Le 4 mai dernier, Younous Omarjee, député originaire de La Réunion, président de la Commission du développement régional (REGI) du Parlement européen, était en Corse pour évoquer les suites de son rapport adopté à une très large majorité en juin 2022 pour un Pacte des îles au sein de l’Union européenne. Arritti revient sur cet événement et les travaux qui sont menés par cette importante commission où siègent tous les députés insulaires, dont le député de la Corse François Alfonsi. L’avis de la Commission européenne pourrait être accéléré avec la présidence de l’Union que prendra l’Espagne le 1er juillet prochain. Pour Younous Omarjee, ce sera un acte « historique et fondateur ».
Quelles sont les raisons de votre présence à Aiacciu ce 4 mai ?
Le moment est très important dans le marathon ouvert depuis des années pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Nous nous trouvons, d’une certaine manière, dans les derniers 100 mètres avant que ne s’ouvrent de nouveaux marathons.
Permettez-moi de vous dire d’abord le poids de la Commission du développement régional, pour que vous preniez la mesure de l’importance des votes qui interviennent au sein de notre commission. Au moment de la crise du Covid lorsque les États se faisaient concurrence et que les régions d’Europe n’avaient pas les moyens de tempérer les impacts de la pandémie, c’est la Commission du développement régional qui a demandé à la Commission européenne le règlement REACT-EU que vous connaissez1. Et je crois que toute notre commission peut en être fière. Lorsqu’est intervenue la guerre en Ukraine, c’est notre commission qui a devancé la Commission européenne pour répondre aux défis de l’accueil des réfugiés ukrainiens. Et la Commission européenne a répondu à notre demande. Lorsque je suis arrivé à la présidence de la Commission du développement régional, nous avions deux priorités, la Méditerranée et les îles. Notre commission a honoré son engagement puisque notre collègue François Alfonsi a porté un rapport pour la Méditerranée, qui n’est pas sans lien avec le rapport sur les îles, et qui relance un processus politique qui était au point mort concernant la Méditerranée en Europe. J’espère que ce signal lancé par le Parlement européen sera entendu par le Conseil et par la Commission. Et puis, il y avait cette question véritablement prioritaire pour nous de relancer des propositions intégrées pour les îles européennes.
Comment a cheminé votre réflexion ?
Nous sommes partis d’abord d’une analyse très globale. Le monde entier aujourd’hui accorde une importance nouvelle aux îles, et les îles du monde elle-même s’organisent. Elles jouent un rôle tout à fait nouveau sur la scène mondiale, compte tenu des enjeux géostratégiques, commerciaux, maritimes, militaires… Et il serait curieux que l’Union européenne ne regarde pas ces îles qui lui apportent tant si elle se pense en puissance. Et tout oblige l’Union européenne à se penser en puissance.
La deuxième constatation que nous faisons c’est que les îles européennes en tant que telles, n’ont pas bénéficié du traitement qu’elles méritent dans la prise en compte de leur particularité. La politique de cohésion n’est pas une politique uniforme qui s’applique de manière uniforme sur une diversité de situations géographiques, culturelles, économiques, etc. Notre politique de cohésion a vocation de plus en plus à faire du surmesure. Et ce surmesure il est demandé par les Traités. C’est l’article 174 du Traité, nous avons demandé à travers le rapport voté massivement par le Parlement européen que des dispositions particulières soient prises en compte pour que les îles soient mieux traitées et bénéficient d’un soutien supplémentaire.
Quel rôle a la Corse dans cette recherche de reconnaissance ?
La Corse est force motrice de tout ce travail. Et ce depuis plus de 15 ans. C’est le résultat évidemment d’une série d’actions par d’illustres prédécesseurs dans cette assemblée de Corse, par Gilles Simeoni lui-même lorsqu’il était à la tête de la Commission des îles de la CRPM et puis de mon collègue François Alfonsi au Parlement européen par des rapports également qu’il a pu défendre au sein de notre assemblée.
Le moment est venu aujourd’hui pour que toutes ces propositions accumulées au fur et à mesure des années se concrétisent. Et je dois vous dire que nous sommes extrêmement heureux, extrêmement confiants.
Pour quelles raisons ?
D’abord, entre le 19 juin 2022 et aujourd’hui, il s’est passé énormément de choses. Le vote de ce rapport a été un déclencheur. Non seulement en Corse, mais aussi dans bien des États de l’Union européenne. Après ce vote, l’Italie a constitutionnalisé l’insularité. C’est tout le travail de nos amis de Sicile et de Sardaigne pour obtenir une reconnaissance au plus haut niveau, et ils sont aujourd’hui dans l’action avec le gouvernement italien pour que cette constitutionnalisation se traduise dans les politiques nationales par un certain nombre de mesures. Il ne faut jamais oublier que cette bataille pour la prise en compte repose sur deux piliers qui marchent ensemble : un pilier européen bien sûr. Et un pilier dans les politiques nationales, c’est ce qui fait l’objet des discussions entre les îles et leur État membre respectif, y compris en Corse.
D’autres États ont emboîté le pas ?
Le rapport a donné confiance à nos amis du Sénat espagnol pour adopter largement une résolution qui a été un message très clair adressé au gouvernement espagnol.
Et puis il y a ceux qui sont déjà sur le chemin. Je pense à la Croatie qui a une loi sur les îles et qui est avec nous dans la bataille pour la reconnaissance de la prise en compte concrète de mesures particulières pour leurs îles.
Tout ceci pour vous dire que, bien que les îles soient isolées d’un point de vue géographique, politiquement nous ne sommes pas isolés, et nous sommes de plus en plus forts. C’est pourquoi j’ai une très grande confiance pour que dans les mois qui viennent, et en particulier, au cours de la présidence espagnole, le Conseil européen à son tour envoie un signal vers la Commission européenne.
De quelle manière cela peut-il déboucher ?
Nous parlons là de processus politiques. Notre objectif final c’est que les îles puissent bénéficier d’une intensité d’aides supplémentaire de la part de l’Union européenne, compte tenu de leurs particularités, éloignement, surcoûts etc, qu’elles puissent dans les règlements obtenir les dérogations qu’elles attendent. Ce sera le nouveau combat que nous mènerons dans le futur budget pluriannuel de l’Union et dans les futurs règlements. Nous y parviendrons si nous passons par ce chemin politique. Il y a une unité des îles, il y a un front des îles, il y a surtout une confiance retrouvée pour les îles à travailler ensemble, à faire des actions en commun. Et je veux saluer encore le rôle très important de la Corse, comme force motrice et comme centre de gravité de toute cette action.
Comment cela va-t-il se passer ?
Il y aura un acte du Conseil en faveur des îles qui sera exprimé en juillet, et je pense qu’il y aura un acte de la Commission européenne avant la fin de l’année. Mais la balle sera aussi dans notre camp, en tant que législateur, au parlement, nous aurons à négocier les futurs règlements. Aussi les prochaines élections européennes seront très importantes. Les députés corses au Parlement européen auront une responsabilité dans la future législature car il leur appartiendra aussi de continuer à faire vivre ce qui a commencé à être construit au cours de cette législature.
Concrètement, que peut apporter ce rapport ?
L’article 349, qui reconnaît les régions ultrapériphériques, permet tant de dérogations au niveau européen et tant d’avantages au niveau fiscal par exemple. L’ultrapériphéricité a été évoquée pour la première fois dans un rapport européen en 1979. Il y a eu ensuite sur la base de ce rapport, avant même l’inscription de l’article dans le Traité, un premier programme : le POSEIDOM2. Et bien c’est exactement ce que nous demandons dans le rapport que nous avons fait adopter. Nous disons qu’il est possible d’ores et déjà d’obtenir un programme POSEI, c’est-à-dire une politique agricole spécifique pour les îles. Pour la Corse par exemple et les îles européennes, qui doivent structurer leurs filières, qui doivent aller vers l’autonomie alimentaire, il est possible de bénéficier d’un soutien accru avec des règles, dérogatoires à la PAC. Voilà la force d’entraînement de ce type de rapport. Nous sommes sur une approche très concrète, pour que sur des questions de fiscalité, de désenclavement, de transport, de continuité territoriale, d’agriculture, de pêche, d’énergie etc, on puisse avancer plus rapidement vers l’autonomie énergétique, alimentaire, etc. Il y a une très grande cohérence entre ce combat mené en Europe et le combat que nous menons tous aussi auprès de nos États membres, puisque nous demandons la pleine autonomie et la pleine prise en compte des spécificités de îles dans les politiques nationales. En ce sens, je voudrais lancer un appel au gouvernement français pour qu’il se saisisse de nos propositions et appuie nos demandes auprès du Conseil et de la Commission européenne.
Vous parlez aussi du rôle des îles à l’échelle du monde ?
Il y aura un sommet des îles du monde à Madagascar au mois de novembre prochain, et je suis certain que les îles européennes doivent trouver leur place aux côtés des petits États insulaires en développement. Parce que de la même manière que nous nous sommes en train de nous organiser en tant qu’îles européennes, nous devons nous organiser au niveau global et nouer des relations beaucoup plus fortes qu’aujourd’hui avec les îles du monde, parce que sur toutes les questions de biodiversité, d’impacts du changement climatique, des routes maritimes, de préservation d’un certain nombre de zones de paix à travers le monde, nous avons beaucoup de choses à partager.
En quoi les deux rapports de la commission, Pacte des îles et Stratégie macrorégionale en Méditerranée, sont-ils complémentaires ?
Notre entreprise est historique. Nous sommes ici en Méditerranée. Il y a le travail de François Alfonsi pour la Méditerranée, et notre travail commun pour les îles de la Méditerranée essentiellement. Aujourd’hui, sous nos yeux, une nouvelle géopolitique est en train de naître avec un déplacement très clair vers les pays de l’Est et les pays du Nord. Parce que la sécurité et la souveraineté de l’Europe se jouent aussi dans ces pays. Et c’est notre responsabilité à nous, élus de France, d’Espagne, de Corse, etc., de ramener la Méditerranée au cœur des préoccupations. Je crois que tout ce travail que nous faisons pour les îles, avec la mise en perspective des dimensions internationales, le permet. Ce n’est pas un travail de recroquevillement, mais au contraire d’ouverture, d’intérêt partagé pour toute l’Union européenne.
Vous pouvez compter sur le plein appui de la Commission du développement régional, de François Alfonsi et de moi-même, pour que nous avancions de manière sereine vers ce que nous avons demandé : la signature d’un Pacte des îles qui sera historique et fondateur dans cette histoire commencée il y a très longtemps. •
- REACT-EU est un programme de l’Union européenne, dont l’objectif est de remédier aux dommages sociaux et économiques causés par la pandémie de COVID-19 et de préparer une reprise écologique, numérique et résiliente de l’économie. Il vise à mobiliser 47,5 milliards d’euros supplémentaires issus des fonds structurels pour la période 2021-2022, et à accroître la flexibilité des dépenses dans le domaine de la politique de cohésion.
- POSEIDOM programme d’action spécifique à l’éloignement et à l’insularité sous forme d’aides aux agricultures des départements d’Outremer, octroyé en 1981, plus tard élargi aux Açores, Canaries et Madère avec l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans l’Union. En France, Saint-Martin est également concernée (OCEADOM).