Par François Alfonsi
L’ordre mondial est un environnement qui pèse sur nos vies quotidiennes comme l’air que nous respirons. Nous baignons dedans sans jamais avoir réellement conscience de son importance vitale. Mais, s’il vient à manquer, on réalise alors à quel point il est important ! L’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine est un événement historique majeur car il déstabilise profondément les équilibres jusqu’ici établis. Il y a eu le monde d’avant, et cette invasion nous fait basculer dans le monde d’après. Entre les deux, c’est le saut dans l’inconnu !
L’ordre mondial actuel a été, durant plus de trois décennies, généré par la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide. La période historique qui lui avait précédé était consécutive à la seconde guerre mondiale et aux accords de Yalta… en Crimée. Et les historiens pourraient ainsi remonter le temps historique ponctué par de grandes fractures qui ont été le plus souvent dramatiques. La chance de notre génération est d’avoir vécu une transition plus ou moins pacifique entre le monde de la guerre froide et celui qui a évolué jusqu’à aujourd’hui.
Cela ne signifie pas bien sûr que la paix et la concorde aient réellement régné durant toutes les dernières années. L’actualité a été parsemée de nombreuses guerres : décolonisation après-guerre, puis des conflits meurtriers et incessants qui se sont succédés en Afrique ; ou, au Moyen Orient, les guerres autour des richesses pétrolières, de la question d’Israël, jusqu’à la terreur islamiste de Daech, etc. Un « ordre mondial » n’est pas un long fleuve tranquille !
Pourquoi la guerre déclarée entre la Russie et l’Ukraine risque-t-elle de nous faire basculer dans un autre monde ? Essentiellement parce qu’elle procède, pour la première fois depuis le début de la première guerre mondiale, d’une guerre provoquée par l’invasion d’un pays par l’armée d’un autre pays. Ce caractère « conventionnel » en rehausse l’enjeu politique, et cela d’autant plus que l’envahisseur est l’armée d’une des plus importantes forces militaires de la planète.
Dès lors chacun est obligé de réévaluer le logiciel politique et militaire de la sécurité pour son propre pays. L’OTAN, alliance militaire qui unit l’Amérique du Nord à l’Europe occidentale, qu’Emmanuel Macron avait estimé « en mort cérébrale » il y a peu, revient soudainement au centre du jeu. Car, comme l’Ukraine, aucune armée européenne ne ferait seule le poids face au mastodonte de l’armée russe. Or chaque pays de l’est de l’Union Européenne peut craindre, à juste titre, les suites de ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine.
Les minorités russophones qui y vivent, héritage d’une longue histoire, et surtout de l’occupation qu’ils ont connu par l’Union Soviétique, y sont souvent maltraitées, ce qui est une erreur politique majeure de leurs gouvernements, et elles peuvent donc servir de prétexte pour une invasion autoritaire. Estonie, Lettonie, Lituanie ou Moldavie sont à la même enseigne que l’Ukraine.
Mais l’armée russe franchirait alors un nouveau « Rubicon ». Il est cependant à craindre que les grandes déclarations américaines et européennes « touche pas à mon pote de l’OTAN » ne soient guère suivies d’effet le jour où il faudra envoyer une armée y chasser le nouvel occupant après une attaque éclair. Car c’est une chose de mener des manœuvres avec des troupes de pays alliés, c’en est une autre d’aller à l’assaut d’une armée aussi puissante sur la scène mondiale. Si l’Ukraine cède, qui freinera la volonté hégémonique de la Russie dans ces pays bien moins capables encore de lui résister ?
C’est sans doute ce constat qui a amené l’Europe à apporter un soutien militaire aussi fort aux forces de la résistance ukrainienne, et à s’associer aussi largement aux politiques de sanctions économiques qui sont destinées à asphyxier la volonté hégémonique de la Russie.
Par effet de domino, ces sanctions vont provoquer des conséquences en retour sur les économies européennes, dont la hausse effrénée du prix des énergies fossiles, particulièrement le gaz naturel, est le premier effet. Mais cela risque d’aller bien plus loin car le commerce qui sera ainsi fermé avec la Russie sera porteur d’un appauvrissement économique global de la planète.
Enfin derrière la Russie se profile l’autre très grande puissance qu’est désormais la Chine, dont le soutien diplomatique à Vladimir Poutine met en évidence la volonté de ses dirigeants d’appliquer à Taïwan, et d’autres, le même sort que celui que la Russie veut infliger à l’Ukraine.
L’ordre mondial s’en trouve très menacé désormais, sans que l’on sache à quoi cela peut conduire entre des puissances militaires qui disposent chacune de l’arme nucléaire.
Le monde pourrait devenir désormais beaucoup plus dangereux. •