Les conséquences de la divagation animale

Marilyne Taddei dépossédée de sa maison

Marilyne Taddei, présidente de l’association Cambià Avà qui lutte contre les conséquences graves de la divagation animale, a de quoi être amère. Voilà trois ans qu’elle se bat pour retrouver la santé et dans le même temps pour la reconnaissance de son statut de victime, et voilà qu’elle se trouve maintenant dépossédée de sa maison, qui sera mise aux enchères le 19 octobre prochain au Tribunal de Grande Instance de Bastia. Ce lundi 9 octobre, elle appelait à un rassemblement de soutien alors qu’un huissier de justice devait faire visiter son bien à d’éventuels acheteurs en vue de cette vente aux enchères. La maison se situe sur une propriété de famille, historiquement bûcherons et marchands de bois installés depuis plusieurs générations sur ces terrains situés au-dessus de l’hôpital de Bastia. Marilyne a perdu une bonne partie de son salaire, et est en litige avec ses assurances qui refusent de reconnaître la divagation animale comme une cause d’accident, donc pas d’indemnisation, grosses difficultés pour assurer le quotidien avec deux filles étudiantes sur le Continent, a fortiori les échéances… ce qui a conduit à sa situation financière actuelle. Explications.

 

Vous risquez de perdre votre maison… Comment en est-on arrivé là ?

Le 7 novembre 2020, j’ai été violemment percutée par un taureau en pleine course, mes genoux ont été retournés. Ma voisine m’a vue et a appelé les urgences. Police, pompiers, SAMU, j’ai été conduite à l’hôpital de Bastia où je n’ai été gardée que deux heures malgré mes graves blessures, à cause du COVID. Mes jambes ont été détruites, j’ai subi opération sur opération pour essayer de les remettre à l’endroit. Trois ans plus tard, je marche toujours avec une canne. Je n’ai jamais pu reprendre mon travail de directrice d’école. Pendant ce temps j’ai fait des déclarations aux assurances, aux banques, à la mairie, à la Collectivité de Corse, en leur disant que je me trouvais dans une situation gravissime et que j’avais besoin que les assurances se mettent en place pour prendre en charge mes prêts. Il n’en a rien été jusqu’à ce jour, et nous sommes arrivés petit à petit à une déchéance du terme. Les crédits sont suspendus. J’ai essayé de racheter par le biais d’un portage bancaire par une banque qui fait le réméré. Ça n’a pas marché non plus. Et aujourd’hui la partie ancienne de ma maison a été saisie. Elle doit être visitée par de potentiels acquéreurs sous contrôle d’huissier en vue d’une vente aux enchères.

 

La CdC s’était pourtant emparé du problème ?

Oui, par le vote d’une motion unanime en juin dernier. Les victimes ont été reconnues par la CdC, mais elles ne le sont pas au niveau national. Cette reconnaissance est indispensable pour que les assurances s’impliquent et nous remboursent. Pour être remboursées, il faut que les victimes mentent. Qu’elles déclarent avoir percuté un mur ou un sanglier. Mais si vous dites qu’un bovin vous a percuté, vous n’êtes pas du tout couvert. Vous comprenez bien que quand un taureau vous fonce dessus, vous n’avez pas le temps de vérifier son numéro. D’autant plus que les vaches qui m’ont agressée n’étaient pas baguées. Sur le périmètre où j’habite, c’est-à-dire en pleine ville de Bastia en face de l’hôpital, que des animaux de cette taille et de cette dangerosité, puisqu’ils sont ensauvagés, errent autour des maisons, c’est un scandale sans nom, c’est gravissime.

 

Que disent et font les pouvoirs publics ?

Ils ont abattu un certain nombre de bêtes, mais leur prolifération est énorme, à raison de trois ou quatre veaux par an. Affamés, assoiffés, ce sont des bêtes en maltraitance. C’est le devoir des êtres humains, de la mairie, des services de l’État, de s’occuper de ces bêtes, et à leurs propriétaires, lorsqu’ils sont identifiés. Mais la plupart n’ont plus de propriétaires. Tout le monde se renvoie alors la responsabilité et tout le monde oublie les victimes. Il faut pourtant bien trouver une solution, ce n’est pas aux victimes de s’occuper de ça et de supporter les conséquences.

Il faut maintenant que les députés, les sénateurs, les élus parlementaires, s’adressent à Paris pour faire reconnaître cet état de dangerosité de la Corse. À partir de là, les assurances pourront nous prendre en charge. Car les victimes sont très nombreuses.

 

Y a-t-il un recensement plus précis de ces accidents et de ces victimes ?

Pour l’instant, le recensement se fait avec les informations qui nous remontent du fait de notre action, les gens prennent contact. Par contre, depuis le vote de la motion, il a été dit que les Services Incendies et de Secours en Haute-Corse et en Corse du Sud devaient dès à présent faire remonter au niveau officiel à la CdC, à Madame Fazi, le nombre de victimes de la divagation animale. Nous pourrons peser alors plus lourd au niveau du Conseil d’État afin que soit votée une loi et que les victimes soient reconnues. Ce temps est très long. Aujourd’hui, l’urgence pour moi c’est ma maison. Je me bats pour toutes les autres victimes, mais aujourd’hui, si je fais appel aux médias et à tous mes amis, c’est parce qu’une partie de ma maison va être mise aux enchères à un prix dérisoire, attirant les acheteurs. Je suis dans une impasse.

 

Vous dîtes « en Corse, les victimes ne sont pas reconnues », ailleurs elles le sont ?

Il y a des maires, dans le Cotentin, en Pays Basque, etc., où il y a des taureaux qui sont dans des enclos, qui s’échappent malencontreusement, qui sont bouclés, qui font des dégâts et qui peuvent tuer quelqu’un. Mais il y a un propriétaire. Ce n’est pas la divagation folklorique comme chez nous, où les touristes font des photos, les porcs ou les sangliers mangent les doigts d’enfants ou attaquent les chiens ! Au XIXe, ci era u furestu chì sunava à partir du mois de novembre, et toutes les bêtes rentraient dans les enclos pour que les châtaignes ne soient pas mangés et que les animaux n’aillent pas sur les propriétés. Aujourd’hui, on n’organise plus la vie dans nos villages. Et les animaux sont lâchés. Certaines personnes âgées ne peuvent plus sortir. Je dérange en dénonçant cela, mais c’est la vérité et personne n’ose le dire. Certains ont perdu la vie, des enfants ont perdu les yeux, d’autres victimes ont eu les poumons perforés, et on ne le dit pas parce que comme toujours ci hè omertà in Corsica nant’à affari gravi.

U troppiu stroppia au sens propre pour moi, on ruine la vie des gens dans l’indifférence totale, c’est scandaleux.

 

La divagation est un problème récurrent…

Il y a toujours eu des problèmes de divagation dans le maquis et sur les crêtes, mais pas en pleine ville de Bastia où je vis, en face de l’hôpital ! On a laissé perdurer ce fléau, aujourd’hui il atteint des proportions jamais vues, il y a énormément d’animaux abandonnés, qui se reproduisent, et qui gagnent les villes et les villages pour se nourrir. Si on continue à ne rien faire, combien seront-ils demain ?

Je suis déterminée à aller jusqu’au bout. J’ai tout perdu : ma vie, ma mobilité, mon travail, et maintenant je perds ma maison. Je l’ai dit et je le répète, je n’ai rien contre les agriculteurs honnêtes qui soignent leurs bêtes, je n’ai rien contre les animaux qui sont en maltraitance, je veux juste que les victimes soient reconnues et que la Corse soit en sécurité. J’irai au bout pour que notre île sorte la tête haute de ce danger. •