Le problème foncier du Pays Basque à la Corse, en passant par la Bretagne

Une action commune pour une problématique commune

Déplacement en terre basque ce 18 septembre où j’étais invitée par l’Université d’été de nos amis du parti EHBai (Pays Basque oui) pour présenter les travaux de la Collectivité de Corse en matière de foncier. Mêmes constats, mêmes conséquences subies, mêmes pistes de travail.

 

J’y étais invitée à intervenir au titre de mes anciennes responsabilités avec le conseiller régional breton de l’UDB*, Nil Caouissin, qui a repris la revendication corse pour un statut de résident pour le compte de la Bretagne. Il a écrit un plaidoyer sous la forme d’un Manifeste et, depuis, creuse la question de toutes les expériences européennes en la matière pour affiner ses propositions.

L’occasion pour moi de me replonger notamment sur les deux années de travail intense menée sur ce sujet à la présidence de l’AUE (2015-2017), avec le ministre Jean-Michel Baylet lorsque j’étais en charge de la commission État/CdC « Lutter contre la pression foncière et immobilière », mais aussi des avancées arrachées lorsque nous étions dans l’opposition de 2010 à 2015 et suivions les travaux de Maria Guidicelli (rendons à César…).

Après une rencontre avec des élus du Pays Basque, conseillère départementale, maires, adjoints, demandeurs d’informations sur les pistes mises en place dans nos régions respectives, deux débats invitaient à plancher sur la question du logement et des problèmes du foncier en général.

Le premier, avec Peio Etcheverry Ainchart, en charge de ces questions au sein d’EHBai, le second, ouvert à un public plus large avec une soixantaine de présents, pour mettre le focus sur la revendication d’un statut de résident.

 

La question foncière est une problématique majeure au Pays Basque, qui subit une forte pression sur les prix du marché. « Dans le meilleur des cas, les jeunes – et moins jeunes – condamnés à partir vivre à l’intérieur des terres mais dans le pire des cas la seule solution est l’exil à l’extérieur du Pays Basque » explique Nikolas Blain, responsable d’EHBai. Avec 41.000 résidences secondaires en Ipparalde, le pays connait, comme en Corse, une forte hausse des prix conduisant à une économie tournée vers l’accueil en saison, entrainant le gel de ces logements pour le marché locatif. Nos hôtes citent des taux de résidences secondaires pouvant aller jusqu’à 50 %, voire 70 % dans certaines communes, avec une moyenne de 21 %. En Corse on le sait, le taux moyen de résidences secondaires peut atteindre 36 %, avec des pointes jusqu’à 80 ou 85 % sur certaines communes littorales.

Comment freiner ce phénomène ? Comment plafonner les prix des loyers ? Comment remettre sur le marché locatif trop de logements privés destinés à la location saisonnière ? Toutes nos régions sont confrontées à ces questions. La Bretagne y a réfléchi et, s’appuyant sur l’expérience corse, a mis la proposition du statut de résident au cœur de sa campagne pour l’élection régionale ; avec succès, puisque l’UDB en union avec Europe Écologie les Verts a élu quatre conseillers régionaux ! EHBai milite pour le droit au logement et organisera une grande manifestation le 20 octobre prochain. La Corse connaît une pression foncière continue qui pèse sur l’avenir : la terre change de main.

 

Il faut agir vite, inventer des outils permettant de freiner cette vague spéculative. Le témoignage que la Corse peut apporter est donc attendue en Pays Basque, en Bretagne mais aussi dans toutes les régions rattachées à la Fédération Régions & Peuples Solidaires et confrontées aux mêmes problématiques. Le statut de résident apparaît à tous comme la solution la plus efficace et la plus pérenne. Il est en œuvre sans difficulté ailleurs en Europe et il n’y a guère qu’en France qu’on en fait un obstacle politique en invoquant le sacro-saint problème constitutionnel !

D’autres pistes peuvent être évoquées, de la Plateforme de mesures proposées par Maria Guidicelli en 2011, avec la création d’outils comme l’Agence d’Aménagement Durable de la Planification et d’Urbanisme en 2012 (devenue en 2016 l’AUE, Agence d’Urbanisme et d’Énergie), ou comme l’Office Foncier, outil d’acquisition et de portage créé en 2014, doté de 30 M€ – mais ce n’est que du portage sans pouvoir agir sur les prix du marché – jusqu’à la délibération de l’Assemblée de Corse du 26 avril 2014 sur la protection du patrimoine foncier de l’île qui analyse les possibilités et les contraintes de la mise en place du statut de résident, la revendication est ancienne, portée depuis toujours par le nationalisme corse, dans toutes ses composantes. Les Bretons proposent une résidence d’un an, la Corse a délibéré sur « une période minimale de cinq années », différents scenarii ont été étudiés : accès à la propriété limité aux seuls résidents (en distinguant résidence principale et résidence secondaire), accès aux personnes en lien avec la Corse (diaspora), taxation différenciée des propriétés, avec exonération partielle ou totale, taxe de séjour pour les non-résidents… objectif : agir sur les prix du marché pour freiner la hausse, voire forcer à la baisse.

Après sa prise de responsabilité en décembre 2015, la majorité nationaliste a forcé la porte de Paris. À la faveur d’un gouvernement plus ouvert, des groupes de travail ont été mis en place, sous l’égide du ministre Jean Michel Baylet. J’ai eu l’honneur de suivre les travaux de l’un d’eux, intitulé « Lutte contre la pression foncière et immobilière » dont la feuille de route était de plancher sur des mesures à droit constant (hélas), sans aborder la question qui fâche du statut de résident, réservée aux discussions sur l’avenir institutionnel de la Corse. Ceci dit le concours du CGEDD, Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable, organisme dépêché par l’État pour l’expertise juridique et technique, a débouché sur des pistes intéressantes aussi. Il mise beaucoup sur les outils de planification et de contraintes par les règles d’urbanisme pour contenir les phénomènes de spéculation.

Rappelons aussi la mise en place, prévue au Padduc, et mise en œuvre par notre majorité, en 2016, d’un Observatoire du Foncier Logement et Urbanisme, l’Oflu, dans l’objectif de mieux comprendre et mieux réguler le marché, connaître les transactions pour éventuellement pouvoir contrer les opérations purement spéculatives, intervenir quand c’est nécessaire par un droit (revendiqué) de préemption propre à la Collectivité de Corse ou (existant) d’autres organismes comme la Safer, préserver les terres agricoles, etc.

 

Les réflexions menées ont débouché sur le rapport de janvier 2017 pour la mise en place d’une politique opérationnelle en matière de foncier, logement, aménagement, à l’échelle territoriale, pour combler le retard en logements, sociaux notamment, établir des projets de territoires partagés, au niveau communal et intercommunal, mettre en œuvre une planification infrarégionale et une programmation d’opérations structurantes par territoires sur des secteurs à enjeux régionaux (en termes d’aménagement, d’équipements publics, d’urbanisme, de foncier, d’énergie…). Le rapport établit une procédure de concertation et lance les consultations pour identifier les projets et plancher sur les besoins juridiques, fiscaux, financiers, d’une telle ambition.

En 2019, un autre rapport intervient à sa suite, « Una casa per tutti, una casa per ognunu » déposé par le président du Conseil Exécutif où les aides au logement sont revus de manière offensive : doublement des aides aux communes et intercommunalités, aide aux primo-accédants, notamment dans les zones soumises à une forte spéculation, ou à l’opposé pour les zones désertifiées, accès préférentiel aux résidents (notamment aux jeunes ménages), subventions jusqu’à 80 % de l’investissement, notamment dans le cadre de rénovation énergétique, prime jusqu’à 10 % du prix du bien acheté, aide à la réhabilitation favorisant notamment les centres anciens dans les villes et le bâti ancien des villages, aide à la construction notamment pour le logement social avec le renforcement du soutien aux Offices Publics de l’Habitat, ou aux programmes de rénovation urbaine, aide aussi aux opérations d’amélioration de l’habitat dans le parc privé.

Bref, des budgets et des critères d’attribution pour combler le vide juridique, mais qui n’ont hélas pas le pouvoir de faire baisser les prix !

 

La situation reste catastrophique. En 2019, le premier rapport de l’Oflu confirme ce que l’on savait. Quand la hausse continue des prix des terrains et des logements depuis plus de 10 ans est de +68 % en France, en Corse, le prix moyen du m2 d’un terrain à bâtir augmente de +138 % sur la période ! En 2014, au moment de la délibération réclamant un statut de résident, la hausse constatée du foncier était de +105 %. C’est dire si le phénomène perdure et s’aggrave.

Plus on s’approche du rivage et plus la pression foncière est forte. On le constate aussi en Iparralde, et cette attractivité du littoral est d’autant plus forte dans un marché non régulé qui réagit en fonction de la demande et de la compétition entre acheteurs potentiels. Terrains et logements sont gelés pour servir cette compétition, ce qui entraîne inflation des prix et vacance des logements et rend très difficile la possibilité de se loger, particulièrement pour les plus modestes. Pour le logement social, le premier souci des bailleurs est de trouver du foncier disponible à bon prix. Or il n’y parvienne pas : 6000 inscriptions au fichier national pour bénéficier d’un logement social en Corse, pour une production de 250 à 300 logements annuels éligibles à l’aide à la pierre : tout est dit ! Sans oublier les problèmes d’indivision et d’établissement des titres de propriétés qui aggravent le phénomène du fait de la rareté du foncier disponible que cela provoque.

Bref, c’est le marché qui commande et non plus les politiques d’aménagement du territoire ! Littoral, espaces sensibles, espaces agricoles, sont artificialisés à la vitesse grand V et cette dépossession foncière, se double d’une atteinte culturelle, dans une société traditionnellement basée sur l’agrosylvopastoralisme. Les grands objectifs territoriaux, comme atteindre l’autonomie alimentaire à l’horizon 2040 sont remis en cause. Le Padduc impose des règles pour freiner la construction de résidences secondaires, que les documents locaux d’urbanisme ne suivent pas. Les mesures de droits communs, y compris législatifs sont insuffisants, la possibilité par exemple d’une sur-taxation des résidences secondaires, si elle permettrait de libérer des logements, n’est pas susceptible de peser suffisamment sur les propriétaires les plus fortunés, qui sont le problème le plus spéculatif, assurés de retrouver de toutes façons leur profit au moment de la vente d’un terrain convoité ou de la location saisonnière de leur bien immobilier. Elles doivent donc se doubler de mesures juridiques comme le statut de résident.

Le droit doit suivre les besoins des populations, et non pas le contraire.

Or tous les gouvernements successifs ont bloqué cette revendication, de Manuel Valls qui parlait de « ligne rouge » à Emmanuel Macron qui invoque « une mauvaise réponse contraire à la Constitution ».

 

Jean Félix Acquaviva, député de la Haute-Corse, a déposé une proposition de loi, dans l’attente de pouvoir négocier un statut de résident. Elle comprend trois mesures et devrait être examinée en février 2022 : 1/ Renforcer le droit de préemption de la Collectivité de Corse pour les mutations de biens immobiliers pour conserver la maîtrise sur certaines zones 2/ Renforcer la capacité d’intervention de la CdC par une taxe sur les résidences secondaires perçue par la CdC 3/ renforcer le Padduc par la création de « zones d’équilibre

territorial » où la construction de résidences secondaires ne pourrait pas être autorisée.

 

En conclusion, ce qui est certain c’est que Pays Basque, Bretagne, Corse, et au-delà, d’autres régions comme la Savoie, l’Alsace, l’Occitanie, la Catalogne nord, subissent cette pression foncière sans avoir les moyens de la réguler. C’est donc ensemble qu’il faut peser pour nos revendications politiques. Il nous faut construire une démarche de résistance commune, renforcer nos solidarités, faire progresser notre expertise sur ces mécanismes, porter ensemble – notamment au sein de la Fédération Région & Peuples Solidaires – la revendication de statut de résident. Au Pays Basque, les abertzale manifesteront le 20 octobre, en Bretagne, Nil Caouissin et l’UDB poursuivent leur campagne, en Corse, le combat de nos revendications institutionnelles continue. •

Fabiana Giovannini.