commence la campagne de 2017, puis devant R&PS lors de son Congrès de 2018 à Bayonne.

Cette volte-face a créé les premières fissures. Elles se sont aggravées lors des élections européennes de 2019 par les appels à l’abstention du PNC et de Corsica Lìbera. Ils sont restés sans grand effet électoral, mais ils ont été ressentis comme des défections politiques majeures.

Lors des municipales qui ont suivi en 2020, les listes des trois composantes de l’Exécutif se sont alors opposées. Cet éclatement n’a pas empêché que se vérifie la solidité de l’ancrage électoral des nationalistes qui ont fait basculer plusieurs bastions anciens du clan, notamment Biguglia et Portivechju, tout en gardant acquise la ville de Bastia. Cette élection intermédiaire a accru les divergences, et a conduit à la constitution de trois listes distinctes au premier tour du 20 juin dernier. Puis les urnes ont parlé, et leur verdict a donné une large victoire à Gilles Simeoni et ses co-listiers.

La situation de « parti au pouvoir » que connait Femu a Corsica désormais entraîne mécaniquement le développement d’une force contestataire structurée autour du principe du « pas assez » : pas assez vite, pas assez loin, pas assez fort, pas assez nationaliste, etc. L’exercice du pouvoir génère par lui-même ce contre-pouvoir aujourd’hui incarné par Core in Fronte, autre bénéficiaire du scrutin des 20 et 27 juin dernier. Face à l’État, majorité et opposition nationalistes devront cependant mettre des limites à la manifestation de leurs divergences. Comme elles sont essentiellement de nature politique, et donc a priori « raisonnables », cela devrait être gérable.

L’autre opposition naturelle qu’il faudra affronter durant la mandature est celle de Laurent Marcangeli, à la tête désormais de la seule force non nationaliste représentée à l’Assemblée de Corse. Point d’appui pour l’État qui n’a pas renoncé à combattre la démarche autonomiste bien qu’elle ait été validée par près de deux électeurs insulaires sur trois, il est contraint d’intégrer sa faiblesse électorale qui l’éloigne durablement de l’espoir d’une victoire tel qu’il l’a proclamé durant toute sa campagne. En fait, cela dépendra beaucoup de Paris. Si un dialogue s’ouvre, avec l’autonomie comme perspective, il pourrait l’accompagner. Si Paris continue à refuser le dialogue, il ne devrait cependant pas en rajouter dans l’opposition pour ne pas s’aliéner ses propres électeurs qui sont loin d’être tous des opposants acharnés à Gilles Simeoni dont beaucoup apprécient la capacité d’ouverture.

Le quatrième groupe, issu de l’alliance entre PNC et Corsica Lìbera entre les deux tours, doit d’abord gérer sa contre-performance électorale. L’élue Corsica Lìbera a affirmé d’emblée son autonomie, et son attachement à son parti indépendantiste historique. Les élus PNC devront trouver leur place dans ce nouvel hémicycle sans céder à l’amertume.

Cette mandature connaîtra deux élections présidentielles, 2022 et 2027. Comme 2027 coïncide avec le terme des six années du mandat de la Collectivité de Corse, il est d’ores et déjà acquis que la prochaine élection territoriale sera décalée à 2028.

Dans ce « temps long » beaucoup sera à faire pour construire l’avenir du peuple corse. La responsabilité est grande pour ceux qui sont à la tête des institutions de la Corse. •