Ce samedi 9 septembre 2023, Max Simeoni est décédé à l’âge de 94 ans. Arritti perd celui qui l’a créé, et la Corse perd le « père-fondateur » du nationalisme corse de l’époque moderne.
Max était l’aîné, entraînant ses frères Edmond et Roland, puis de plus en plus de Corses de sa génération, dans le combat pour le peuple corse. Au début des années 60, le peuple corse était même ignorant de sa propre existence, tant l’œuvre d’assimilation avait été loin, qui avait effacé des mémoires les mouvements politiques nés au lendemain de la guerre de 14-18, puis largement dévoyés ensuite durant la Seconde Guerre Mondiale.
Il a fallu repartir de zéro, dans une Corse exsangue économiquement et démographiquement, dont la seule perspective offerte à la jeunesse était l’exil, tandis que le berceau du village ne retenait que les plus âgés.
Le clanisme avait formaté les esprits, abritant une réalité identitaire forte tout en la mettant au service de sa propre destruction, par la généralisation de l’assistance, du sous-développement et de l’exil, ainsi que par l’acceptation de toutes les négations : négation de l’Histoire, jamais transmise ni enseignée, négation de l’Identité, folklorisée et mise au seul service d’un tourisme naissant, négation de la langue et de la culture, de moins en moins transmise, de plus en plus marginalisée.
Pour sortir d’une telle situation, la révolte était insuffisante. Il fallait bâtir une démarche politique de long terme, fondée sur une conscience ferme que l’on propage autour de soi par la force de ses propres convictions. C’est à cette tâche que Max Simeoni a consacré toute sa vie, jusqu’à la fin.
Le Max Simeoni des années 60 avait la foi du pionnier, celui qui est habité par une certitude qui lui a fait occulter l’isolement des premiers temps. Ils étaient une poignée, sans moyens, avec peu de militants et sans mandats électifs, mais le doute ne les a jamais gagnés. Ils étaient sûrs de leur combat et de sa profonde justesse.
Le Max Simeoni des années 70/80 a été le premier en Corse à oser affronter une réalité alors encore refoulée en proclamant, en éditorial d’Arritti en 1973 : « Je suis un nationaliste corse ». Mais il avait aussi la prémonition que l’euphorie née des événements d’Aleria devait être canalisée. À longueur d’articles dans Arritti, il a appelé à proscrire tout affrontement entre Corses, affirmé que le clanisme devait être vaincu par la démocratie, que la violence était mortifère par nature et qu’elle ne pouvait être le centre de l’action politique même si elle était inévitable ponctuellement.
Il a supporté avec ses frères, et plusieurs responsables engagés dans la création de l’UPC et d’Arritti, les affres des barbouzes de Francia. Plusieurs plasticages l’ont visé personnellement mais ils ne l’ont jamais ébranlé politiquement. Il répondra à ces agressions en procédant au plasticage à visage découvert de la cave d’Aghjone, un an après les événements d’Aleria, alors qu’Edmond attend son procès. Plusieurs années durant, il a connu la clandestinité puis la prison, avant l’amnistie obtenue lors de l’élection de François Mitterrand.
Dans le courant des années 80 et 90, alors que son frère Edmond avait été éloigné par la maladie après un premier grand succès aux élections de l’Assemblée de Corse en août 82, il prend les rênes de l’UPC, assumant les années les plus difficiles du mouvement autonomiste alors submergé par l’engouement de la jeunesse attirée par les succès de la lutte de libération nationale.
Mais, pour Max Simeoni, le socle de ses convictions n’a pas changé. Il prône l’autonomie pour la Corse, écarte toute autre voie que la voie démocratique, et il s’engage pour fédérer les combats des peuples sans États en Europe. Il est ainsi au cœur de la création de l’ALE au tout début des années 80, puis il mène les contacts avec le mouvement écologiste. En 1989, il est ainsi élu député européen, troisième sur la liste menée par Antoine Waechter. À Bruxelles il rejoint le sarde Mario Melis, le basque Karlos Garaicoetxea, l’écossaise Winnie Ewing, le catalan Herribert Barrera. Trente ans plus tard, le groupe Verts-ALE est toujours actif au Parlement européen.
Le retour d’Edmond sur le devant de la scène politique au tournant de l’an 2000, puis le relais passé à son neveu Gilles en 2010, l’ont amené à s’effacer un peu de la scène publique. Mais il a continué avec constance et sans faiblir à enfoncer le clou de ses convictions, à chaque occasion : pas de construction politique d’avenir sans des structures fortes et démocratiques, nécessité de se projeter en Europe pour y imposer la réalité du peuple corse et faire pression sur l’État français pour obtenir son autonomie et sa reconnaissance constitutionnelle, donner toujours la priorité à l’action démocratique, et rechercher avec constance ce qui a été le cœur de son engagement politique durant 70 ans : l’Union du Peuple Corse. •