La 27e Université d’été de Régions & Peuples Solidaires est un plein succès pour cette Fédération qui fêtera bientôt ses 30 ans. +15 % de voix engrangées lors des élections législatives 2022, la réélection de ses quatre députés, et, dans la foulée, la formation d’un groupe renforcé à l’Assemblée nationale, avec notamment l’intégration de cinq députés d’Outremer ! Le bureau est en grande partie renouvelé aussi, avec l’élection de François Alfonsi à la présidence, alors que s’ouvre des négociations capitales pour la Corse, et des retombées attendues pour l’ensemble des régions qui aspirent à plus d’autonomie. Il remplace l’occitan Gustave Alirol qui a présidé depuis sa création la Fédération. Une volonté de féminisation, l’implication de nouveaux responsables et la création d’une « plateforme jeunesse », avec le renfort de jeunes militants bouillonnant d’idées et de volonté de s’investir, complètent cette nouvelle dynamique. La volonté enfin d’anticiper de façon plus offensive sur les futures échéances (élections européennes, présidentielles, législatives) et de rendre plus visible le poids de cette fédération en croissance constante ces dernières années. Bref une réussite totale pour cette 27e édition, accueillie par le Mouvement Région Savoie qui fête cette année ces 50 ans d’existence dans une nouvelle appellation historique : Sabaudia. Ces journées étaient organisées en partenariat avec l’Alliance Libre Européenne et se déroulait à Aix-les-Bains au bord du lac du Bourget. Elles ont compté près de 150 inscrits s’ajoutant à de nombreux participants journaliers : bravo la Savoie !
Gustave Alirol a présidé la Fédération durant 27 ans, assurant sa continuité malgré des objectifs différents dans chaque région. Il a marqué ainsi l’histoire de la Fédération et œuvré sans compter à son développement. Au chevet de son épouse, il n’a pu être présent et de très nombreux hommages ont été rendus à son investissement. D’un simple rassemblement de partis concentrés sur leur territoire respectif, ces quelques 30 années ont structuré une même pensée autour de besoins et de problématiques communes, forgeant des solidarités politiques, en même temps que de solides amitiés. Ainsi s’est construit cette force qui profite à chacun, de l’Alsace à la Bretagne, en passant par le Pays Basque, la Catalogne, l’ensemble occitan, la Moselle, la Savoie et la Corse mais aussi les amazighs de ces régions. R&PS est une collégiale et fonctionne à partir d’un Conseil fédéral et de son Bureau pour la gestion et les prises de décisions quotidiennes comme pour les grandes orientations stratégiques. L’Université d’été et le congrès sont des moments forts de retrouvailles. François Alfonsi prend la présidence avec la volonté de préserver sa cohérence tout en capitalisant les avancées obtenues jusqu’ici. « Quand l’une des régions avance, ce sont toutes nos régions qui avancent » a plaidé le nouveau président (lire notre interview par ailleurs).
Laurent Blondaz, président du MRS, ouvrait le premier débat sur la question de l’autonomie. « Parler de la Savoie, sa région, son territoire est autorisé », revendique Laurent Blondaz qui répond à la question qu’est-ce que l’autonomie ? « Autosuffisance, liberté, dignité, responsabilité, résilience. À l’opposé, c’est la dépendance, la servitude, l’esclavage, la précarité. L’autonomie ce n’est pas l’autarcie. Dans l’interdépendance, il y a notion de réciprocité, de coopération, et pour coopérer il faut être autonome ». Pour illustrer son propos, il projette l’image de sa maison de famille dans la montagne savoyarde, avec son organisation ancestrale, une partie habitation, une autre pour les bêtes, une grange où la nourriture était stockée, une cave pour la transformer. Une image qui raconte à elle-seule la vie organisée autour de l’agro-sylvo-pastoralisme savoyard rapprochant de toutes les sociétés tournées vers la terre et la nature avec ses points d’eau, sa forêt, la montagne, la maîtrise des savoir-faire. Il raconte la puissance du « royaume transalpin bilingue » (Duché de Savoie, Aoste, piemont, Gêne, Nice Sardaigne), son « régime paternaliste avec ses nombreux faits humanistes », la grande autonomie des communautés villageoises (probi homines), sa justice codifiée (statut avocat des pauvres), premier cadastre dans le monde, l’équité devant l’impôt, la fin des droits seigneuriaux (1771), la fin de l’indépendance en 1860. Il parle de l’autonomie énergétique avec ses 70 centrales hydroélectriques, ressources vitales dans la recherche du scénario négawatt, même chose dans la gestion de l’eau, des transports, des communications, des déchets. Il dénonce le poids des lobbies des grandes multinationales, cite en exemple la Suisse, le Plan Whalen en 1940 et sa « bataille des champs »*, les ressources fiscales indispensables pour lutter contre les grandes problématiques du logement, du tourisme, de la perte d’identité.
Stéphane Linou, formateur à l’institut supérieur des élus, conseiller départemental de l’Aude aborde le débat sous l’angle de « Résilience alimentaire et sécurité nationale », titre d’un ouvrage sous sa signature. Il a été à l’initiative de la création des premières Amap de l’Aude et explique le rôle des régions pour bâtir cette sécurité alimentaire. « Il faut sécuriser les dispositifs pour s’organiser autour de la pénurie, l’abondance étant l’exception ». Connaître les circuits commerciaux est vital, mais aujourd’hui on ne stocke plus, ni au niveau régional, ni au niveau de l’État, les territoires sont très spécialisés, et n’ont plus les infrastructures suffisantes. Ils sont vulnérables. « Il n’existe aucune réflexion collective pour répondre à la sécurité alimentaire ». Production et consommation ne sont plus territorialisés, cela crée des troubles à l’ordre public (cyber attaque, épidémies, etc.). « À aller trop loin dans la déterritorialisation, l’idéologie néolibérale nous met sous la menace au niveau de la production comme de la consommation, avec une impréparation totale de la population ». Il faut former les populations, il faut des lois foncières, une organisation de l’alimentation, moderniser la sécurité civile, mettre en place des mesures barrières territorialisées.
Chantal Certan, ancienne conseillère régionale du Val d’Aoste (2013-2020), responsable du mouvement autonomiste Alpe, évoque la gestion de l’eau en Val d’Aoste. « C’est un thème essentiel face aux défis du réchauffement climatique, surtout après deux ans de pandémie qui a tout centralisé, la guerre en Europe qui rompt les équilibres, la crise énergétique en cours ». En Val d’Aoste, l’énergie hydroélectrique est un pilier économique avec le tourisme. L’archéologie démontre que le peuple avait une très bonne connaissance de l’eau. « C’est une ressource à sauvegarder. Elle était au centre de la vie valdotaine dès l’antiquité, avec des pratiques transmises oralement, puis écrites à partir de 1588 sur l’utilisation des fontaines et des ruisseaux. C’était une société basée sur le principe de subsidiarité impliquant toute la collectivité dans l’entretien et l’utilisation des richesses du territoire, avec la multiplication des rus pour assurer le passage de l’eau partout et pérenniser la fertilité des sols » ; jusqu’à 15 kms parfois. Aujourd’hui se pose le problème de leur entretien avec la désertification. L’eau en Vallée d’Aoste représente 3 milliards de KWh de la richesse nationale produite (7 %). 600 personnes travaillent en Val d’Aoste dans la société régionale des eaux. C’est le 5e producteur italien avec ses 32 centrales et ses 8 parcs éoliens.
François Alfonsi apporte l’éclairage européen. Jusqu’ici on a surtout travaillé l’efficacité énergétique, avec le développement des énergies renouvelables et des politiques énergétiques qui ont obtenu des résultats, notamment dans l’abaissement des coûts. L’autre pilier indispensable, la sobriété, était moins promue et aidée. Avec la guerre en Ukraine, les rapports de forces gaziers, la sobriété est la seule réponse immédiate. Y compris en cas de fin du conflit, car la guerre se poursuivra sur le terrain énergétique, avec des tensions et des insatisfactions de part et d’autre. « L’Ukraine estimera toujours avoir trop perdu, la Russie pas assez gagné. L’Europe s’installe dans une période longue de difficultés au niveau énergétique et la seule façon d’y répondre est de poursuivre sur ces deux plans : efficacité et sobriété ».
Le rythme du développement éolien est très lent en France, il est même dans l’impasse en Corse, déplore François Alfonsi. Face au réchauffement climatique, on sait qu’il ne faut pas dépasser 1,5° de température, et même faire moins car les conséquences sont plus rapides et plus importantes que les anticipations du GIEC. « L’endroit où se construit l’autonomie, ce sont les territoires. Or, quand on n’a aucune compétence, il ne se passe rien ! »
François Alfonsi alerte aussi sur l’« effet trompe-l’œil » du nucléaire dans la crise actuelle. Avec l’exemple de la centrale de Zaporija, enjeu stratégique et menace considérable, le nucléaire entre dans le domaine de la planification militaire avec un risque démultiplié et un effet dissuasion qui pèse sur toute l’Europe. Cela démontre encore l’importance de politiques fortes de sobriété comme de développement plus offensif des EnR. « Plus un territoire ira vers son autonomie énergétique, plus il sera armé pour son autonomie politique : d’où l’importance d’une force comme R&PS qui appuie sur l’autorité légitime au niveau territorial » a conclu le député européen.
Le débat appuie sur l’importance d’une approche collective plus raisonnable, plus efficace. « Les solutions ne sont plus entre création et redistribution des richesses, mais dans la préservation de la ressource ». Or aujourd’hui créer de la richesse revient à gaspiller la ressource. Il faut revenir à l’équilibre, et pour éviter l’injustice sociale, ne pas vivre le besoin de sobriété comme une punition, il faut préserver et partager cette ressource. Aujourd’hui l’agriculture est construite sur la surproduction, tout le système doit être redéfini.
Le nucléaire n’est pas la solution qu’on nous vend, il pose un problème majeur de sécurité. Le secteur crucial est l’agriculture. La réforme de la PAC est indispensable. « Voter la même PAC, c’est empêcher d’atteindre les objectifs. » Il faut s’appuyer sur l’intelligence des territoires qui portent les solutions dans la culture, la langue, les savoir-faire, la toponymie qui transmettent ces pratiques ancestrales. Or, partout, les meilleures terres agricoles sont transformées en lotissements, l’artificialisation des territoires est un danger.
Sommes-nous toujours à temps s’interroge l’assistance ? Quel homme politique est prêt à faire de la sobriété son programme ? La démographie est une partie de la réponse. Va-t-elle décroître comme annoncé ? Quoiqu’il en soit, il faut de la solidarité. « S’entraider pour ne pas s’entretuer ». Retrouver une agriculture à taille humaine, préserver les terres agricoles, développer des jardins partagés à l’échelle des villes comme des ruralités. Impérativement sortir des 2 % d’autonomie alimentaire si l’on veut assurer la sécurité alimentaire : « on a une armée agricole à lever ». Faire le lien entre acte et impact, ce qui a été oublié jusqu’ici avec les énergies fossiles et nos sociétés d’abondance. Encore une fois, la solution se trouve dans les régions, et R&PS est une clé pour la reconnaissance de leur rôle capital dans l’avenir. •
Fabiana Giovannini.
* programme d’autosuffisance alimentaire mis en place par la Suisse pour pallier la pénurie de ressources et de matières premières vitales : doublement des zones cultivables qui a permis au pays de ne pas souffrir de rationnement, de fournir du travail à des milliers de personnes et d’impliquer des milliers d’entreprises.