Depuis mai 1999, date de l’arrestation de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi (celle d’Yvan Colonna a eu lieu quatre ans plus tard), plus de 22 ans se sont écoulés. Condamnés à la perpétuité simple, sans peine de sûreté, pour avoir participé à l’assassinat du préfet Claude Erignac, les deux premiers sont libérables depuis quatre ans. Pourtant, ils sont maintenus arbitrairement sous le statut de « détenus particulièrement signalés » (DPS) ce qui leur interdit tout espoir de libération et même toute possibilité de rapprochement dans une prison en Corse.
Le maintien de ce statut privatoire de leurs droits n’a aucune justification rationnelle car les deux prisonniers politiques corses, tout comme Yvan Colonna, sont reconnus comme des détenus modèles par l’administration elle-même qui, chaque fois que leurs avocats introduisent un recours, le reconnaît sans ambages.
Le tribunal d’application des peines antiterroristes a ainsi donné à plusieurs reprises un avis favorable pour un aménagement de leurs peines, mais cet avis a été balayé à chaque fois par ceux qui décident in fine au sommet de l’État, le Garde des Sceaux habituellement, le Premier Ministre au-dessus de lui quand celui qui est ministre en exercice se refuse à promulguer la réponse attendue par l’État profond qui, dans les faits, dirige la France, Préfets en tête.
Cette vengeance d’État s’exprime en dehors de tout cadre légal. Le jugement qui a condamné Alessandri et Ferrandi a été prononcé par un jury de magistrats, tels qu’ils sont constitués en cas d’incrimination terroriste. Ce jury a refusé une condamnation à perpétuité avec une peine de sûreté maximale alors qu’elle était demandée par le ministère public. L’État profond a manifestement décidé de l’exécuter quand même, par tous les détournements de procédure possibles ou imaginables !
C’est ainsi que ce problème juridique est devenu un problème politique qui justifie que l’Assemblée de Corse y consacre une séance exceptionnelle le 22 octobre prochain.
Car au-delà de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi – le cas d’Yvan Colonna connait quatre années de décalage –, c’est la Corse entière qui ressent une volonté de stigmatisation à travers cette succession de décisions arbitraires.
Stigmatisation du dossier corse en raison de l’assassinat du préfet Erignac : tel avait été l’esprit, et même la lettre, du discours d’Emmanuel Macron dès février 2018, au lendemain de la réélection de Gilles Simeoni à la tête de la Collectivité de Corse, alors que lui-même avait été élu président de la République quelques mois auparavant. Depuis rien n’a vraiment évolué, si ce n’est que Gilles Simeoni a été conforté de manière éclatante lors des élections de juin dernier.
Mais le blocage continue et il s’exprime à travers l’acharnement mis par l’État dans le dossier judiciaire de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. En réunissant l’Assemblée de Corse pour en débattre en séance plénière, l’Exécutif engage une épreuve de vérité : sans conformité au droit, il n’y a pas de possibilité de dialogue, et l’État en porte la responsabilité.
L’opposition au sein de l’Assemblée de Corse a déjà plusieurs fois montré par ses votes qu’elle soutenait la même position, ainsi que tous les parlementaires, au Sénat, à l’Assemblée Nationale et au Parlement Européen. Les anciens Présidents de l’Assemblée de Corse, de droite ou de gauche, ont eux aussi la même position. C’est à toute cette unanimité que le gouvernement devra répondre de son attitude réfractaire au droit et au dialogue.
À partir de là, les Corses jugeront. •