La session de novembre 2022 de l’Assemblée de Corse avait à son ordre du jour le « rapport d’orientation sur la politique linguistique ». Ce document complet était accompagné d’une étude socio-linguistique réalisée en 2021. La continuité des « contrats de plan État-Région » n’était pas une option pour l’Exécutif. Il fallait une rupture. Elle a été décidée lors de la session des 24 et 25 novembre dernier.
La politique linguistique des dernières années de mandat a été guidée par le CPER 2015-2020, négocié quand Paul Giacobbi était encore président de l’Exécutif, puis mise en œuvre sous les mandatures successives de Gilles Simeoni.
Son montant total était de 17,1 millions d’euros. Mais l’Éducation nationale n’a honoré que 60 % de ses engagements, contre 90 % pour la Collectivité de Corse. Les chiffres sont flatteurs, avec par exemple 300 professeurs ayant suivi le grand plan de formation de la langue corse, ou encore, dans le primaire, 11.000 élèves en filière bilingue, 45 % des effectifs contre 36 % six ans auparavant, mais il faut s’inquiéter du « peu de retours d’ordre qualitatif sur les dispositifs mis en place ».
Le CPER 2022-2027 va prendre la suite. La simple continuité ne peut être satisfaisante et l’Exécutif a eu à cœur de programmer une politique de rupture.
La rupture est d’abord d’ordre budgétaire, avec un doublement des crédits langue corse pour les six prochaines années, 30,8 M€ contre 17,1 M€, dont les deux tiers apportés par la CdC (19,7 M€).
Il s’agit de mettre la pression sur l’enseignement public pour accélérer la marche vers la généralisation de l’enseignement bilingue. Et il s’agit aussi de changer de braquet sur les revendications linguistiques, avec deux axes :
– Créer une « coofficialité de facto, sans attendre la coofficialité de jure » : faire une priorité politique et sociétale de la langue corse ; mobiliser autour de cette priorité politique et sociétale ; augmenter rapidement le nombre d’espaces où le corse se parle naturellement.
– Mener un « renforcement massif de l’aide aux projets et actions basés sur l’immersion linguistique », en menant de pair « la généralisation de l’immersion dans le système public » et « un soutien déterminé à l’immersif associatif ».
Car le temps presse. L’étude socio-linguistique menée à la demande de l’Exécutif de Corse dresse un état des lieux inquiétant pour l’avenir. Cette enquête s’est appuyée sur un questionnaire ciblé sur un échantillon représentatif de la population vivant sur l’île. Les réponses émises par les sondés donne une image de la situation réelle ressentie par chacun d’eux.
Sur une population de 335.000 habitants, dont 80 % (265.000) ont plus de dix-huit ans, 63 % répondent avoir une connaissance de la langue corse. Mais les réponses sont sur un spectre très large, entre le corsophone de naissance et celui qui affirme le comprendre et ne le parler qu’un peu. En fait l’étude estime le nombre de locuteurs actifs à 105.000 individus, soit 39 %.
Mais les usages quotidiens de ces locuteurs actifs sont très variables, entre les 2 % qui ne parlent que corse quotidiennement, les 34 % qui passent du français au corse, et les 20 % qui ne parlent corse qu’occasionnellement.
Sans surprise c’est dans le centre Corse que la langue est la plus fréquemment utilisée (75 % de locuteurs, 50 % de pratique bilingue), dans l’Extrême Sud qu’elle l’est le moins (35 % de locuteurs, 25 % de pratique bilingue), et la langue corse est plus présente en région bastiaise (70 % de locuteurs, 36 % de pratique bilingue) qu’en région ajaccienne (59 % de locuteurs, 19 % de pratique bilingue).
La seule marque d’optimisme laissée par cette étude tient à l’affirmation d’un consensus et d’un désir de langue corse très largement partagé, notamment chez les plus jeunes. 97 % de ceux qui le parlent sont fiers de savoir le parler, 85 % de la population estime qu’il est important de sauvegarder la langue corse, 71 % est pour la coofficialité.
Le rapport du Conseil Exécutif, c’est une première, est pour l’heure un simple « rapport d’orientation » soumis au débat public, dans et hors l’Assemblée de Corse. De la sorte il pourra être beaucoup plus ouvert aux contributions que ce que permet la procédure classique couramment mise en œuvre. En effet, grâce aux délibérations des institutions qui ont à faire avec la langue corse, des associations et de toutes les parties prenantes au dossier, l’Exécutif sera en mesure d’enrichir ses propositions et de soumettre, début 2023, un rapport final largement concerté qui sera soumis à la procédure des amendements et d’un vote final par l’Assemblée de Corse.
Le rapport fait aussi un exposé inspiré d’une étude de NPLD (Network for Language Diversity ; réseau des institutions œuvrant pour les langues en Euskadi, Pays de Galles, Catalogne, etc.) dont la conclusion est claire ; le seul véritable espoir d’un avenir pour toutes ces langues reposent sur la généralisation de l’enseignement par immersion totale.
Et joignant l’acte à la parole, l’Assemblée de Corse a validé l’attribution d’une subvention à l’association Scola Corsa pour l’année scolaire 2022-2023 de 338.316 €.
Car il ne suffit pas de voter des crédits ; il faut aussi les employer pour qu’ils servent les objectifs poursuivis ! •