I messaghji d'Edmond Simeoni

Aleria

En ce 46e anniversaire des évènements d’Aleria, le 21 et 22 août 1975, Arritti revient sur une interview que donnait Edmond Simeoni à notre confrère Corse Net Infos le 21 août 2014. Extraits.

 

« Aleria n’est ni un événement fortuit, ni un coup de tête ! Dès le début des années 60, je me suis engagé contre les essais nucléaires dans le massif de l’Argentella en créant une association corse qui regroupe plus de 600 étudiants. Nous continuons à militer parce que la situation économique de l’île est très mauvaise. Pendant deux siècles, la France n’a jamais fait les travaux nécessaires. Le plan d’action de 1957 privilégie le tourisme et l’agriculture qui, de facto, échappent aux Corses. Quand, en 1962, se pose le problème des rapatriés, l’affaire, traitée de façon inéquitable, crée un contentieux agricole. Après la naissance de l’ARC en 1967, la contestation s’intensifie avec les manifestations pour la terre, notamment dans le Fiumorbu et dans la région de Porto… La fraude électorale sévit. Il n’y a pas un scrutin qui ne soit entaché de fraude ! L’inquiétude est maximale et le mécontentement profond.

(…) On découvre l’énorme entreprise de malfaçon de vin. Des récoltes exceptionnelles, trois ou quatre par an, l’utilisation de milliers de tonnes de sucre… Alors que la consommation domestique insulaire du sucre est de 4.000 tonnes par an, il en rentre près de 20.000 tonnes au vu et au su de tout le monde, des services de police et de douane. Cette affaire détruit l’image de la Corse. Si on y ajoute la spoliation au niveau du tourisme et de l’agriculture, le schéma d’aménagement qui prévoit la création de 200 000 lits touristiques à l’horizon 1985…, on comprend pourquoi la situation est explosive.

(…) La déclaration de Libert Bou [« Même 250 000 Corses ne pourront pas faire changer la Constitution ! »] est le déclencheur d’Aleria. La décision de passer à l’action est prise, trois jours avant, par l’Exécutif de l’ARC après de longues discussions dans un véritable climat d’ébullition politique et de radicalisation. Quelques attentats ont déjà eu lieu dans l’île. Pour des raisons de sécurité, l’opération est circonscrite à une vingtaine de personnes, des militants éprouvés et des dirigeants d’organisation syndicale ou professionnelle. Comme nous ne voulons pas être expulsés par trois grenades lacrymogènes et deux gifles, nous prenons des fusils de chasse avec la conviction certaine et partagée que nous ne les utiliserons pas. Ils sont un élément de dissuasion vis-à-vis des forces de l’ordre. Nous prenons la décision d’occuper cette terre qui est, à la fois, le symbole fort du colonialisme agricole et le lieu où sévit la malfaçon du vin.

Le 1er objectif est clair : dénoncer une situation coloniale en matière d’agriculture, faire cesser la dépossession de la terre et la malfaçon viti-vinicole. Le 2e est de dire notre refus d’accepter l’arbitraire. Le 3e est d’expliquer aux Corses de l’île et de la diaspora qu’il faut changer de politique et sortir de cette situation coloniale hyper-centralisée. Il fallait donner le ton d’une opposition très déterminée. Aleria est le point de rencontre entre deux volontés inébranlables : d’un côté, la volonté de l’État de ne pas permettre à la Corse de s’émanciper, de l’autre, la volonté du peuple corse de se libérer. Il faut y ajouter les luttes pour l’université, pour la langue… tous ces combats où nous montons en première ligne font comprendre que nous sommes particulièrement déterminés et dotés d’une solide expérience politique !

(…) Aleria est le symbole de la lutte contre la colonisation agricole et touristique et du combat pour l’identité. C’est un acte de résistance. C’est même l’acte fondateur de la résistance contemporaine. Le message à faire passer est que la Corse a le droit pour elle, un droit adossé à la mémoire et à l’histoire. Son peuple a le droit d’être reconnu, d’être libre et de choisir son destin. Désormais, la voie ne peut, en aucun cas, être celle de la violence. La non-violence peut mobiliser et agréger toute la Corse autour de problèmes graves qui ne sont pas réglés.

(…) La prise de conscience est avérée dans l’île. L’opinion internationale, que l’on sollicite depuis des années, est sensibilisée. Le véritable combat est désormais entre Conservateurs et Progressistes. Les Corses, dans leur grande majorité, veulent le changement. C’est pourquoi le changement viendra ! » •