Le débat de l’Assemblée de Corse lors de sa dernière session faisant « l’état de l’avancement de la procédure d’approbation du plan territorial de prévention et de gestion des déchets » a lancé la procédure d’enquête publique sur ce plan mis en débat. Un Commissaire enquêteur sera nommé et les associations appellent les citoyens à se dresser contre des choix qui seront coûteux et polluants, et qui ne sont en fait que le résultat de l’échec du modèle français, et particulièrement de sa déclinaison corse, pour le traitement des déchets ménagers. Faut-il, parce que nous sommes en situation d’échec sur ces dernières années, se lancer dans des projets exagérément coûteux, et techniquement fumeux ? Ou ne faudrait-t-il pas plutôt lancer enfin un plan ambitieux inspiré de nos voisins sardes ?
Pour mesurer la situation d’échec de la Corse, il faut la comparer à la Sardaigne voisine, aux structures économiques et sociologiques comparables, qui présente toutes les caractéristiques d’une politique réussie.
Ainsi, en 2015, la Sardaigne produisait 717.000 T de déchets dont 56 % déjà étaient traitées à travers les filières de tri et valorisation. Le rapport du Syvadec qui date de 2017 fait état pour la Corse d’un taux de tri d’à peine 26 %, alors que les Sardes en sont déjà, en 2017, arrivés à 63 %. En 2021 le taux de tri en Sardaigne s’élève à 75 %. En Corse il plafonne encore à 38 %.
Signe du succès des politiques de Sardaigne, et de l’implication active des collectivités locales : en 2015, 206 communes sur 377 dépassaient l’objectif légal italien de 65 % de leurs déchets recyclés ; elles étaient 315 en 2017 et elles sont 369 (sur 377, 97 % !) en 2021. Parmi elles, la Communauté d’agglomération de Cagliari (450.000 habitants) en est à 73 % de tri sélectif quand la plus grande collectivité de Corse, la CAPA, cinq fois moins peuplée, plafonne à 33 %. Et 144 communes sardes (presque 4 sur 10) dépassent déjà 80 % de tri sélectif sur leurs déchets en 2021.
En 6 ans, les déchets résiduels sardes ont chuté de 313.000 T en 2015 à 190.000 T en 2021 (-40 % !), malgré une augmentation du total des déchets collectés de 33.000 tonnes (+5 %). En Corse, cinq fois moins peuplée, les CET enfouissent 140.000 tonnes, presqu’autant que la Sardaigne entière ! Les timides progrès du tri n’ont eu pour seul effet que « d’absorber » l’augmentation annuelle sans que jamais les quantités envoyées à l’enfouissement n’aient réellement diminué.
Ces quelques chiffres illustrent la situation d’échec dans laquelle nous sommes.
Quelles en sont les raisons ? La première tient aux politiques de l’État français qui est loin d’être un des meilleurs élèves de l’Europe, car il est sous pression des lobbys de l’incinération. La France trie 45 % de ses déchets, loin derrière l’Italie en général (51,5 %), les Pays Bas (57,8 %), la Slovénie (60 %) et surtout l’Allemagne (71 %).
Mais alors que la Sardaigne (75 % de tri) est avec la Vénétie (78 % de tri) la région la plus en pointe d’une Italie en avance sur ce dossier, la Corse se traîne en queue de classement des régions françaises dans un pays lui-même très en retard.
Les autres raisons sont locales et liées à l’enchevêtrement des acteurs, État, Collectivité de Corse, Communautés de communes et Syvadec.
L’État n’a jamais soutenu d’autres projets que ceux que l’on refuse. Pendant longtemps l’incinération a été son cheval de bataille. À onze kilomètres de la Corse, la Sardaigne est en train de désaffecter ses anciens incinérateurs ! Il est aujourd’hui à la manœuvre des centres de tri mécano-biologique, sorte « d’incinérateur alternatif » puisque les déchets traités sont voués à une incinération ultérieure sous forme de combustibles solides de récupération (CSR). Le Syvadec a projeté d’en installer un premier à Monte en région bastiaise, puis un second en région ajaccienne. L’Ademe, dont les études nationales mettent en garde contre ce « tri en aval » peu performant, tri en aval qui d’ailleurs ne peut être un tant soit peu performant que si le tri en amont est opérationnel, notamment sur le biodéchets. Dès lors pourquoi faire un tel investissement alors qu’il sera toujours beaucoup plus simple, et beaucoup moins coûteux, comme le font les Sardes, d’aller plus loin dans le tri en amont ? Mais l’Ademe a dû passer à la casserole et apporter 21 millions d’euros à cet investissement annoncé pour 68 M€ en attendant les hausses inéluctables en cours de route.
La Collectivité de Corse fait de la résistance ? La préfecture passe outre et ajoute à la contribution forcée de l’Ademe, 33 M€ supplémentaires issues du Plan de transformation et d’investissement pour la Corse (PTIC). Une année entière de ce plan censé rattraper les retards de l’île va donc être consacré à un projet qui va à contre-courant des intérêts de la Corse !
Face à ce dossier ainsi « bétonné » financièrement par l’État, et sous la pression d’un Syvadec plus instrumentalisé que jamais par l’opposition de droite qui a fait du dossier des déchets le fer de lance de sa stratégie de reconquête du pouvoir, la Collectivité de Corse est sans alternative. Elle a échoué à dynamiser le tri, notamment parce qu’elle a dû affronter la mauvaise volonté des Comcom et du Syvadec pour passer à la vitesse supérieure. Ainsi, dans l’enchevêtrement des compétences héritées des politiques antérieures, ce sont les Comcom qui organisent la collecte. Pendant des années par exemple Aiacciu a refusé d’organiser la collecte des biodéchets… avant de commencer timidement depuis qu’ils ont compris que trop de biodéchets mélangés annihilaient tout espoir de bon fonctionnement du tri mécano-biologique auxquels ils tiennent tant. Mais Aiacciu est encore à des années-lumières de ce que fait Cagliari !
Quant au Syvadec, il a fait de l’obstruction systématique, refusant de faire du tri des biodéchets une véritable priorité, et faisant même arrêter les circuits de collecte mis en place par certaines Comcom faute de vouloir assurer leur débouché. À ce jour, sept ans après, le Syvadec n’a pas été à l’origine de la moindre installation significative de traitement des biodéchets.
L’opinion a été aussi patiemment désinformée, et intoxiquée par le mirage d’une « solution technique » qui éviterait à tous de faire l’effort du tri. Alors qu’il s’agit là d’un mensonge pur et simple.
Face à une saturation annoncée des centres d’enfouissement comblés année après année par des centaines de milliers de tonnes de déchets non triés, l’Exécutif de la CdC est sans moyens. Refuser la réalisation des centres mécano-biologiques en les excluant du « plan de prévention et de gestion des déchets » que la loi lui impose d’adopter, alors qu’ils sont d’ores et déjà entièrement financés par l’État, reviendrait à devoir supporter toute la responsabilité politique le jour de la crise finale, quand les déchets déborderont sur la voie publique, à Aiacciu, à Bastia, et partout en Corse, une fois les centres d’enfouissement saturés. Ce qui politiquement signifierait une victoire de la droite aux prochaines échéances, et la garantie que tout sera fait alors pour continuer, et accélérer, dans cette voie sans retour.
Face à ce point d’avancement du débat sur le traitement des déchets, le seul espoir d’une autre politique tient dans la capacité d’information et de mobilisation des populations. L’enquête publique qui s’ouvre sera capitale à cet égard. •