Ukraine

La guerre en continu

Durant l’été, la guerre en Ukraine a continué mais les deux adversaires semblent piétiner. La conquête promise par Poutine fait du surplace dans le Donbass, et la contre-offensive sur Kherson promise par le Président ukrainien Zelinski s’étire en longueur. La faute probablement à des armements russes désormais plus rares, du moins pour les plus sophistiqués d’entre eux, et à une armée ukrainienne trop faible même si elle a fait ses preuves en situation de résistance. Mais une offensive, pour être victorieuse, demande beaucoup plus de moyens humains et militaires qu’une guerre de défense.

 

De tout l’arsenal des sanctions et embargos occidentaux contre la Russie, les effets sur la puissance militaire russe sont peu sensibles. Les armes russes sont fabriquées directement par Moscou, et Moscou n’attend pas les livraisons venues d’alliés étrangers comme Kiyv. Mais cette cuirasse de fer et de feu a probablement un défaut : les armes de précision, notamment les bombes télécommandées envoyées par les avions bombardiers et par la grosse artillerie de longue portée, nécessitent l’utilisation de microprocesseurs qui, pour l’essentiel, sont fabriqués à l’Ouest, 70 % de la production mondiale se faisant à Taiwan et en Corée, pays qui n’alimentent plus la Russie. Or l’efficacité des bombardements tient à la qualité de la détection de cibles, essentiellement par des drones télécommandés, et, une fois les cibles géo-localisées, les bombes partent aussitôt et font mouche grâce au téléguidage. Or, pas de drones ni de munitions téléguidées sans microprocesseurs embarqués. Toute l’agitation diplomatique autour de Taiwan cet été doit sans doute beaucoup à cette production stratégique réalisée pour l’essentiel sur son territoire.

Autre fait marquant de cette guerre désastreuse : le rôle des centrales nucléaires civiles dans le déroulement d’un conflit armé. La bombe atomique est depuis la fin de la seconde guerre mondiale l’alpha et l’oméga des doctrines militaires, de quelque camp que l’on soit. Arme de destruction massive, elle détient le pouvoir de décréter la fin du monde, ce qui est la base de la doctrine de dissuasion qui consiste à en disposer pour ne jamais avoir à s’en servir.

 

Mais la guerre en Ukraine est en train de ramener le nucléaire au rang d’une arme quasi-conventionnelle, donnant à celui qui détient le contrôle d’une usine de production d’électricité nucléaire le pouvoir de déclencher un « tchernobyl atomique » comme arme de guerre. Ce moyen est suffisamment destructeur, y compris pour les voisins et alliés des belligérants, pour exercer une réelle dissuasion sans faire pour autant peser le risque d’un anéantissement continental. L’Europe, de l’Atlantique à l’Oural, a survécu à la catastrophe de Tchernobyl, elle survivrait donc à la destruction de celle de Zaporijja. Mais les conséquences écologiques et économiques seraient incalculables ! Et ce simple constat met en cause définitivement la poursuite des programmes d’énergie nucléaire totalement contraires à la sécurité des populations civiles en cas de conflit armé.

La visite en cours des experts de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique va probablement confirmer ce risque nouveau qui pèse sur le monde. La seule solution est une démilitarisation totale du site qui soit acceptée par les deux belligérants. Mais quel prix faudra-t-il payer à Poutine qui détient cette arme nucléaire bas de gamme entre ses mains ? La cessation des livraisons d’armes occidentales à l’Ukraine ce qui réduirait à néant les chances d’une contre-offensive ukrainienne ? Ou encore un réapprovisionnement des usines russes en microprocesseurs qui leur font défaut pour continuer ses offensives contre l’Ukraine ?

Idem pour la guerre du gaz lancée contre l’Europe alors que l’hiver approche. Chaque molécule de gaz livrée devra avoir une contrepartie diplomatique ou militaire sur le terrain ukrainien. Le premier ministre ukrainien le sait bien qui réagit avec vigueur chaque fois qu’il entrevoit la possibilité d’un « deal » entre Moscou et Bruxelles et/ou les autres grandes capitales européennes.

Ainsi la guerre en Ukraine entre progressivement dans le quotidien de chaque européen. De ses efforts de sobriété énergétique dépendra la force du chantage russe aux livraisons de gaz. Et de la capacité à faire évacuer les centrales ukrainiennes de toute présence militaire dépendra le niveau de menace d’accident nucléaire qui pèse sur l’Europe.

L’Europe, officiellement, n’est pas en guerre. Mais, petit à petit, elle s’y installe. •

François Alfonsi.