C’était une crainte qui avait émergé dès l’été 2022 au sein des associations de protection de l’environnement et qui est malheureusement devenue réalité : le 23 mars 2023, la préfecture d’Aiacciu donne son feu vert pour l’installation de deux coffres destinés à la navigation de grande plaisance, près de la citadelle pour l’un et près du Lazaret pour le second. Les coffres d’amarrage : quoi, pour qui, pour quoi ?
Au premier abord, les coffres d’amarrage pour la grande navigation de plaisance semblent répondre à une problématique récurrente : les bâtiments de yachting (yachts et méga-yachts) en déplacement dans l’espace de la baie d’Aiacciu n’ont qu’une seule solution pour pouvoir s’approcher des côtes : le mouillage au large de la baie et rejoindre la baie par des canots. Ces coffres d’amarrage empêcheraient donc un mouillage incontrôlé et offriraient une solution pour les navigants. Cette solution est également présentée comme une solution écologique en accord avec la préservation de l’environnement et de la faune et la flore marines. Ces installations arrivent comme une solution dans l’univers chaotique de la baie d’Aiacciu, où les bâtiments de yachting n’ont que peu de solution d’arrérages et sont contraints de réaliser des mouillages sauvages dans des zones sensibles.
Une initiative qui aura séduit jusqu’aux plus hautes sphères de l’État, ces coffres d’amarrage bénéficiant d’une dotation du plan « France Relance », à hauteur de 551.000 euros pour un total de 664.000 euros.
Voilà toute la question : pour éviter le pire, faut-il accepter de laisser de la place à des activités qui sont aujourd’hui dénoncées par les militants écologistes, et protégées par les différents acteurs économiques ?
Le yachting : une manne financière, vraiment ?
Il est souvent rétorqué aux détracteurs des activités nautiques telles que le yachting ou encore les activités de croisière que ces secteurs représentent une activité financière pour les corses, commerçants et professionnels du tourisme notamment. Cet argumentaire est depuis longtemps contredit par les associations environnementales, qui remettent fortement en cause les bénéfices apportés par ces secteurs. En effet, la croisière et le yachting sont des secteurs avec un mode de consommation spécifique : les croisiéristes sont sujet à des restriction quant à leur consommation dans les régions accostées. Les formules dites « all-inclusive » (un forfait permettant de consommer de manière illimitée sur le navire) entraînent des restrictions pour les croisiéristes qui voudraient acheter des denrées en dehors des boutiques du bateau. Le yachting est moins sujet à ce type de restriction, les bateaux étant le plus souvent la propriété de particuliers. Cependant, les achats effectués dans les villes portuaires ne sont pas pour autant plus élevés : les plaisanciers pourront certes consommer des repas directement chez les restaurateurs locaux, les plaisanciers étant libres, mais les navires de yachting ont en général un équipage et un nombre de voyageurs beaucoup plus réduit pour des navires allant jusqu’à plusieurs dizaines de mètres, réduisant de fait le nombre de potentiels clients.
Un désastre écologique et des risques pour la santé des insulaires
Les secteurs du yachting, dont il est question ici avec l’installation de ces deux coffres d’amarrages, et celui de la croisière, rencontrent un consensus concernant leur impact sur l’environnement et l’humain : la pollution générée par ces secteurs et la destruction de l’environnement sont incontestables. Les eaux de cales, les rejets de déchets ainsi que le mouillage constituent des menaces immédiates pour l’environnement côtier. Sur le plus long terme, la pollution aux particules fines est un danger pour les habitants des villes portuaires, un bateau amarré générant autant de pollution qu’un million de voitures. Enfin, la pollution sonore et lumineuse générée par les activités sur les bateaux sont des perturbations majeures pour la faune marine, notamment pour les oiseaux migrateurs et les grands mammifères marins.
Le mouillage, quant à lui, représente une destruction invisible mais pourtant lourde de conséquence. Nous vous en parlions dans le numéro 2787 d’Arritti, les fonds marins sont notamment constitués de plantes cruciales pour la faune, la flore et l’humanité : l’herbier de posidonie. Ces plantes, à la pousse extrêmement lente (seulement un centimètre par an) sont un vivier de vie et produisent la majorité de l’oxygène de la Méditerranée.
Ces coffres d’amarrage ne sont pas perçus d’un bon œil par les associations de protection de l’environnement. Pire, on pourrait voir ici un encouragement dans les activités liées au yachting et à la navigation de plaisance, une concession faite à un secteur en décalage complet avec la réalité environnementale aujourd’hui.
La solution proposée par ces coffres d’amarrage est un pansement sur une jambe de bois, une concession du berger envers les loups qui finiront par tuer le troupeau, le pré et le berger. La question se pose : doit-on, en période de crise environnementale, climatique et humaine, accepter de céder une partie du territoire maritime à des activités qui ne profitent qu’à une minorité privilégiée ? Et ce, sans aucune retombée économique qui ne compensera les dégâts causés sur le long-terme ?
La question se pose. •