Kidal occupée par Wagner et l’armée malienne

Le Sahel déstabilisé

La capitale symbolique de l’Azawad, Kidal, au cœur du territoire touareg, peuple berbère de tradition nomade à cheval entre Afrique noire et Afrique du Nord, a été investie par l’armée malienne, issue pour l’essentiel du peuple bambara établi dans le sud et à Bamako, bien plus nombreux, et hégémonique dans l’appareil d’État malien. Face à la supériorité militaire de ceux que la Russie a largement dotés en drones et en équipements modernes, comme par exemple les moyens de vision nocturne, ce qui leur a donné un grand avantage lors des assauts terrestres opérés de nuit, les forces nationales de l’Azawad se sont retirées. Mais leur capacité de résistance est intacte. ­Coups d’État militaires, retrait de l’armée française puis des forces de paix de l’ONU, influence islamiste, arrivée de Wagner : rien n’échappe dans l’actualité de ces conflits, au Mali comme au Burkina Faso ou au Niger, à leur explication première, celle de conflits entre des peuples très différents, assignés à une même appartenance étatique, alors que leurs modes de vie, leurs Histoires et leurs cultures les séparent totalement.

 

 

Au sein de ces pays aux territoires immenses, et aux frontières surgies de la seule imagination de colonisateurs ignorant tout de l’Histoire multiséculaire de ces contrées, cohabitent des peuples très différents. Pour le seul Mali, le fossé est colossal entre Nord et Sud. Au Nord cohabitent – ce qui n’exclut pas les confrontations, mais avec une régulation étalée sur un millénaire de vie commune – deux peuples éleveurs et nomades, les Touaregs au nord et les Peuls plus au sud, un peuple agriculteur sédentaire (les Songhai) et une minorité arabe plus urbaine et versée dans le commerce. L’ensemble forme l’Azawad, dont la conscience nationale, souvent animée par les Touaregs, a suscité des révoltes incessantes, durant la colonisation française, et depuis l’indépendance du Mali en 1960, indépendance réalisée dans les frontières héritées de la colonisation, avec une ethnie dominante numériquement, les Bambaras, basée à Bamako et dans ses environs.

 

Depuis les années 70, les « révoltes touarègues » se succèdent. Celle des années 90 a été réprimée très sévèrement et les révoltés se sont enfuis… pour beaucoup chez eux puisque le sud de l’Algérie, ou le nord du Niger sont des territoires touarègues où les frontières n’ont aucune réalité perceptible, tandis que de nombreux combattants ont rejoint la Libye pour s’enrôler dans l’armée de Khadafi. D’autres comme Iyad Ag Ghali, chef touareg devenu prédicateur islamiste à la tête du mouvement affilié à Al Qaïda, Ansar Dine, ont été se radicaliser en Arabie Saoudite.

Vingt ans plus tard, la déroute de la dictature libyenne les a laissés sans emploi, mais avec l’expérience de leurs campagnes militaires et l’armement qu’ils ont ramené en Azawad où se créait le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA). Au même moment le mouvement islamiste s’y est déployé avec l’aide financière des pays du Golfe et Iyad Ag Ghali à sa tête. Les deux insurrections se joignent alors pour infliger à l’armée malienne une déculottée mémorable. La débandade est telle que les islamistes poursuivent leur offensive vers Bamako, tout en écartant le MNLA. Ce dernier s’en désolidarise et affirme sa volonté de combattre l’islamisme.

En 2012, voyant se dessiner l’effondrement irréparable de l’État malien, Paris décide de l’intervention Serval et prend pied dans le nord du Mali pour combattre le djihadisme doté de nouveaux armements grâce aux armes récupérées sur les soldats maliens. Le MNLA, lui aussi renforcé, et menacé par les islamistes, se joint à la lutte contre Al Qaïda, et permet aux forces françaises d’enregistrer de nombreux succès en limitant considérablement leurs pertes humaines. En contrepartie un pacte est scellé qui garantit aux peuples de l’Azawad une autonomie totale, loin de la volonté de vengeance des généraux bambaras basés à Bamako. Ce pacte conduira aux accords d’Alger de 2015, et il permettra de limiter considérablement l’activité terroriste au Nord du Mali par rapport à la « zone des trois frontières » plus au sud.

 

La révolte des généraux maliens part de là. Ils accusent l’armée française, garante de ces accords, d’être en fait « complice des Touaregs », désignés comme des « terroristes », et d’empêcher une revanche devenue pour eux existentielle. Quand le Président élu IBK accepte les accords d’Alger, les gradés le lui reprochent de plus en plus fortement, tandis qu’une campagne insidieuse gagne le peuple bambara, humilié par les échecs de son armée, et assimilant soldats français et rebelles du Nord, eux-mêmes vilipendés comme « terroristes ». C’est alors un premier, puis un second coup d’État qui portent le colonel Assimi Goïta à la tête de l’État. Il dénonce la présence française, provoque son départ, et il lui substitue la milice russe Wagner avec la promesse que ceux-ci lui permettront ce que l’armée française lui a refusé, à savoir la reconquête du Nord et la victoire sur les successeurs du MNLA et de ses alliés, le Cadre Stratégique Permanent, formé au moment des accords d’Alger. C’est désormais chose faite.

Le même mécanisme est à l’œuvre au Burkina Faso où la milice Wagner est venue servir de garde prétorienne aux putschistes issus de l’ethnie majoritaire Mossi établie autour de Ouagadougou. Même scénario au Niger où l’ethnie Haouassa, numériquement majoritaire, bénéficie du coup d’État qui a renversé le général Bazoum venu du Nord-Est du Pays. Conséquence subsidiaire, les Haoussa, qui sont encore plus nombreux dans le Nord du Nigeria, 40 % de la population du pays, a entravé la tentative du Nigéria et des autres voisins du Niger de renverser le nouveau président issu du coup d’État, Abdouharamane Tchiani.

 

Dans ce contexte de rivalités ethniques au sein de pays dont les frontières sont sans consistance historique, le contrôle de l’appareil d’État donne à l’ethnie dominante un pouvoir exorbitant à travers le contrôle des ressources minières et du budget de l’État, le plus souvent largement abondé par l’aide internationale. La milice Wagner, directement pilotée depuis Moscou, et grassement rémunérée, en profite outrageusement pour conforter l’influence de la Russie à l’heure de la guerre en Ukraine.

La situation du Sahel se détériore inexorablement, laissée dans l’ombre par les deux conflits très médiatisés de l’Ukraine et de la Palestine.

Elle est beaucoup moins connue. Mais elle contribue elle aussi à obscurcir considérablement l’horizon d’un espoir de paix dans le monde. •

François Alfonsi.