Le maintien coûte que coûte du referendum en Nouvelle Calédonie à la date du dimanche 12 décembre est une décision lourde de conséquences. Elle dénature, elle détruit même, l’esprit et la lettre des accords de Nouméa de 1998. L’appel au boycott des mouvements kanaks qui demandaient le report du scrutin avec l’argument largement fondé de la pandémie et de ses nombreuses victimes, le plus souvent parmi les tribus autochtones, fera de son résultat un simulacre de démocratie. Les fractures entre les populations en seront terriblement ravivées. L’esprit colonial français est revenu sur le devant de la scène.
Ce troisième referendum aurait dû être un moment de démocratie, pour un choix clair et définitif sur l’avenir du territoire. Ainsi en avait-il été décidé à l’issue du processus de Matignon. Le Président Macron a décidé de tout remettre en cause en acceptant un scrutin croupion où seuls les plus acharnés des adversaires du peuple kanak trouveront leur compte.
Les accords de Noumea avaient programmé ce cycle référendaire au bout de vingt années de transition, durant lesquelles un nouveau statut du territoire a été mis en place qui partageait le pouvoir entre les communautés, alors qu’il était jusqu’alors monopolisé par les descendants caldoches des premiers colons et par les métropolitains venus de France.
Au début du processus référendaire, en 2018, le parti français était sûr de sa victoire sur un camp indépendantiste dont la combattivité semblait émoussée. Les sondages prédisaient plus des deux tiers des voix en faveur du « non » à l’indépendance. Mais la jeunesse kanak n’a pas laissé passer son tour, elle s’est exprimée bien plus largement que prévu, et l’avance du « non » a été bien moindre qu’annoncé, avec moins de 57 % des voix.
Lors de la campagne pour le second scrutin, l’administration a abandonné son devoir de réserve et apporté un soutien de plus en plus appuyé aux partisans du non, jouant sur « le risque d’instabilité », sur « les transferts d’argent au profit du territoire », et autant d’arguments dont ils espéraient qu’ils permettraient au « non » de l’emporter beaucoup plus largement lors du second vote.
Mais, patatras, c’est le contraire qui s’est produit, et l’avance du « non » s’est réduite considérablement, passant de 57 % à 53 % des voix. De 18.600 voix d’écart, on est tombé à moins de 10.000 voix, presque moitié moins.
Aussi, alors que le parti français était persuadé d’étouffer le mouvement indépendantiste, celui-ci pouvait au contraire nourrir sérieusement l’espoir de l’emporter au troisième tour de scrutin.
En septembre dernier, le territoire a subi une vague épidémique Covid-19 très forte, qui a causé de nombreuses victimes principalement dans la population kanak. Les mouvements indépendantistes ont alors demandé que le scrutin soit repoussé de quelques mois afin que la campagne puisse avoir lieu valablement. Cette demande était d’autant plus justifiée que les reports d’élections pour cause de Covid ont été régulièrement décidés en France depuis le début de l’épidémie. Tel a été le cas lors des municipales de 2020, dont le second tour a été reporté de mars à juin, ou des régionales de 2021 dont le scrutin a eu lieu en juin au lieu de mars cette année. Le refus du chef de l’État est donc tout à fait inexcusable, et il a provoqué la décision de boycott des partisans de l’indépendance.
En manœuvrant de la sorte, Paris prend de grands risques. Un risque diplomatique d’abord car le résultat sera contesté à juste titre à l’international, et le combat des kanaks pour l’indépendance en sera relancé avec les conséquences que l’on peut craindre.
Un risque politique ensuite : comment trouver un équilibre politique durable après avoir ainsi fermé la porte à la démocratie, alors que le processus avait été accepté par tous ?
La présence française dans le Pacifique aurait pu s’appuyer sur des accords politiques forts avec toutes les composantes de la société calédonienne, de façon durable.
Le passage en force réalisé avec ce simulacre de referendum va faire le contraire. Pour avoir voulu régner sans partage, Paris a pris le risque de tout perdre !
Car la Kanaky, quoiqu’on en pense à Paris, est la terre du peuple kanak avant toute chose. •