Contre la spéculation immobilière en Corse

Loi votée, blocage maintenu

par François Alfonsi
L’image de la ministre Jacqueline Gourault obstinément négative face à sa propre majorité à l’Assemblée Nationale est l’illustration de la position actuelle de l’État vis-à-vis de la Corse : fermeture au sommet, ouverture à la base. Cela peut bloquer encore longtemps.

 

La lutte contre la spéculation foncière est une des priorités définies par les élus de la Corse pour débloquer le dialogue avec l’État, dialogue en panne depuis l’élection d’Emmanuel Macron il y a cinq ans. Car, en s’abritant derrière des arguments constitutionnels supposés, le gouvernement n’a jamais voulu engager la moindre réforme en ce sens.

Mais l’Assemblée Nationale ouvre aux groupes parlementaires une « fenêtre institutionnelle » durant laquelle sont débattues leurs propres propositions de loi. Le groupe Libertés et Territoires l’a déjà utilisée pour les langues régionales à travers le vote de la loi Molac, contre l’avis du ministre Jean Michel Blanquer. Jean Félix Acquaviva a récidivé en faisant voter en première lecture, contre l’avis du gouvernement représenté par Jacqueline Gourault, un dispositif spécifique à la Corse qui pourra combattre enfin les dérives d’une spéculation immobilière qui sur l’île atteint des sommets.

Le statut de résident mis en avant sous la mandature de Paul Giacobbi sur proposition des élus nationalistes alors minoritaires n’aurait pas été approuvé en l’état, à droit constitutionnel constant. Aussi, la proposition de loi déposée par Jean Félix Acquaviva a consisté à s’appuyer sur une des rares spécificités de la Corse, à savoir l’existence du Padduc, Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, prévu par le statut particulier.

Dans les autres régions, il existe des Sraddet (Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) qui encadrent les documents d’urbanisme d’échelon inférieur, adoptés par les intercommunalités (SCOT) et par les communes (PLU). Mais le Padduc corse a une force prescriptive que n’a pas le Sraddet hexagonal. Il peut imposer ses normes quand le document des autres régions ne fait que définir un cadre de compatibilité. Ainsi le Padduc impose les Espaces stratégiques agricoles et leur cartographie, que les documents de niveau inférieur ont l’obligation ensuite de reprendre.

 

En s’appuyant sur cette compétence particulière à la Corse, le principe mis en avant par la proposition de loi de Jean Félix Acquaviva est de permettre de zoner dans le cadre du Padduc les zones de forte tension spéculative dans lesquelles la construction ou l’acquisition de résidences secondaires, ou de biens destinés à la location saisonnière non professionnelle, seraient interdites.

À ce dispositif de zonage la proposition de loi ajoute un droit de préemption général attribué à la Collectivité de Corse, et, pour financer les acquisitions décidées dans ce cadre afin de bloquer une transaction sur un bien jugé important, la création d’une taxe spécifique sur les résidences secondaires de haut standing est mise en place.

L’ensemble forme un tout cohérent et représente un dispositif applicable à court terme, en donnant des compétences nouvelles à la Collectivité de Corse, dans la continuité de celles dont elle dispose déjà depuis 1992. Conscients que le problème soulevé en Corse est ressenti aussi dans d’autres territoires hexagonaux, comme l’a souligné un séminaire tenu en marge de l’Assemblée Nationale où sont intervenus des élus basques, bretons et savoyards, les députés ont voté en Commission, tous groupes confondus, en faveur de la proposition de loi des députés corses. Puis le texte est arrivé en séance plénière, ce vendredi 4 février. Il y a été voté à une large majorité malgré l’avis contraire de la représentante du gouvernement.

Cette situation de blocage au sommet alors que la volonté d’aller dans le sens du dialogue est affirmée par les députés de base, y compris au sein de la majorité d’Emmanuel Macron, va-t-elle perdurer ? Ou bien une fenêtre s’ouvrira-t-elle enfin ?

Pour l’heure, le voyage en Corse du Premier Ministre, annoncé à maintes reprises, n’est pas encore fixé. L’appareil d’Etat et ses soubassements profonds continuent leur résistance au changement. •