Suite de nos interviewes des membres de la majorité territoriale. Aujourd’hui, rôle un peu inversé, Fabienne Giovannini, capireddatrice, répond à nos questions. Conseillère exécutive, présidente de l’agence d’Aménagement durable, de l’Urbanisme et de l’Énergie (AUE), elle a en charge l’application du Padduc, mais aussi la politique de l’air, de l’énergie et du climat de la Collectivité Territoriale de Corse.
Elle vient de faire adopter un important rapport liant les problématiques du logement, de l’aménagement du territoire et du foncier.
Explications.
Au terme d’un an de mandat, quel bilan peut-on faire de cette première année aux responsabilités pour les nationalistes ?
Pour juger objectivement, il faut d’abord décrire le contexte peu favorable : un mandat très court, à peine deux ans. Un passif important qui nous handicape considérablement pour déployer notre politique. Une machine institutionnelle polluée par des décennies de clanisme avec des habitudes de fonctionnement ; et pour changer les comportements, il faut du temps ! Sans parler d’une actualité difficile qui nous a mis à l’épreuve dès le mois de décembre 2015, avec l’affaire des Jardins de l’Empereur, puis de Siscu quelques mois plus tard, une situation explosive qui a été gérée avec beaucoup de sang-froid et d’humanisme par nos deux présidents. Si l’on tient compte de tout cela, et que l’on y ajoute les acquis de cette première année de mandat : redressement des finances, création du Comité de Massif, de la compagnie régionale maritime, schéma de l’infrastructure gazière acté par le gouvernement, adoption d’un plan pour les déchets, action menée pour bâtir la collectivité unique, proroger l’arrêté Miot, obtenir le statut d’île-montagne etc. on peut conclure à un bon bilan !
Mais les Ordonnances sont remises en cause au Sénat…
Notre action a été limpide. Nous aurions pu être jusqu’auboutistes, pousser les fondamentaux du nationalisme, mais un large consensus s’est dégagé au sein de l’Assemblée de Corse, nous l’avons respecté et nous sommes battus pour. D’autres n’en ont pas fait de même. La droite corse a trahi ce consensus, et au travers de lui, la confiance des Corses. Notre peuple jugera. Nous espérons que les choses seront rattrapables en seconde lecture à l’Assemblée Nationale. À travers cet épisode, on se rend compte combien l’institution du Sénat est désuète.
Comment jugez-vous votre première année à la présidence de l’AUE ?
Plusieurs points positifs : le Padduc a franchi le contrôle de légalité, ce qui n’était pas évident. Il est entré en application et un intense travail de pédagogie a été entamé auprès des maires. Nous entrons dans la phase opérationnelle au travers de projets à définir et à mettre en œuvre à l’échelle des différents territoires. C’est un vrai défi à relever de manière collective. Mais 2016 a été surtout l’année de la mise en route de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie, avec la mise en place de son Comité de Pilotage stratégique que je copréside avec l’État. Son premier acquis a été la signature d’un protocole entre la ministre de l’énergie et le président du Conseil Exécutif, actant définitivement le schéma gazier. Les études pour réaliser l’infrastructure sont lancées, barge d’approvisionnement et gazoduc Cyrénée. Par ailleurs, au niveau du développement des Énergies Renouvelables et de la maîtrise de la demande énergétique nous avons aussi bien avancé.
Avec quelles initiatives ?
Nous avons mis en place les ateliers Oreli. C’est un important programme qui vise à rénover les logements individuels à grande échelle. Pour l’heure nous bâtissons la méthode au travers de logements pilotes. Oreli c’est un besoin de rénovation de 3000 logements par an durant 20 ans au moins. C’est dire l’enjeu pour la maîtrise de notre consommation énergétique, mais aussi pour les professionnels du bâtiment qui auront en main ces chantiers de rénovation. C’est aussi un enjeu social, car les constructions les plus énergivores sont les plus précaires et il nous faut fortement accompagner ces ménages en difficulté. De même, nous avons lancé plusieurs Appels à projets pour relancer les filières EnR : solaire thermique, bois énergie, rénovation dans le collectif, éclairage public. Et nous avons réformé notre guide des aides pour plus d’efficacité. Enfin sur le plan de la mobilité, nous menons des opérations pour freiner les consommations de carburant, utilisation du vélo et alternatives à la route.
Si le Padduc n’a pas été attaqué par l’État, il y a quand même des contentieux…
Oui. Il faudra attendre quelques mois avant que nous ne sortions des recours contentieux. Une quarantaine, relevant essentiellement de particuliers. Mais le Padduc est d’ores et déjà opposable. Les communes doivent mettre leur document d’urbanisme en compatibilité avec le Padduc. Elles ont un rôle fondamental pour sa bonne application à l’échelle de la commune. Nous sommes là pour les accompagner. Le Padduc est souvent vu comme une contrainte, or il est au contraire un outil particulièrement pertinent pour réaliser les projets locaux. C’est surtout un document qui va nous permettre de bâtir notre développement de manière cohérente en réduisant la fracture territoriale.
Mais on continue à bâtir sur des terres agricoles !
Le contrôle de légalité doit s’exercer. Au terme de leur élaboration, les PLU qui ne respectent pas le Padduc seront sanctionnés au travers d’avis défavorables de la Collectivité Territoriale, comme de l’État. Les communes ne peuvent en sortir gagnantes et ce n’est pas ce que nous souhaitons. C’est pourquoi j’appelle les maires à mettre en compatibilité leur document et à ne pas abuser de cette période de mise en route du Padduc pour délivrer des permis qui ne respecteraient pas les règles d’urbanisme. De larges espaces peuvent être ouverts à l’urbanisation, de quoi tripler la population de la Corse. Il n’est pas besoin pour cela d’aliéner les espaces stratégiques agricoles ou les espaces remarquables du littoral. Si nous avons estimé qu’il était nécessaire de réserver à la mise en valeur agricole 105.000 hectares de terres les plus riches, c’est que la Corse en aura besoin pour atteindre son autonomie alimentaire et préserver l’avenir des futures générations. Les enjeux dépassent les petits intérêts spéculatifs.
La problématique du réchauffement climatique vous préoccupe ?
C’est un problème planétaire. Les États ayant failli, je crois au rôle des régions. Nous avons mis en place un Schéma régional de l’air de l’énergie et du climat (SRCAE) qu’il faut décliner par des actions concrètes. J’ai proposé de mettre en place une « gouvernance climat » à l’échelle territoriale pour coordonner nos actions d’adaptation aux dérèglements climatiques. C’est une action transversale au sein de l’Exécutif : l’Office de l’Environnement, l’Office Hydraulique, l’Office agricole mènent aussi des démarches. Nous devons mutualiser nos moyens. Et nous devons travailler avec les îles méditerranéennes. La Corse a adhéré à la Charte de Gouvernance Climat des Territoires de Méditerranée et nous réfléchissons avec nos voisins sardes à des actions communes.
Vous avez également en charge l’aménagement du territoire et venez de faire adopter un rapport sur cette question liée aux problématiques du logement et du foncier, de quoi s’agit-il ?
Le constat est accablant : difficultés d’accès au logement, manque de programmation d’une part, offre massive et anarchique d’autre part, sur du foncier privé, hors de toute opération d’aménagement public. Et on demande à la Collectivité Territoriale de réparer après-coup les dégâts, de tracer des routes, de construire des crèches, bref, de pallier à cette absence d’aménagement. On met la charrue avant les bœufs ! Et cela conduit à des aberrations.
On a vu par exemple se réaliser des lots à bâtir sur des espaces à forte potentialité agricole et même l’octroi de subventions à des particuliers pour l’acquisition de ces lots ! Plus grave, certains dispositifs concourent à entretenir un prix élevé de l’immobilier et contribuent in fine à renchérir le coût du foncier compliquant les projets de construction de logements sociaux ou en accession sociale, à l’encontre des objectifs recherchés par la CTC en matière de lutte contre la pression foncière et immobilière. Sans compter le surcoût de dépenses publiques parce qu’on n’a pas fait valoir les plus-values foncières. Bref, il faut avoir une vision globale, cohérente de notre développement et le décliner sur chaque territoire.
Comment ?
Il s’agit pour la CTC de tenir le rôle qui est le sien : inciter et surtout aider les acteurs locaux, au premier rang desquels les collectivités, à concevoir et à mettre en œuvre des projets de développement cohérents et compatibles avec le modèle de développement de la Corse. Ne plus tourner le dos au voisin, où chacun fait son complexe sportif dans son coin. Mais réfléchir à l’échelle des territoires à ce qu’il est pertinent de faire ensemble. Cela conduira non seulement à bâtir des projets cohérents, mais aussi à mieux rationaliser les dépenses publiques.
Nous allons entamer un tour des territoires, aider les intercommunalités à définir leur projet, à le chiffrer et à bâtir l’ingénierie nécessaire à leur réalisation. Par une concertation large, nous allons mettre en place le chaînon manquant entre la Corse et les communes, celui des grands bassins de vie, et ce faisant, nous équilibrerons notre développement sur l’ensemble du territoire.