Affaire de la barge d’Osani

Un procès sans objet

Il y a 5 ans, la commune d’Osani dont François Alfonsi était alors le maire, s’est engagée sur l’acquisition d’une barge indispensable à la réalisation de la desserte journalière du hameau enclavée de Ghjirulatu. Du fait de l’écart de prix entre les candidats (377.000 € pour l’entreprise retenue, répondant selon les critères indiqués dans l’appel d’offre, 618.000 € pour l’entreprise non retenue), l’État le poursuit devant le tribunal correctionnel de manière totalement inexplicable invoquant un « délit de favoritisme » imaginaire ! Pour que chacun puisse en juger, Arritti livre ici les griefs invoqués par le parquet, les réponses apportées par la défense, et les éclairages venus encore conforter la position de la commune durant l’audience.

 

 

Notification de la procureure

Attendu qu’il résulte de l’enquête préliminaire charges suffisantes contre François Alfonsi :

D’avoir à Osani, entre le 6 avril 2017 et le 16 juillet 2017, étant investi d’un mandat électif public, en l’espèce en étant le maire de la commune d’Osani, par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession, procuré ou tenté de procurer à autrui un avantage injustifié, en l’espèce en attribuant à la SAS Alumarine Shipyard le marché de fourniture d’un bateau mixte fret/passages, marché publié le 6 avril 2017 et attribué par délibération du Conseil municipal d’Osani le 16 juillet 2017 à cette société et ce en excluant volontairement le second candidat (la société Pêch’Alu International) :

– en publiant ce marché très spécifique dans des journaux généralistes (le BOAMP et le JOUE) restreignant ainsi le jeu de la concurrence

– en estimant le marché à 370.000 euros, estimation incohérente réalisée en réalité par la société attributaire du marché

– en procédant à une analyse très succincte des offres

– en notifiant la décision de rejet du candidat évincé avant la finalisation du marché

– en retenant une offre économiquement non viable et incohérente avec la réalité du marché

– en faisant participer le candidat attributaire du marché à l’élaboration du Cahier des clauses techniques et particulières dudit marché.

 


Réponses apportées par la commune

 

1/ Incrimination de publicité volontairement restreinte. Les deux journaux habilités qui ont été retenus pour ce marché, spécialisés dans ce type de publications et bien connus de tous les acteurs économiques, ont une diffusion nationale. Ce qui témoigne de la volonté de la commune, pour cet investissement exceptionnel, de bien veiller à ouvrir le marché à la concurrence.

 

2/ Incrimination d’une estimation de 370.000 € incohérente, « réalisée en réalité par la société attributaire du marché ». Avant de lancer son investissement, la commune devait s’assurer de l’obtention de subventions suffisantes pour mener à bien son projet. Pour cela, elle a eu recours à un architecte naval, Monsieur Delion, pour à la fois décrire toutes les contraintes techniques demandées au fabriquant et pour disposer d’une évaluation pour pouvoir déposer des demandes de subvention justifiées par le fait que ce navire était dédié à un service public de transports destiné à assurer le désenclavement d’un des trois villages de la commune, Girolata.

Cette mission a permis :

– D’établir le cahier des charges : nature du navire, puissance de sa motorisation, détail de son agencement pour effectuer les différentes manœuvres selon les sites d’accostage (sortie par l’avant ou par le côté, capacité d’embarquement par l’arrière, etc.) toutes données indispensables pour livrer un navire apte à rendre le service attendu.

– De disposer d’une évaluation pour solliciter des subventions, qui ont été effectivement attribuées par l’État (25 %) et le département de la Corse du Sud (50 %) compte tenu du service public que ce navire avait vocation à assurer.

Cette étude a été payée par la SEM qui était titulaire de la liaison, et elle est donc devenue sa propriété, avec toute liberté d’en user pour construire les dossiers futurs. La relation de la commune avec M. Delion était alors terminée.

Il s’est ensuite passé plusieurs mois avant que ne soient attribuées les subventions attendues. Ce n’est qu’une fois celles-ci obtenues que la commune a passé une convention d’assistance à maîtrise d’ouvrage avec le cabinet Blasini de Bastia, dont la première tâche a été de composer le cahier des charges de la future acquisition en précisant les limites budgétaires de la commune (400.000 €). Il s’est appuyé pour cela sur l’étude transmise par la commune, conformément à l’usage qu’il était prévu d’en faire. Affirmer que « le candidat attributaire du marché a participé à l’élaboration du CCTP » est une pure spéculation, notamment démentie par les nombreux mois qui séparent la réalisation de cette première étude et la production du CCTP qui a servi à la consultation. Elle ne repose sur aucun fait tangible. Le fait que Monsieur Delion ait passé ultérieurement contrat avec le chantier naval ne concerne en rien la commune et ne présente aucun caractère répréhensible. D’ailleurs cela ne lui est pas reproché par les observations du ministère public.

 

3/ Sur « l’évaluation incohérente à 370.000 euros ». Le procureur dispose d’une science que la commune n’a pas en matière de construction navale ! Le devis initial a été produit par un architecte naval bien plus compétent, et la commune s’est engagée sur la base de ce devis.

Observons que « l’expert » mandaté par le tribunal a rendu son avis sans même avoir vu le bateau qui pourtant était aisément visible à Girolata où il effectue son service quotidien.

Cet avis est démenti par plusieurs faits objectifs :

– La construction du bateau a été effective et il est aisément vérifiable que toutes les options et fonctions demandées ont été réalisées conformément au cahier des charges ;

– L’entreprise Alumarine a rendu son travail dans les délais prévus et il n’y a eu aucune tension exprimée sur le montant du marché lors de la négociation des avenants passés. La commande de la commune était effectuée en même temps que d’autres marchés obtenus par le chantier naval. L’entreprise a donné tous les signes d’une entreprise sérieuse et bien gérée. Elle a d’ailleurs continué son activité depuis.

– Le montant final a justifié 1,59 % de surcoût par rapport au marché, trois avenants ayant été passés pour tenir compte de modifications légères demandées. Il n’y a donc aucune place pour des soupçons d’entente sur un marché sous-chiffré ensuite « rattrapé » par des augmentations en cours de chantier.

– Aucune tricherie sur les quantités et les prestations fournies ne peut être envisagée, contrairement, par exemple, à certains marchés de travaux publics (ex : qualité et épaisseur d’enrobés). L’expert du tribunal aurait pu le constater s’il avait fait l’effort de se rendre sur place.

– Compte tenu de l’écart entre les deux offres l’analyse a été rapide mais elle a été menée selon les critères définis par l’appel d’offres. Elle n’est ni succincte, ni exagérément exhaustive : elle est tout simplement suffisante pour finaliser une commande d’un bateau dont la population avait un besoin urgent en remplacement du précédent qui pouvait faire craindre pour sa fiabilité en raison de sa vétusté.

– La « faute » relevée d’une notification de rejet adressée à Pêch’Alu antérieurement à l’attribution du marché à Alumarine n’a rien de répréhensible. D’ailleurs l’entreprise Pêch’Alu, informée par ce courrier de l’écart des prix, n’a formulé aucune remarque sur le montant de l’offre de son concurrent.

Ajoutons que Pêch’Alu aurait pu se porter partie civile si elle s’estimait lésée. Elle ne l’a pas fait.

– En fait, nonobstant l’avis de « l’expert » du tribunal, il apparaît que c’est l’offre concurrente qui était hors de prix !

Aucune raison valable ne pouvait donc amener le Conseil municipal à rejeter la seule offre compatible avec le budget qu’il avait voté. Il aurait même porté la responsabilité d’un service qui se serait dégradé en conservant le bateau ancien.

 

4/ Sur « l’avantage injustifié » qui aurait été procuré en faveur d’Alumarine. On peine à en saisir la consistance :

– Le prix bas, principal reproche, exclut un avantage direct.

– L’absence de dérapage des coûts durant le chantier exclut une rétribution ultérieure dissimulée.

– La totale conformité de la prestation avec la commande, et l’impossibilité de dissimuler quelque manque que ce soit sur les fournitures et les prestations demandées, exclut l’hypothèse d’une tromperie de cette nature ;

– Le caractère unique de cet investissement exclut l’hypothèse d’une offre anormalement basse destinée à prendre pied sur des marchés récurrents : il s’agit du seul marché d’acquisition d’un bateau neuf que la commune a eu à gérer en vingt années de mandat, et on doute qu’elle soit amenée à y procéder à nouveau dans les vingt ans qui viennent.

 


Faits étant apparus lors de l’audience du tribunal correctionnel

(Lors des dépositions des deux parties en cause, mairie d’Osani à travers son maire, et l’entreprise attributaire Alumarine représentée par son PDG).

 

Point 1 : publicité intentionnellement restreinte. Selon le dirigeant d’Alumarine, il existe en France une demi-douzaine de chantiers navals en mesure de répondre à un tel marché. Or sept entreprises ont retiré le dossier, soit la totalité de la profession, et deux ont répondu. Devant ces chiffres la procureure a fait marche arrière.

 

Point 2 : estimation incohérente. Le dirigeant d’Alumarine, aujourd’hui à la tête d’un groupe de 1.000 salariés, a expliqué que chaque commande faisait l’objet d’un suivi analytique complet, coûts salariaux, matières premières achetées, éléments sous-traités (moteurs par exemple). Que l’enquêteur n’avait pas jugé bon de l’interroger. Que son offre était tout à fait cohérente et lui a permis de dégager une marge de 20 %.

Il a démonté le rapport de l’expert et annihilé l’accusation.

 

Point 3 : analyse succincte des offres. Là aussi l’accusation a été mise en difficulté puisque dans sa logique cette analyse  considérée comme succincte visait en fait à dissimuler l’hypothèse d’une offre anormalement basse dont il a été fait la preuve qu’il n’en était rien.

 

Point 4 : l’incrimination du procureur renvoie à une interprétation erronée du code des marchés publics. Il a été admis durant l’audience qu’il revenait bien à la commune d’aviser le candidat évincé très vite dès l’instant que, par son offre qui excédait largement le budget de la commune, il était clair qu’il ne pouvait être retenu.

 

Point 5 : offre retenue économiquement non viable incohérente avec la réalité du marché. Accusation totalement démontée par la démonstration de l’entreprise pour laquelle le parquet a ensuite demandé la relaxe.

Il a été notamment démontré que l’offre de Pêch’Alu était anormalement haute du fait de la fourniture de deux moteurs hors de prix : 150.000 € chacun (contre 50.000 € les deux pour Alumarine).

 

Point 6 : le parquet a admis ne pouvoir caractériser aucune entente préalable avec l’entreprise, et demandé la relaxe de l’entreprise qui était poursuivi à cet effet. Concernant François Alfonsi, le parquet a ressorti du rapport d’enquête un document manquant dans les dossiers de la commune (le PV de réception des offres qui a été égaré mais qui n’est qu’un simple accusé de réception avant d’envoyer les offres à l’analyse), et l’absence d’une commission d’appel d’offres formalisée, pour estimer que, même si aucune infraction n’intervient dans le marché, il a de la sorte été créé les conditions pour la permettre. Ce qui selon le parquet suffit à faire condamner le maire ; d’où sa réquisition : 6 mois avec sursis, 10.000 € d’amende, un an d’inéligibilité.

L’avocate de François Alfonsi a protesté que ces allégations ne figurant pas dans les réquisitions initiales, elles ne pouvaient de toutes façons être retenues par la Cour. On imagine mal qu’elle ne soit pas suivie par la Présidente.

 

Le jugement sera rendu le 13 décembre prochain à 14 heures. •