S’il existe un sujet transversal brûlant aujourd’hui, c’est bien celui de la question de la pénurie de logement dans chacun de nos territoires, ses causes que sont la spéculation foncière et immobilière, ses conséquences à travers la dépossession, la précarisation, l’acculturation. Pour débattre de la problématique « Vivre, travailler et se loger au pays », Anne Bachmann de la Fondation Franz Weber, présentant la loi sur les résidences secondaires en Suisse, Jean-Félix Acquaviva, député R&PS dont le projet de loi « Lutte contre la spéculation foncière et immobilière » a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, William Girard-Desprojet, du Mouvement Région Savoie, Lydie Massard, élue de l’Union Démocratique Bretonne, et Nicolas Blain d’EH Bai en Pays Basque nord.
En Savoie, un récent sondage révèle que 89 % de la population estime qu’il est difficile de trouver une location, 84 % qu’il est difficile d’acheter. On retrouve les mêmes causes qu’en Corse, l’attractivité du territoire, sa beauté. S’y ajoute pour la Savoie son dynamisme économique avec ses créations d’emplois, la saturation du canton de Genève, l’augmentation des travailleurs frontaliers, le niveau de vie plus faible qu’en Suisse. Une situation qui démultiplie le besoin : 13 à15.000 personnes supplémentaires arrivent chaque année au Pays. La Savoie déplore une moyenne de résidences secondaires passée en quelques années de 30 % en 2014 à 38 % aujourd’hui et jusqu’à 90 % dans certaines communes. Parmi les villes qui comptent le plus de résidences secondaires en France, 87 % se trouvent à la montagne. Résultat, il n’y a plus de foncier disponible et les prix s’envolent, jusqu’à 12.600 € le m2.
Une pénurie de logements qui bien évidemment crée des inégalités sociales et un fort sentiment de frustration dans la dilapidation du patrimoine, d’autant que les savoyards ne peuvent pas hériter des maisons familiales et se voient contraints de vendre. Pendant ce temps, le secteur BTP s’enrichit, sans respect du patrimoine ou des règles, accroissant la perte d’identité. Nos amis Savoyards regardent vers la Corse et les revendications portées sont les mêmes : nécessaire limitation des résidences secondaires, mise en place d’un bail réel solidaire, statut de résident.
En Bretagne aussi, tous les ingrédients beauté des paysages sont réunis pour accroitre l’attractivité du territoire. Résultat : des prix du logement de plus en plus inaccessibles pour le Breton moyen. Dans les stations balnéaires, il a augmenté de +35 % et on atteint des taux records de résidences secondaires jusqu’à 79 %. Une situation aggravée par un phénomène Air BnB avec des investisseurs qui achètent des immeubles entiers pour des locations de courte durée. La démographie en pleine croissance inquiète : on projette +640.000 nouveaux arrivants d’ici 2040 en Bretagne. Comment les loger ? Tout ceci détériore la qualité de vie (perte d’écoles, de commerces, de services publics pour laisser la place aux logements à courte durée…). Cette situation économique créé des emplois précaires impossibles à loger sur place et qu’il faut déplacer à plusieurs kilomètres, ce qui engendre frais de route, pollution, aggravation du niveau de vie des habitants.
Les Bretons réclament l’application stricte de la loi SRU, une généralisation de la prise en compte des zones tendues, un statut de résident d’au moins un an pour pouvoir se rendre acquéreur d’un bien en Bretagne. Bref, l’autonomie pour gérer soi-même les problématiques. Le groupe où siège l’UDB veut imposer ce débat au sein du Conseil Régional de Bretagne.
En Pays Basque (Iparralde), la population s’accroit de +12.000 personnes par an (tandis que partent 9.000 autres personnes), ce qui crée un déséquilibre démographique et culturel inquiétant. Le Pays Basque qui ne dispose ni d’une région ni même d’un département (une communauté d’agglomération du Pays Basque a été créée pour y suppléer artificiellement), n’est pas suffisamment armé pour lutter. Plus de 20.000 logements sont des locations Air BnB. Iparralde compte 21 % de son parc immobilier en résidences secondaires, avec plusieurs communes qui dépassent les 50 %.
Pour nos amis basques, le droit à avoir un logement passe avant celui d’en avoir deux ou trois. Ils militent eux aussi pour un statut de résident, en sus d’autres mesures comme l’encadrement des loyers. De même, pour tenter de produire du logement locatif, la CAPB propose d’imposer la création d’un logement à louer à l’année pour chaque logement de courte durée. Cela provoquerait mécaniquement la fourniture de 11.000 logements disponibles à la location. Le préfet de région Aquitaine a déclaré cette résolution « anticonstitutionnelle ». Une bataille juridique est engagée. Une plateforme d’actions s’est constituée, composée de 32 collectifs, elle a été à l’initiative de mobilisations massives.
En Suisse. La Fondation Franz Weber, du nom de son fondateur, œuvre à la protection des animaux, de la Nature, des espèces, des paysages et patrimoine, des parcs et réserves… Sa représentante expose l’initiative prise pour l’adoption d’une loi visant à interdire toute nouvelle résidence secondaire pour une commune ayant un taux supérieur à 20 %. La Constitution suisse permet à chaque citoyen de proposer une loi, au terme d’un processus parfaitement démocratique. Toute demande d’initiative doit recueillir au moins 100.000 signatures en un an et demi, avec l’accord des cantons et de la fédération suisse. Puis une votation est organisée, comme ce fut le cas pour la loi proposée sur la limitation des résidences secondaires en 2012 (56 % des voix). Le parlement élabore ensuite le projet de loi et ses conditions d’application, tentant parfois de bloquer les objectifs de l’initiative. Mais le système est assez bien construit et permet aux citoyens déterminés de riposter. Aussi, un compromis est recherché par le parlement pour éviter un référendum. Il y a donc eu une bataille de procédures jusque devant le Tribunal fédéral en Suisse, mais in fine la loi est entrée en vigueur en 2016. Elle a empêché la construction de plus de 1.300 nouveaux bâtiments dans les zones touristiques en 10 ans, en faisant qui plus est la démonstration d’aucun impact négatif au niveau économique. On objecte souvent cet argument pour contrer les aspirations des peuples, mais l’économie ne souffre en rien de la défense de l’environnement ou du patrimoine. C’est juste une autre façon de construire les sociétés, plus équitable et plus durable.
En Corse, le prix du foncier a cru ces dernières années de +138 % en moyenne contre +68 % en France. Un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec un paradoxe : la Corse détient le plus fort taux de France de familles les plus aisée ! L’appât du gain expose l’île aux phénomènes mafieux. Des niches fiscales se créent avec notamment le détournement du crédit meublé (30 % de crédit d’impôt de la valeur du bien). Conséquences : il y a rupture d’égalité (pénurie de logement locatif, notamment de logements sociaux), concurrence avec le tourisme (65 % de nuitées sont en secteur non marchand), constitution de zones tendues, voire hyper tendues, une moyenne de 37 % de résidences secondaires, avec des taux jusqu’à 75 % et 80 % dans certaines communes et des prix qui s’envolent : à Zonza, le prix moyen de vente d’une villa se chiffre entre 5 et 10 M€. 80 % des communes corses sont toujours au RNU !
Solution revendiquée : un statut de résident avec une limite imposée de 5 années (délibération de l’Assemblée de Corse en 2013). Autonomie, statut de résident, reconnaissance du peuple corse font partie des discussions engagées avec l’État.
La problématique est comprise, pour preuve, la proposition de loi pour lutter contre la spéculation foncière et immobilière déposée par Jean-Félix Acquaviva a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale (contre l’avis du gouverment !) Elle demande un droit de préemption au bénéfice de la Collectivité de Corse, une fiscalisation spécifique sur les résidences secondaires, et un renforcement du Padduc pour la création de zones d’aménagement prioritaires limitant la construction de résidences secondaires. Elle sera examinée au Sénat et la deuxième lecture devant l’Assemblée nationale est d’ores et déjà fixée au 8 juin 2023. Elle aura valeur de test et sera un rendez-vous important pour toutes les régions et peuples solidaires. •