Kurdistan

Une situation complexe et contradictoire

La donne change constamment dans le conflit qui au Proche Orient oppose Daech au reste du monde. Sauf que le « reste du monde » avance d’un pas contradictoire et bien souvent conflictuel. Dans cet imbroglio d’alliances qui varient de jour en jour, les Kurdes jouent l’avenir de leur nation.

 

Pour les Kurdes, engagés dans une guerre totale contre Daech aussi bien en Irak qu’en Syrie, la période qui s’ouvre est historique. Il leur faudra faire reconnaître par la communauté internationale leur réalité de peuple, afin de sortir d’un siècle de négation de leurs droits. En effet, depuis la fin de la première guerre mondiale, après que leur statut comme État autonome ait d’abord été inscrit dans le traité de Sèvres en 1920, puis ignoré dans le traité de Lausanne en 1923, les Kurdes se battent aussi bien en Irak qu’en Syrie et en Turquie pour retrouver leur autonomie politique. Ils savent par expérience que les accords internationaux sont autant de chaussetrapes où leur nation peut gagner la guerre et puis perdre la négociation de paix qui suit. En Syrie, en Irak comme en Turquie, les Kurdes ont mené de rudes combats contre les pouvoirs en place, avant qu’ils ne soient renversés. Ils l’ont fait en Irak contre Saddam Hussein, qui avait réprimé leur révolte en gazant une ville entière, faisant 5.000 morts civils à Halabja en 1988. Profitant de la chute de Saddam Hussein, avec l’appui de l’Amérique, le Kurdistan irakien bénéficie désormais d’une autonomie complète, et agit comme un quasi-Etat avec son armée de Peshmergas qui ont été les seuls en Irak à tenir tête à Daech dans un premier temps, et qui sont encore les mieux organisés pour organiser la reconquête des territoires pris par l’État Islamiste, notamment autour de Mossoul. Mais l’État irakien en place, dirigé par les Chiites du sud du pays, refuse d’admettre les nouvelles frontières de l’autonomie irakienne, notamment dans la zone de Kirkouk riche en pétrole. La reprise de Mossoul à Daech est subordonnée au règlement de cette tension entre les forces gouvernementales et les forces kurdes. L’autre grande zone de peuplement kurde est la Turquie où le PKK a structuré un mouvement de libération nationale qui va aujourd’hui bien au-delà de sa branche armée, avec une implantation démocratique très forte. Les Kurdes ont même réussi à faire élire 80 députés à Ankara, ce qui a ébranlé le système Erdoggan qui est en train d’installer une nouvelle dictature en Turquie. Dans la lutte contre Daech, le PKK et son homologue syrien PYD ont écrit leur page d’Histoire à Kobané, première ville sauvée de la progression de Daech par sa propre capacité de résistance, malgré la passivité d’une communauté internationale muselée par la Turquie pour qui le risque séparatiste kurde est une obsession. Depuis Kobané, les Kurdes de Syrie, soutenus par le PKK, ont mis à leur actif la libération des territoires Yézidis, et ils cherchent à consolider leur territoire le long de la frontière turque, avec l’aide aérienne de la coalition internationale, mais contre les raids des chars turcs qui bombardent leurs positions. Car pour le nouveau pouvoir turc, l’ennemi est le PKK bien plus que Daech. Enfin, le pouvoir de Damas et Bachar El Assad ont été remis en selle par l’intervention russe, donnant à Vladimir Poutine un nouveau rôle dans la région, particulièrement en Syrie. Ainsi, Américains et Russes ont négocié un accord de cessez-le-feu entre Damas et les opposants syriens, et tentent de rassembler les forces contre Daech. Pour peser sur la scène locale, les Russes ont obtenu le soutien des Turcs, soutien dont le prix a très certainement été une solidarité totale de Moscou avec Ankara contre les Kurdes. Pour les Kurdes, la situation est donc complexe et contradictoire. Leurs appuis traditionnels en Russie se dérobent et s’allient avec la Turquie. Leur allié en Irak, l’Amérique, a négocié avec la Turquie de limiter à l’Irak son soutien aux Kurdes. Ankara l’a admis et a même négocié des accords avec les dirigeants kurdes d’Irak, au détriment des kurdes de Turquie menés par le PKK. Les relations entre les groupes kurdes d’Irak et de Turquie sont de ce fait très tendues. Sur le terrain, la zone d’influence du PKK en Syrie est sous la menace de l’armée turque protégée par son alliance avec la Russie, tandis que la répression bat son plein dans les territoires kurdes de Turquie. Dans ce contexte très difficile pour eux il faut redoubler de solidarité avec les Kurdes. Il faut le faire au nom de la solidarité que l’on porte naturellement à tous les peuples en lutte pour leurs droits. Et aussi parce qu’au Kurdistan se construit un véritable espace démocratique, un peuple s’épanouit dans la liberté, en faisant notamment progresser la condition de la femme musulmane de façon spectaculaire. Le peuple kurde, c’est l’anti- Daech, pas simplement sur le terrain des armes, mais aussi, et surtout, sur le terrain des idées.