Crise du logement et spéculation touristique

Jacobinisme aveugle… ou complice ?

Les documents préparatoires à la réunion du Comité stratégique du 25 mai 2023 entre la représentation de la Corse et l’État, finalement reportée au dernier moment au 7 juin pour cause d’indisponibilité de Gérald Darmanin en raison de la mort de trois gendarmes dans sa ville de Roubaix, sont à l’image du discours jacobin habituel de l’administration française, d’apparence égalitaire, en réalité discriminatoire.

 

 

L’argumentaire se déroule, implacable, chiffres à l’appui, destiné à alimenter la réunion consacrée à la thématique « urbanisme, foncier, logement ». Trois documents sont ainsi produits : « Diagnostics et dispositifs existants », « Analyse des propositions formulées en février 2023 » et « Présentation des travaux en cours ».

S’agissant des prix du foncier en Corse résumés dans le document de diagnostic, ils sont ainsi « comparables avec les prix pratiqués sur le littoral de Bretagne, de l’Atlantique et de la Manche » pour les surfaces inférieures à 1.000 m2, « toujours inférieurs à ceux du littoral méditerranéen » entre 1.000 et 2.500 m2, et équivalents à ceux du littoral méditerranéen « au-delà de 2.500 m2 ».

Le ministère poursuit sa comparaison entre le « contexte insulaire » et les « départements littoraux de l’Hexagone » en matière de logement et d’habitat. Ainsi, un loyer moyen à Aiacciu est comparé avec Cannes et Antibes ; à Bastia, il l’est avec Saint Malo, Grasse et Bayonne, amenant la même conclusion : c’est comparable à la Corse. Il faut comprendre le ressort profond de ces comparatifs : « puisque Aiacciu n’est pas plus cher que Cannes, il n’y a aucun problème particulier en Corse ! »

 

Ce que le raisonnement jacobin ignore délibérément, c’est que Cannes et les communes comparables accueillent 10 % de la population provençale quand Aiacciu, Bastia et les communes concernées par les prix touristiques abritent 90 % de la population corse ! Et que, comme la Corse est une île, les Corses modestes, qui sont la grande majorité, comme ils ne peuvent faire face à un tel coût de la vie, n’ont plus qu’une option : quitter la Corse et accomplir ainsi la disparition du peuple corse !

En quelques générations, la machine administrative française aurait alors accompli son dessein à l’égard du peuple corse, d’abord en créant les conditions de l’exil par la pauvreté (années 50), et désormais en répandant sans régulation une richesse spéculative qui crée à nouveau les conditions de l’exil des Corses les plus modestes qui ne peuvent faire face aux conditions de l’accès à la terre pour s’enraciner dans leur île, et cela même quand ils héritent de leurs aïeux.

C’est cette spirale de dépossession que l’autonomie devrait nous permettre de conjurer. Mais, visiblement, l’administration centrale est imperméable à une telle considération !

 

Le second document – « Analyse des propositions formulées » – est l’illustration même de ce déni. Aménager les règles pour sortir de l’indivision ? « Cette proposition est contraire aux textes du code Civil ». Aménager les règles des donations pour faciliter la transmission des biens ? « Elle introduit une inégalité de traitement entre les citoyens ». Créer une obligation d’utilisation comme résidence principale dans le cadre d’une acquisition ? « C’est une atteinte au droit de la propriété qui ne peut être justifiée que par un objectif d’intérêt général à valeur constitutionnelle ». Dont la sauvegarde du peuple corse ne fait bien sûr pas partie ! Proposition de loi de Jean Félix Acquaviva ? Elle fait « apparaître des risques d’inconstitutionnalité au regard de l’égalité devant la loi », et la majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires « peut paraître confiscatoire ».

La lecture de ces documents laisse pantois. On attendait dans ce dialogue une attitude constructive. On récolte une langue de bois jacobine aux résonnances délibérément technocratiques.

Il est plus que temps de redonner sa place à une démarche politique. Car l’autonomie a un but essentiel : donner suffisamment de liberté au peuple corse pour qu’il puisse, par exemple à travers un statut de résident, construire son avenir sur sa terre. •